Cela est devenu par la force des choses une norme : la diplomatie algérienne en est réduite à réagir et elle le fait sur un ton tout sauf diplomatique ! La nomination de la directrice des affaires économiques de l'Union du Maghreb arabe, la Marocaine Amina Selmane, au poste de représentant permanent de l'UMA auprès de l'organisation panafricaine a de nouveau exacerbé la fibre anti-marocaine de la diplomatie algérienne, qui s'est lancée dans un double réquisitoire contre le SG de l'UMA et le président de la Commission de l'Union africaine.
Communiqué du ministère algérien des Affaires étrangères : encore une couleuvre à avaler
Dans son communiqué de dimanche, le MAE algérien indique que «l’Algérie exprime son profond étonnement face à la décision désinvolte et irréfléchie du président de la Commission de l’UA, Moussa Faki Mahamat, de recevoir les soi-disant lettres de créances d’une diplomate marocaine se présentant faussement en qualité de représentante permanente de l’UMA auprès de l’UA». «Ce comportement irresponsable est d’autant plus inadmissible qu’il intervient après des démarches pressantes des autorités algériennes auprès de la Commission de l’UA afin de considérer sans objet cette prétendue nomination qui, conformément aux textes régissant le fonctionnement l’UMA, ne relève aucunement des prérogatives du secrétaire général de l’UMA, dont l’ultime mandat a définitivement pris fin le 1er août 2022, sans possibilité de prorogation, mais qui, par cette énième imposture, sert l’agenda tracé par son pays de résidence», lit-on encore dans le communiqué.
L’Algérie tient à «clarifier qu’elle n’a jamais été consultée au sujet de cette nomination qui s’est faite en dehors des règles prévues par le Traité instituant l’UMA de février 1989, lesquelles exigent dans le cas d’espèce le vote à l’unanimité des États membres au niveau du Conseil des ministres des Affaires étrangères de l’UMA», souligne le communiqué, ajoutant qu’«en acceptant cette grossière mise en scène protocolaire, le président de la Commission de l’Union africaine cède à une opération de manipulation malsaine, conçue et mise en œuvre à des fins ne servant aucunement les intérêts de l’UMA et de l’UA, auxquelles l’Algérie réitère son attachement indéfectible».
SG de l'UMA : l'Algérie n'a pas honoré ses contributions financières depuis 2016
En réponse à ce prétendu attachement inconditionnel à servir les intérêts de l'UMA, souligné dans le communiqué du MAE algérien, le secrétariat général de cette instance régionale n'a pas manqué de rappeler dans son communiqué publié mardi que sur les cinq pays composant le Maghreb arabe, il n'y a que l'Algérie qui se dérobe à ses engagements. Alors que le Maroc, la Tunisie, la Mauritanie et la Libye sont à jour de leurs cotisations financières jusqu'en 2022, l'Algérie, elle, n'a pas honoré ses contributions depuis 2016.
Plus encore, Alger «a retiré tous ses diplomates accrédités à l’UMA, dont le dernier a quitté ses fonctions en juillet 2022. Tous ont joui de leurs droits et solde en puisant dans les contributions des autres États membres», précise le communiqué du SG de l’UMA, tout en formulant le vœu de voir « l’attachement témoigné par l’Algérie se concrétiser par le règlement du restant dû et par le retour des diplomates rappelés». Quant à la décision d'ouvrir sa représentation à l'UA, saluée par le SG de l'UMA, celui-ci rappelle dans son communiqué «qu’elle a fait l’objet d’un accord avec le président de la Commission de l’UA Moussa Faki Mahamat en janvier 2018», et que «cet accord a fait l’objet d’une large information sans que nul n’y oppose de réserve».L’exécution de cet accord a cependant été suspendue suite à la pandémie de la Covid-19 et donc «ce n’était que partie remise et nous avons enfin pu nommer la directrice des affaires économiques au secrétariat général de l’UMA, dans un contexte où les Communautés économiques régionales (CER) sont considérées par l’UA comme ses piliers essentiels dans la mise en œuvre de son Agenda 2063, notamment en matière d’intégration économique continentale, dont le préalable est l’intégration régionale», souligne le communiqué.
