La Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM) a cristallisé les orientations du secteur privé afin d’enclencher le processus d’entrée du Royaume dans une nouvelle ère industrielle. Il aura fallu pratiquement un mois au patronat pour faire mijoter ses idées et recommandations et les consigner dans un Whitepaper retraçant les orientations du secteur privé pour le développement de l’industrie nationale sur les 20 prochaines années. Ce document, élaboré suite à la Journée nationale de l’industrie, tenue à Casablanca le 29 mars dernier, avec le concours de toutes les fédérations industrielles de la CGEM, constitue une feuille de route «claire» des actions à mener sur les prochaines années pour assurer la souveraineté industrielle nationale, vivement recommandée par la Lettre Royale adressée par le Souverain aux participants de la Journée de l’Industrie.
La Confédération, qui arbore désormais le slogan d’Entreprises du Maroc, estime que le pays a construit une trajectoire jugée «exemplaire» sur les 20 dernières années, à travers des infrastructures de «rang mondial», mettant à disposition des industriels un environnement «mature» et «compétitif» via les stratégies industrielles successives. Mais pour atteindre le développement industriel souhaité sur les 20 prochaines années, le pays demeure confronté à de nombreux défis. En effet, détaille la CGEM, les crises mondiales vécues ces dernières années ont démontré la dépendance de beaucoup de pays, dont le Maroc, aux importations. La preuve : la montée du prix de transport conjuguée à la hausse des prix des matières premières a mis à mal la compétitivité des opérateurs économiques. Afin de réduire cette dépendance aux importations, le patronat ne mâche pas ses mots : il faut soutenir les produits de substitution et donc promouvoir la production locale.
Dans cette configuration, la CGEM estime que l’État a un rôle majeur à jouer, à travers une meilleure accessibilité aux marchés publics, mais aussi par la mise en place de mécanismes de financement et de soutien à l’investissement. Ce qui est de nature à faciliter aux entreprises l’essor de leur activité. Aux yeux du patronat, l’État a la responsabilité de mettre à disposition du foncier industriel de qualité et en volume suffisant, proche des plateformes logistiques et des bassins d’emploi, pour subvenir aux besoins des industriels. De leur côté, les opérateurs industriels doivent préparer l’économie de demain.
Pour cela, juge la CGEM, il est primordial de renforcer l’investissement en innovation et R&D, pour une valorisation locale plus importante et l’amélioration de la productivité du pays. De même, il est tout aussi essentiel de faire face au défi environnemental avec ses conséquences commerciales vis-à-vis des partenaires historiques du Royaume, en mettant en place des pratiques de production durables visant la décarbonation et l’efficacité énergétique, en plus de la préservation de la ressource eau.
«Toutes ces avancées ne pourront se matérialiser sans le renforcement et la mise à niveau des compétences face aux nouvelles exigences du marché, afin d’accompagner la montée en gamme du tissu industriel et la création de nouveaux métiers», insiste le patronat. L’amélioration de ces différents facteurs clés pour l’industrie nationale permettront d’accroître la compétitivité industrielle de la destination Maroc et ses opérateurs industriels et de redéfinir sa position dans les chaînes de valeur mondiales sous un nouveau prisme. Les entreprises marocaines pourront alors mettre à profit une position stratégique, géographique et diplomatique afin de diversifier les marchés à l’export et étendre leur empreinte commerciale sur la région du Moyen-Orient et de l’Afrique, tout en contribuant activement au développement de la souveraineté industrielle continentale. Pour relever tous ces défis, la CGEM n'y va pas par quatre chemins : un partenariat public-privé fort, franc et pragmatique est à perpétuer.
