Le faste d’antan n’est qu’un souvenir, difficile à raviver. Le secteur immobilier, qui a connu durant les années 2000 son âge d’or, pleure aujourd’hui ses sombres jours. Il vit les pires moments de son histoire. Et les chiffres sont là pour l’attester. Valeur d’aujourd’hui, les mises en chantier ont baissé de plus de 50%. Les demandes d’autorisations de construire sont sur la même pente baissière. Le crédit aux promoteurs immobiliers peine à se redresser. Et bien entendu, il y a cette insolente inflation qui se maintient et qui déstabilise les affaires.
C’est là le triste tableau du secteur immobilier. Mais comment n’a-t-on pas pu éviter cette décadence ? Comment peut-on se relever ? Pour débattre de cette situation, le Groupe Le Matin y a consacré l’une des ses Matinales. L’événement a été organisé vendredi dernier à Casablanca sous le thème «Marché de l’immobilier : à quand le redécollage ?» Y étaient présents, entre autres, les professionnels de l’écosystème du secteur de l’immobilier, venus lancer leur cri de désespoir et demander une prise en charge de leur activité agonisante.
Aujourd’hui, acquérir un logement n’est pas une priorité
Pour Anice Benjelloun, vice-président de la FNPI (Fédération nationale des promoteurs immobiliers), «la situation était très compliquée bien avant la crise inflationniste, et continue de l’être. Le pouvoir d’achat des Marocains a été réduit. Aujourd’hui, acquérir un logement n’est pas une priorité. La demande existe toujours, mais les capacités de financement ne suivent pas. Le renchérissement assez important des matériaux de construction complique davantage la situation. Le secteur souffre aussi d’une surtaxation qui s’installe. Rien que cette année, trois taxes supplémentaires sont venues grever le secteur. Il s’agit de celle sur le permis d’habiter, de celle sur l’évacuation des gravats des chantiers et de celle qui devrait être appliquée au profit des régies sur les eaux pluviales et qui tourne autour de 300.000 DH/hectare».
Taux directeur : une valse à trois temps ou plus
Avec la hausse des prix des intrants et la baisse du pouvoir d’achat, la marge des promoteurs est réduite. Sur ce point, il faut aussi rappeler le relèvement du taux directeur. Bank Al-Maghrib a jugé utile, à tort ou à raison, que pour combattre l’inflation, il fallait relever ce taux. L’opération a été répétée trois fois. Ce qui n’est pas sans incidences sur la demande de crédit aussi bien pour les acheteurs des biens immeubles que pour les promoteurs. «Les banques ont fait l’effort et n’ont pas répercuté cette augmentation des taux d’intérêt à 100%. La hausse a été entre 60 et 100 points de base pour les acquéreurs et certains promoteurs. Même avec ce relèvement, les taux d’intérêt sont restés relativement compétitifs et on est loin de ceux pratiqués avant 2015. La crise que vit le secteur de l’immobilier n’est pas causée par la hausse des taux d’intérêt», affirme Tarik Bousag, directeur du Pôle immobilier à CIH Bank. Selon ce dernier, les banques continuent d’accompagner les promoteurs immobiliers. «Certes, mécaniquement les volumes des crédits ont baissé, car les promoteurs sont dans l’attentisme et les mises en chantier ont baissé», ajoute le banquier. Selon ce dernier, la situation du secteur est très compliquée. «Cela se vérifie dans le resserrement de leurs marges, qui est la conséquence de la hausse des prix des matériaux de construction. Ces marges sont à un niveau historiquement bas», précise Boussag.
Mais la valse du taux directeur risque de continuer. On prévoit et on craint un quatrième relèvement de 50 points de base. «Cela devrait s’opérer très prochainement», note le vice-président de la FNPI, qui ne partage pas le point de vue du banquier sur la répercussion par les établissements bancaires de la hausse du taux de la Banque centrale. «Nous sommes dans une période de stagflation et nous ne comprenons absolument pas comment on peut relever le taux directeur en ces temps. Cette entreprise ne peut que ralentir la croissance économique», lance le promoteur. En effet, ce relèvement a fait que les banques sont beaucoup plus regardantes quand il s’agit d’octroyer des crédits, car les créances en souffrance ont augmenté, notamment dans certains créneaux comme le programme Fogarim.Immobilier : Ralentissement ou crise ?
