Nouveau rebondissement pour le projet de loi organique n°86.15 fixant les modalités et conditions d’intenter des recours pour inconstitutionnalité d’une loi. La Cour constitutionnelle vient de juger en effet non conformes à la Constitution les mesures entreprises pour adopter ce projet de loi. En mars 2018, et après l’adoption du premier texte en seconde lecture à la Chambre des représentants à la majorité, la Cour constitutionnelle avait également décrété, via sa décision n°70-18, que certaines dispositions de ce projet de loi organique fixant les modalités d’application de l’article 133 de la Constitution n’étaient pas conformes ou contraires à la Constitution.
Le projet de loi soumis au Parlement avant la délibération en Conseil des ministres
Dans les attendus de sa décision, la Cour constitutionnelle souligne que le projet de loi organique n°86.15 devait être soumis au Conseil des ministres pour délibération, avant d'être déposé au bureau de la Chambre des représentants. Dans le détail, la Cour précise que la Constitution lorsqu'elle confère spécifiquement au Roi la présidence du Conseil des ministres, elle entend assurer à Sa Majesté la supervision et la direction du déroulement des délibérations concernant certains sujets, prenant la forme de questions et de textes, revêtant un caractère stratégique dans la vie de la Nation, au nombre desquels figurent les lois organiques qui s'inscrivent, à côté des dispositions de la Constitution, dans le recueil du massif constitutionnel.
De même, la Cour souligne que la délibération est un processus qui se termine par la prise d'une décision sur la question ou le texte qui en fait l'objet, et que les exposés et les informations présentés dans le cadre de ces délibérations conservent un caractère informatif et servent à préparer la prise de décision, et ne font en aucun cas office de décision du Conseil des ministres à l'issue des délibérations (portant sur la question ou le texte), de même qu’ils ne peuvent pas non plus tenir lieu des instructions et directives données par Sa Majesté le Roi.
La Cour constitutionnelle rappelle également, dans les considérants de sa décision, que l'article 49 de la Constitution emploie, dans son libellé, les termes «questions» et «textes» en ce qui concerne les sujets à délibérer en Conseil des ministres, ce qui implique que dans le cas des lois organiques, les délibérations portent sur des textes. Aussi, la Cour souligne qu'il ne convient pas de procéder au dépôt des projets de loi organique de manière anticipée au bureau de la Chambre des représentants, avant qu'ils n'aient fait l'objet de délibération en Conseil des ministres et que la notion de délibération ne se limite pas à la simple présentation de données en rapport avec le texte, mais va bien au-delà pour inclure la prise de décision par le Conseil des ministres.
Se fondant sur ces considérations, la Cour constitutionnelle relève que la lecture du communiqué sanctionnant les travaux du Conseil des ministres présidé par S.M. le Roi, tenu le 4 juin 2019, fait ressortir deux points :
• Le premier concerne la présentation faite par le ministre de la Justice d’un exposé sur la mise en conformité de certaines dispositions de la loi organique fixant les conditions et modalités de l’exception d’inconstitutionnalité d’une loi, avec la décision de la Cour constitutionnelle n° 70/18.• Le deuxième point concerne les projets de loi et de décret adoptés lors de ce Conseil des ministres, dont ne fait pas partie le projet de loi organique n°86.15.La haute juridiction constitutionnelle retient également de l'examen du reste des documents du dossier que ce projet de loi organique a été déposé, en priorité, au bureau de la Chambre des représentants le 16 février 2022, sans être inscrit sur la liste des projets de textes adoptée par le Conseil des ministres. Pour toutes ces considérations, la Cour constitutionnelle a jugé donc que les mesures entreprises pour l'adoption de la loi organique n°86.15 ne sont pas conformes à la Constitution.Recours pour inconstitutionnalité : Retour à la case départ
Avec cette décision, la Cour constitutionnelle renvoie à nouveau ce projet de loi organique à la case départ. Le 6 mars 2018, la Cour constitutionnelle avait également jugé que certaines dispositions de cette loi organique n’étaient pas conformes ou contraires à la Constitution. Le ministère de la Justice a donc dû travailler sur un nouveau projet tenant compte des effets juridiques de la décision de la Cour constitutionnelle et le projet initial a été modifié sur six points, dont certains avaient motivé son rejet. Les principales modifications introduites sur le premier texte ont pour objectif notamment de :
- Créer une (ou plusieurs) instance(s) au sein de la Cour constitutionnelle, composée(s) de pas moins de trois magistrats, chargée(s) de filtrer les recours en inconstitutionnalité devant les différentes juridictions ou devant la Cour de cassation et d’en examiner le sérieux.
- Conférer au ministère public la qualité de partie dans le recours en inconstitutionnalité d’une loi.
- Mentionner dans la note du recours en inconstitutionnalité uniquement la disposition législative qui en fait l’objet.
- Accorder aux parties le droit de faire un nouveau recours, même après avoir prononcé un jugement ne pouvant faire l’objet de pourvoi en cassation, s’il est fondé sur une disposition législative jugée inconstitutionnelle par la Cour constitutionnelle.
- Accorder à la Cour constitutionnelle le pouvoir discrétionnaire de décider d’organiser des séances à huis clos pour des raisons d’ordre public.
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