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Samedi 18 Mai 2024
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Pénurie de médicaments : les professionnels s’expliquent

Le Maroc ne semble pas échapper à la pénurie des médicaments que connaissent plusieurs pays. Si les professionnels préfèrent parler de tensions sur l’approvisionnement ou de perturbations plutôt que de pénurie, pour le Marocain le résultat est le même : des médicaments manquent à l’appel dans les pharmacies depuis quelques mois. De l’avis des experts contactés par «Le Matin», la situation ne risque pas d’être débloquée de sitôt. Explications.

Pénurie de médicaments : les professionnels s’expliquent
Lors de la pandémie, les laboratoires étrangers ont réduit leur production des médicaments qui avaient connu une baisse de demande.

Depuis quelques mois, de nombreuses gens ont du mal à acheter régulièrement leurs médicaments. La situation commencerait à devenir inquiétante puisqu’elle concerne aussi des médicaments qui, en cas de rupture, peuvent mettre en danger la santé, voire la vie des patients. Effectivement, des produits d’intérêt thérapeutique majeur, comme le Levothyrox destiné à corriger l’hypothyroïdie ou l’insuline pour le traitement du diabète, se font de plus en plus rares. Les pharmaciens contactés par «Le Matin» confirment cette pénurie et disent être confrontés à une situation très délicate. «Il y a un sérieux problème. Nous ne sommes livrés qu’une quinzaine de jours après la passation de la commande, mais le problème qui se pose est que la quantité que nous recevons reste trop faible», s’inquiète une pharmacienne à Casablanca.

Pour l’heure, le ministère de la Santé et de la protection sociale ne s’est pas prononcé sur le sujet. Joint par «Le Matin», le président du Conseil national de l’Ordre des pharmaciens (CNOP), Dr Hamza Guedira, affirme que le Maroc, à l’instar d’autres pays, subit une pression sur certains médicaments. «Il ne s’agit pas d’une pénurie, mais plutôt d’une pression passagère», insiste-t-il. 

Une source bien informée ayant requis l’anonymat estime, de son côté, que l’approvisionnement au compte-gouttes en certains médicaments est trompeur. «Officiellement, il n’y a pas de pénurie, mais les faibles quantités disponibles ne permettent pas de prendre en charge tous les patients», clarifie-t-elle. «La liste des médicaments indisponibles s’allonge et les malades se sont presque habitués à attendre quelques jours pour avoir leur médicament et des fois ils laissent tomber leurs traitements après avoir fait le tour des pharmacies de la ville», note-t-on. Interpellé sur ce volet, Dr Mohamed El Bouhmadi, président de la Fédération marocaine de l’industrie et de l’innovation pharmaceutique et PDG des Laboratoires Zenithpharma, indique que ces perturbations concernent aussi bien les produits importés que ceux qui produits localement. 

Hausse des prix, crise sanitaire… les raisons de la pénurie de médicaments sont multiples 

Les professionnels approchés par «Le Matin» insistent sur le fait que la tension sur les médicaments est un problème mondial. Selon Hamza Guedira, le problème est que notre industrie pharmaceutique dépend du marché international. «D’une part, nous avons des médicaments qui sont importés et qui connaissent des perturbations et, d’autre part, il y a des produits qui sont fabriqués localement, mais dont la matière première émane de l’étranger», souligne-t-il. 

De son côté, Dr Tayeb Hamdi, médecin chercheur en politiques et systèmes de santé, indique que la situation que nous vivons aujourd’hui est l’une des conséquences de la crise sanitaire liée à la Covid-19. «Lors de la pandémie, les laboratoires étrangers ont réduit leur production en médicaments qui avaient connu une baisse de demande. Aujourd’hui, et malgré le retour à la vie normale, les sites de production n’arrivent toujours pas à retrouver la cadence de production qui prévalait avant la crise sanitaire», analyse-t-il. En d’autres termes, précise notre interlocuteur, il y a une forte demande sur le marché mondial, mais dans la pratique, les sites de production n’ont pas encore repris leur rythme pour répondre à toutes les demandes. 

Pour sa part, le président de la Fédération marocaine de l’industrie et de l’innovation pharmaceutique fait savoir que l’industrie pharmaceutique a été impactée par les perturbations liées à la guerre en Ukraine et à la flambée des prix énergétiques. «Ces changements ont engendré une hausse des prix des matières premières que les fournisseurs répercutent sur le coût de revient, et par conséquent sur le prix de vente». Le spécialiste note, à cet égard, que les industriels se voient obligés de composer avec cette situation et d’acquérir les produits à des prix élevés pour les maintenir sur le marché, sachant qu’ils n’ont pas le droit de revoir à la hausse le prix de vente, celui-ci étant contrôlé par le ministère de la Santé et de la protection sociale

Autre facteur aggravant la situation : l’achat-panique des médicaments. «Dès qu’ils entendent parler d’une éventuelle rupture d’un médicament, les gens se précipitent pour l’acquérir auprès des pharmacies, ce qui aggrave la situation», note Dr Hamdi. Les professionnels de la santé ont toujours mis en garde contre cette pratique qui risque de mettre en danger la vie des patients, faute de traitement. 

Quelles solutions pour faire face à la pénurie des médicaments ? 

De l’avis des experts contactés par «Le Matin», les pénuries des matières premières à l’échelle mondiale vont continuer à impacter la production locale de médicaments. La situation pourrait donc ne pas être débloquée dans l’immédiat. D’après Dr El Bouhmadi, il existe aujourd’hui des alternatives, notamment le recours aux médicaments génériques après avis du médecin traitant. Les professionnels appellent aussi les pharmaciens à assurer une distribution équitable et sans favoritisme ni clientélisme des médicaments. Ils semblent miser sur la création de l’Agence nationale du médicament et des produits de santé pour éradiquer ce problème. Cette instance, qui sera dotée de l’autonomie financière et administrative, aura pour mission de chapeauter le processus de développement de la politique pharmaceutique nationale. 

Lire aussi : Le générique ne représente toujours que 40% du marché du médicament (Mohamed Houbachi)

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