La crise que traverse le secteur n’est pas nouvelle. «Cela fait plus de dix ans que le secteur immobilier peine à redécoller et à reprendre son rythme de croissance des années 2000-2010. La succession de crises, Covid, inflation… et leur impact ont poussé des promoteurs à se convertir dans d’autres secteurs où la rentabilité est assurée. Le logement social, qui était un levier de développement du secteur, est à l’arrêt. Le mécanisme qui devrait le relancer tarde à voir le jour. Globalement, il y a une compression de la demande et de l’offre», note Khalid Iben Yaich, principal Valyans Consulting Rabat/Casablanca. Pour ce dernier, la situation actuelle peut être qualifiée pour le moment de ralentissement, mais qui peut se transformer bientôt en crise. «L’encours des entreprises tous secteurs confondus a augmenté, sauf celui du secteur immobilier, qui s’est contracté de près de 6%. S’il y a un décrochage entre l’économie et le secteur immobilier, là il y aura crise», précise Iben Yaich. Commentant l’intervention d’Iben Yaich, Anice Benjelloun insiste sur le mot crise. «Nous ne pouvons parler de ralentissement avec 50% de baisse de l’activité. C’est un signal fortement inquiétant, car le secteur ne se limite pas aux seuls promoteurs immobiliers. Il englobe tout un écosystème. Cette année, 13.000 entreprises ont déposé leurs bilans. La moitié de ces dernières appartiennent à notre secteur!» s’exclame le vice-président de la FNPI. Pour ce dernier, il y a urgence, car il faut sauver les emplois.
Promoteurs immobilier, gouvernement, banques... la responsabilité ou le jeu de la patate chaude
La situation étant ce qu’elle est, la question à se poser est de savoir qui en est responsable. Les promoteurs, le gouvernement ou les banques? Pour le vice-président de la FNPI, la responsabilité est partagée par tout le monde. «Cela étant, il faut garder à l’esprit que le promoteur immobilier est un point nodal de plusieurs contraintes. Il y a le foncier dont le prix ne cesse d’augmenter, notamment dans les villes du littoral où il représente 50% du prix de revient du bien, contre 20 à 25% ailleurs. C’est une anomalie. Il s’agit là d’un problème de gestion urbanistique qu’il faut résoudre», insiste Benjelloun.
En attendant le Conseil de la concurrence
Les promoteurs immobiliers se plaignent aussi de certaines pratiques locales qui consistent à augmenter indûment les prix des matériaux de construction. Leur fédération, la FNPI, a d’ailleurs saisi le Conseil de la concurrence il y a déjà une année. Mais jusqu’à maintenant, aucun retour de la part de l’instance dirigée par Ahmed Rahhou. Ces hausses sont des contraintes pour la production du secteur qui s’ajoutent aux autres freins. «Il est urgent de trouver des mécanismes qui permettent de réduire au maximum les coûts pour relancer le secteur, car le pouvoir d’achat des Marocains est faible», souligne Benjelloun. Sur ce point, il faut préciser que 90% de la demande en logement concerne des superficies de 50 à 70 m² pour un prix de 5.000 à 6.000 le m². Agir sur les coûts serait difficilement réalisable par les promoteurs, et ce au regard des prix du foncier et ceux des matériaux de construction.
La soupape du logement social
Le programme du logement social, une soupape aussi bien pour les promoteurs que les acquéreurs, a pris fin en 2020. Et depuis cette date, les professionnels attendent que le mécanisme des subventions directes aux acquéreurs voie le jour. Cette aide a déjà existé par le passé et consistait à soulager les promoteurs de certaines taxes en contrepartie de la vente plafonnée à 250.000 DH l’unité. Cette aide a bénéficié à l’acquéreur et non au promoteur qui n’aurait pas pu produire à 250.000 DH s’il devait payer toutes les taxes. Cette aide a également profité aux caisses de l’État. Nous avons estimé que chaque logement social lui rapportait entre 40.000 et 50.000 DH», fait savoir Benjelloun. Mais selon ce dernier, produire aujourd’hui un logement social à ce prix n’est plus possible, même avec la défiscalisation, étant donné que les prix des matériaux de construction et du foncier ont augmenté (1.800 DH/m² à Casablanca pour ce type de construction contre 800 auparavant). «Nous avons émis des remarques au ministère de l’Habitat par rapport à ce mécanisme, sachant que nous étions à l’initiative de la proposition de ces aides. Cela prend du temps, car il y a des contraintes pour trouver un consensus gouvernemental au regard de l’intervention de plusieurs instances dans le secteur», note Benjelloun. Mais peut-on espérer que ces aides voient le jour cette année ? «On ne peut pas parler à la place du ministère. Mais aujourd’hui, il y a plusieurs problèmes à régler et des arbitrages à faire. C’est le cas entre autres du stress hydrique, de l’éducation… Mais les promoteurs et les acheteurs ont besoin de visibilité. À défaut, la situation risque d’empirer», prévient Iben Yaich.
Le promoteur immobilier «n’est pas un goujat»
Toutes ces problématiques ont été discutées avec le ministère de l’Habitat. «Nous avons des contacts réguliers avec le ministère, qui est à l’écoute et bien conscient de la situation. Mais le secteur de l’immobilier est transversal avec plusieurs intervenants, dont différents ministères. Avant toute stratégie visant à relancer le secteur, il faut corriger l’image qu’a l’inconscient collectif du promoteur immobilier. Il est perçu comme un goujat qui s’enrichit outrageusement. Cette époque, si elle a bien existé, est révolue depuis très longtemps», affirme Benjelloun. Pour bien appuyer son affirmation, le vice-président de la FNPI sort quelques chiffres et des données sur le secteur. Il affirme ainsi qu’un projet immobilier dure en moyenne trois à quatre ans. L’obtention de l’autorisation de construire peut prendre un an. «Quelle que soit la marge engrangée par le promoteur, cela se fait sur trois ans. Il se retrouve avec une marge de 3 à 4% par an. Ce qui est inférieur à ce que réalisent d’autres secteurs», révèle Benjelloun.