La substitution à l’importation, seul chemin vers la souveraineté industrielle
Afin de réduire la dépendance aux importations, la CGEM revient à la charge en rappelant qu’il est essentiel d’encourager les produits de substitution en donnant tout avantage au Made in Morocco, constituant la future locomotive qui permettra au pays de réaliser un bond «significatif» en termes de compétitivité. D’ailleurs, rappelle le patronat, le Message Royal aux participants à la Journée nationale de l’industrie a bien défini le Made In Morocco comme étant une action à prioriser. La CGEM suggère dans son Whitepaper 3 volets d’action. D’abord, il s’agit d’associer les programmes de financement et de subvention de l’État à un niveau d’intégration locale. Sur ce volet, le patronat recommande 4 actions essentielles : le conditionnement des subventions octroyées à un niveau minimal de sourcing local, l’incorporation dans la passation des marchés de l’obligation de l’intégration locale et en profiter pour lancer des écosystèmes associés innovants, le référencement des produits locaux auprès des grands donneurs d’ordres publics et la simplification de l’accès aux marchés publics et semi-publics à la PME productive.
Ensuite, dans le 2e volet d’actions que propose la CGEM, l’accent est mis sur le développement du niveau d’intégration locale et l’accélération de la politique d’import-substitution. Pour y arriver, le secteur privé suggère d’accélérer la mise en place des normes des produits industriels marocains et les rendre obligatoires pour lutter contre des importations massives et sans contraintes. Autre recommandation, appliquer la réciprocité des barrières non tarifaires liant le Maroc avec les autres pays, surveiller les marchés et renforcer le contrôle aux frontières. Un soutien au «Made with Morocco» est tout aussi déterminant aux yeux de la CGEM qui appelle à un renforcement des synergies entre entreprises marocaines et étrangères dans un esprit de co-développement et de co-investissement.
Enfin, le 3e volet porte sur la mise en place d’une politique de valorisation et de rayonnement du Made in Morocco, et ce à travers l’élaboration d’une stratégie nationale de valorisation et de promotion des marques marocaines. Ce qui devrait aboutir à la mise en place d’un label du produit fabriqué au Maroc, avec des campagnes de communication et de sensibilisation auprès des citoyens pour expliquer que l’acte d’achat d’un produit local déclenche des opportunités d’emploi. La CGEM estime au même titre d’importance le développement d’un label «contenu marocain certifié» et l’opérationnalisation de la préférence des produits marocains dans la commande publique.La R&D pour une montée en puissance de l’industrie
C’est presque une vérité chez les industriels. L’innovation et la R&D jouent un rôle crucial dans le développement industriel mondial, permettant, à travers la technologie, une amélioration continue des performances des opérateurs, en vue d’une montée en gamme de l’activité industrielle, ainsi qu’une différenciation en compétitivité. Pour la CGEM, les dépenses dans la R&D dans le contexte industriel actuel ne peuvent plus être considérées comme un coût supplémentaire, mais plutôt comme un investissement productif dont le rendement est mesurable. D’ailleurs, argue le patronat, les 5 pays concentrant plus de la moitié des dépenses mondiales en R&D figurent parmi les plus industrialisés dans le monde : les États-Unis, la Chine, le Japon, l’Allemagne ou encore la Corée du Sud. Et cela a un impact direct sur la croissance économique puisque selon une étude de l’OCDE, une augmentation de 1% des dépenses de R&D par rapport au PIB entraînerait une augmentation de 0,1 à 0,4% de la croissance économique à long terme. Pour la CGEM comme pour les experts industriels, les moyens financiers mis à disposition pour le développement de la R&D ont longtemps été limités au Maroc. Ne jurant que par les chiffres, le patronat indique que les dépenses en R&D se sont situées à moins de 0,8% du PIB en 2019, par rapport à une moyenne des pays de l’OCDE de 2,3%. Du pain sur la planche donc pour l’État et le secteur privé pour rattraper ce retard.