La réaction algérienne à la nomination d'Amina Selmane, une démarche infondée
Commentant cette attaque terroriste contre le SG de l'UMA et le président de la Commission de l'UA, le professeur de relations internationales à l’Université Mohammed V de Rabat, Zakaria Abouddahab, rappelle qu'Amine Selmane représente l'UMA en tant que communauté économique régionale en vertu de l'Acte constitutif de l'UA qui dispose que les intégrations économiques régionales doivent désigner un représentant auprès de l'Organisation panafricaine pour contribuer à la réalisation des objectifs liés à l'Agenda 2063. «On le sait, l’UA avait même retenu comme titre lors de son dernier Sommet “l’intégration régionale” et on a fait surtout allusion à l’opérationnalisation de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf, actée en 2019 et entrée en vigueur en 2021), dont le Maroc en est un membre fondateur», souligne M. Abouddahab.
Sur la réaction du MAE algérien à la nomination de Mme Amine Selmane, le professeur de relations internationales relève que ce dernier a réagi violemment à cette nomination, en remettant d'abord en cause son fondement et en s'interrogeant par la même occasion sur les mécanismes de désignation de ces représentants. «Alors, rappelons une chose très importante : c’est une nomination qui n’est pas marocaine, mais maghrébine. C’est le SG de l’UMA qui était derrière cette initiative, dans la mesure où Mme Amine Selmane occupait jusqu’à une date récente le poste de directrice des affaires économiques auprès du secrétariat général de l’UMA», note M. Abouddahab.
Aussi, poursuit le professeur, le communiqué du MAE algérien a ciblé le SG de l'UMA, en lui contestant son statut. «Mais M. Baccouche a infirmé cela et a rappelé dans son communiqué qu'il n'a cessé de contacter les membres de l'UMA et particulièrement les autorités algériennes, afin que sa situation soit clarifiée juridiquement et administrativement, et il avait même précisé par la même occasion qu'il n'avait pas reçu d'invitation officielle à l'occasion de la tenue du Sommet de la Ligue arabe, qui a eu lieu à Alger les 1er et 2 novembre 2022, tout en ayant reçu par la suite des lettres de félicitations de la part de dirigeants algériens à l'occasion de la nouvelle année 2023».
«Ce que nous pouvons dire, c'est que la réaction algérienne est disproportionnée et infondée. Pourquoi ? Parce que de facto, M. Baccouche occupe jusqu'à preuve du contraire le poste de SG de l'UMA, car tout simplement il n'a pas été remplacé malgré ses appels incessants. De plus, l'Algérie, selon M. Baccouche, n'a pas réglé ses arriérés financiers auprès de l'UMA et donc elle n'est pas fondée justement à parler de respect ou de non-respect du droit régional ou international. De plus, le MAE algérien, comme à son habitude, a vilipendé M. Moussa Faki pour avoir reçu les lettres d'accréditation de Mme Amina Selmane. Nous sommes véritablement ici devant une sorte de feuilleton hollywoodien : l'approche algérienne est “out” puisqu'elle est infondée et en même temps n'a pas de sens sur le plan opérationnel, alors que normalement les autorités algériennes devraient plutôt s'inscrire dans une démarche de construction maghrébine et d'activation d'un processus d'intégration à l'échelle continentale», dit M. Abouddahab.
«Le MAE algérien avait oublié que Mme Amine Selmane est en fait la représentante de l'UMA et non la représentante du Maroc. Et donc, une fois sur place, elle défendra les intérêts de l'UMA», souligne le professeur, ajoutant qu’«on peut se poser la question de savoir qui entrave aujourd'hui toute démarche d'intégration et de réactivation de cette intégration économique régionale, au moment où le monde traverse une zone de turbulence dangereuse avec des périls qui se profilent partout et finalement tous les arguments présentés par le MAE sont, à mon avis, farfelus et n'ont pas de fondement».
Et le professeur de conclure en disant qu'«à l'heure actuelle, les peuples du Maghreb et de l'Afrique en général ont besoin d'oreilles attentives et de gouvernements réceptifs à leurs doléances. Ils ont besoin de plus de projets concrets et d'initiatives positives, au lieu de réactions obsessionnelles, car cela est devenu intenable. En agissant ainsi, le MAE algérien s'est mis au banc des accusés, tout simplement parce qu'il n'est pas sage et bienséant du point de vue même du droit diplomatique, du droit consulaire et des règles de bienséance de réagir de la sorte et de remettre en cause la légitimité du SG de l'UMA et aussi de vilipender le président de la Commission de l'UA. Cette organisation panafricaine n'est pas faite pour l'Algérie, mais pour l'ensemble de ses 54 États membres, et le Maroc aujourd'hui, membre fondateur de l'OUA en 1963, joue un rôle constructif et actif et travaille avec ses alliés et partenaires pour placer les intérêts des Africains au-dessus de toute considération».
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