Dans son Whitepaper, le patronat avance que les outils d’intervention publics existants ne permettent pas d’atténuer les risques élevés auxquels sont exposés les entreprises, notamment les plus petites et celles à taille intermédiaire, quand elles souhaitent investir dans l’innovation pour la montée en gamme ou l’exploration de nouvelles activités productives. Par manque d’encouragement, il en résulte que la montée en gamme de l’industrie nationale est plus lente que celle des autres pays émergents. D’ailleurs, le rapport sur le nouveau modèle de développement (NMD) corrobore ce constat tout en proclamant l’innovation comme l’un de ses socles, avec l'objectif d’atteindre un nombre de brevets déposés annuellement de 1.000 en 2035 (vs 300 actuellement au Maroc, 2.000 au Portugal et en Malaisie et plus de 10.000 en Turquie). Dans ce sens, la CGEM rappelle avoir longtemps plaidé vis-à-vis des pouvoirs publics pour un accompagnement pour la promotion de l’innovation industrielle.
La confédération suggère concrètement l’accélération du déploiement des cités d’innovation au niveau de chaque région en favorisant les synergies entre les startups et les entreprises industrielles afin de développer des solutions innovantes futures. Elle suggère également la création de groupements d’intérêt public (GIP) constitués par l’État-régions-privé. Ces plateformes peuvent constituer, selon la CGEM, un nouveau cadre à explorer pour faciliter la réalisation de projets prioritaires de recherche appliquée collaborative et lever les difficultés liées à l’orientation, à la mobilisation des chercheurs et à la gestion des fonds alloués. De même, un rapprochement Université-Entreprise, à travers notamment le renforcement des programmes de formation dans les écoles d’ingénieurs en lien avec l’industrie 4.0, est tout aussi stratégique. Sans oublier, la collaboration avec les centres de recherche pour le portage de projets de recherche appliquée adaptés aux besoins des entreprises.
Les ingrédients d’un nouveau capitalisme marocain
Dans son Whitepaper, le patronat souhaite l’émergence d’un nouveau capitalisme marocain en associant un ensemble d’ingrédients qui constituent à ses yeux des clés importantes. Il s’agit concrètement d’encourager les soumissions des PME aux marchés publics en allouant mieux les marchés publics afin d’offrir à ces structures de nouvelles opportunités de diversification. Pour cela, développe la CGEM, il faudrait accompagner les soumissionnaires à se conformer aux critères d’attribution des marchés. Objectif, permettre à la commande publique d’être un véritable levier stratégique de développement économique et social. Autre mesure recommandée : alléger et simplifier les procédures de soumission en réduisant les références demandées par les institutions publiques afin de faciliter l’accès aux startups et aux TPME. Il conviendrait ainsi, selon la CGEM, de mettre en place des dispositifs moins contraignants et moins sélectifs. Les exigences actuelles présentent des inconvénients et des obstacles certains, qui aboutissent à éliminer des entreprises ayant du potentiel comme les startups et les TPME, affirme le patronat.
L’une des propositions de la CGEM, c’est la création de nouveaux statuts comme «les gazelles marocaines». Ce qui permettrait de donner à certaines sociétés un accès privilégié à l’État et aux entreprises publiques. Dans ce sens, les entreprises bénéficiaires de ce statut pourront profiter d’un accompagnement de haut niveau et d'un accès privilégié aux marchés publics. Le tout assorti de la promotion de l’émergence de nouveaux secteurs stratégiques, comme la Tech. Dans ce sens, il faudrait mettre en place des plans de commande publique sectoriels avec une enveloppe pour chaque plan et un cadre clair afin de donner de la visibilité aux acteurs opérants dans le secteur en questionFoncier industriel : débrider la réserve de l’État
C’était attendu. La CGEM est encore une fois revenue dans son withepaper sur la problématique du foncier industriel qui représente, aux côtés d’autres aspects, un facteur déterminant de la compétitivité des entreprises. Pour le patronat, l’amélioration de son accessibilité représente un enjeu majeur pour promouvoir et encourager l’investissement productif créateur de valeur ajoutée et d’emplois durables. Le NMD est d’ailleurs clair à ce sujet et inscrit le «foncier» parmi les facteurs de production freinant le dynamisme entrepreneurial, aux côtés de la logistique et de l’énergie.
En effet, le Maroc dispose de 150 zones industrielles aménagées ou en projet, représentant une superficie brute d’environ 12.000 hectares. Et malgré la mise en place de certaines réformes, le secteur privé soutient que l’accès au foncier industriel continue à être un véritable parcours du combattant pour les entreprises marocaines. Motifs : l’étroitesse de la réserve foncière, l’indisponibilité d’un foncier industriel adapté et les procédures administratives associées ou encore la compétitivité prix. Pour y remédier, le patronat recommande d’adopter une approche tirée par la demande économique et non par l’opportunité foncière, pour l’identification et la priorisation des besoins en foncier industriel, en intégrant les acteurs privés dans les processus d’élaboration et de planification des documents d’urbanisme.De même, il serait judicieux d’après la CGEM de développer des zones d’activité de qualité et à prix compétitifs accessibles, en achat et en location, aux TPME en particulier. Il est préférable de privilégier ainsi la location de longue durée pour l’attribution du foncier public à des activités économiques, en favorisant des projets à forte valeur ajoutée locale. À cela s’ajoute l’amélioration du modèle opératoire des zones industrielles, nécessaire pour optimiser leur niveau d’exploitation. La CGEM juge important que l’État mette à la disposition des régions une assiette foncière suffisante et adaptée à leurs potentialités d’investissement et qu’il encourage l’investissement productif par une offre de bâtiments industriels clés en main et de terrains industriels à la location.
Transport et logistique : la réforme plus qu’urgente !
Dans la logistique et le transport, la CGEM affirme appuyer fortement la nécessité de la refonte de ce secteur, stratégique et de souveraineté. Tous les efforts doivent, selon le patronat, être consentis pour assurer la mise en œuvre de cette recommandation, «en priorité et de façon urgente». L’objectif à terme est de positionner le Maroc en tant que hub multisectoriel, à travers notamment la mise en place d’un hub logistique au carrefour des trois continents : l’Afrique, l’Europe et l’Asie. Il est également nécessaire, aux yeux de la CGEM, pour le secteur de contribuer, à l’instar de l’énergie par exemple, à la création d’un choc de compétitivité par la réduction des coûts logistiques et l’amélioration de la qualité des services par la restructuration du secteur.
Cette refonte de la logistique et du transport devra s’appuyer, selon les explications du patronat, sur différentes mesures. Il s’agit notamment de la structuration des acteurs du secteur par l’agrégation des petits opérateurs, l’émergence de logisticiens performants et la présence d’acteurs internationaux, y compris dans les services de transport de marchandises, dans les services d’entreposage et de livraison de bout en bout, nécessaires au développement du e-commerce. Pour le secteur privé, il est également important d’enclencher une révision des coûts logistiques de manière à approfondir la problématique des surestaries en vue de réduire sérieusement leur impact sur le renchérissement des coûts logistiques.La CGEM rappelle par ailleurs que la stratégie logistique présente des enjeux économiques «importants» puisqu’elle ambitionne de réduire le poids des coûts logistiques en interne par rapport au PIB pour passer de 19,6 à 16% en 2026 et à 12,5% en 2035, soit un gain de 0,7 point du PIB par an. Elle suggère en outre de mettre en place des alliances visant à limiter l’impact des fluctuations des prix et de l’offre du transport international origine/destination Maroc et ainsi maintenir la compétitivité des exportations. Enfin, estime le patronat, le renforcement de la capacité financière des opérateurs serait également une bonne solution à travers un allègement des coûts de structure en réduisant les coûts d’autoroute, l’instauration du gasoil professionnel et la diminution du coût de la vignette pour des camions propres type euro 5 ou 6, de même que la mise en place de mécanismes de financement intéressants auxquels les entreprises du transport et de la logistique pourront accéder à des coûts «raisonnables».
Lire aussi : Les conditions pour que le Maroc opère sa révolution industrielle souveraine
Lire aussi : Ce qu'il faut retenir de la première journée nationale de l'Industrie
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