La FNPI demande une équité fiscale
En plus de l’IS et de la TVA, le secteur est soumis à une panoplie de taxes. Il y a les taxes communales qui augmentent, les taxes au niveau des Agences urbaines, les taxes au profit de la Protection civile, les taxes au profit des régies, le droit d’enregistrement (4% pour le promoteur et 4% pour l’acheteur) et des taxes au niveau de la conservation foncière. Sous d’autres cieux, les droits à payer pour un logement neuf sont autour de 1,8 à 2%. Au Maroc, les droits de mutation (enregistrement et conservation foncière) pour l’acquéreur se situent entre 10 et 12%. «On surtaxe d’un côté et on se dit qu’on va aider le consommateur. C’est incohérent», regrette Benjelloun qui demande «une équité fiscale avec d’autres secteurs dans l’intérêt du consommateur».
---------------------------------------------------------------------------------------------------------
Ils ont dit
Anice Benjelloun, vice-président de la FNPI : «Entre l’aide directe que l’État veut attribuer aux consommateurs et la surtaxation du secteur, il y a incohérence»
«L’État a compris que le citoyen rencontrait des difficultés à financer l’achat d’un bien immobilier et à donner une avance. Il fallait donc lui apporter une aide directe pour lui permettre d’accéder au logement. Mais, par ailleurs, il y a là une contradiction à relever. Le secteur du bâtiment est soumis, contrairement à d’autres secteurs d’activité, à une panoplie de taxations supplémentaires qui le plombent. Au-delà de l’IS et de la TVA, c’est-à-dire les taxes classiques qui s’imposent à tous, il s’agit des impôts spécifiques comme les taxes communales, des Agences urbaines, de la Protection civile, les droits d’enregistrement en plus des taxes de la conservation foncière. Ces taxes n’ont cessé d’augmenter et c’est, à mon avis, une spécificité marocaine. Cumulés, les droits d’enregistrement et de la conservation sont autour de 10 à 12% pour l’acquéreur. Ces droits s’ajoutent bien sûr à ceux des promoteurs immobiliers, le secteur se retrouve ainsi surtaxé. Il y a donc une certaine incohérence ! On va faire toute une gymnastique fiscale pour prendre des taxes aux promoteurs pour aider les acquéreurs de l’autre côté. Il serait donc plus pratique d’alléger cette pression fiscale sur le secteur. Il s’agit pour la FNPI d’appeler à une équité fiscale dans l’intérêt du consommateur.»
Khalid Iben Yaich, principal Valyans Consulting Rabat/Casablanca : «Un observatoire de l’immobilier est une urgence pour permettre l’accès à la donnée»
«Le traitement et le partage des données devient très important pour le secteur, notamment dans un contexte marqué des changements rapides. Il est donc important d’avoir une visibilité sur le marché et c’est encore plus important pour les acteurs publics qui doivent prendre des décisions pour le secteur. Aujourd’hui, hormis quelques chiffres clés et des indicateurs macro, il n’y a quasiment pas de données détaillées, que ce soit au niveau national ou régional, et encore moins local. Pourtant, au niveau des Agences urbaines et de la Conservation foncière, la data existe, mais il y a un problème de gouvernance. Pour ouvrir les données, il faut d’abord préparer le cadre réglementaire dans le respect de la loi d’accès à l’information. Aujourd’hui, il existe des observatoires mis en place par plusieurs institutions, mais qui sont finalement devenus des coquilles vides, parce qu’il y a un travail continu qui doit être réalisé et de manière permanente. Un observatoire pour le marché de l’immobilier doit présenter des données fiables, effectuer des enquêtes… et pour cela, il faut un budget et une bonne gouvernance. À cela s’ajoutent un manque de culture de partage des données, même entre les professionnels, et une mauvaise maîtrise de l’informel qui fausse les statistiques officielles.»
Tarik Bousag, directeur du Pôle immobilier à CIH Bank : «La baisse du pouvoir d’achat implique une augmentation des créances en souffrance dans le segment des crédits immobiliers»
«Les chiffres le démontrent clairement : du côté du financement des promoteurs immobiliers, nous constatons un resserrement des marges bénéficiaires, mais nous continuons à financer les projets dans le secteur. On note également une baise des crédits immobiliers au niveau de la demande et non pas de la volonté des banques d’octroyer ces emprunts. Du côté du financement des acquéreurs, on constate une augmentation des créances en souffrance, surtout dans le segment du logement social. Ceci est dû principalement à la baisse du pouvoir d’achat. L’augmentation du taux des impayés implique de la part du secteur bancaire plus de vigilance, d’analyse du segment concerné et probablement de demander plus d’efforts aux acquéreurs. La baisse de distribution de crédit pour le logement social est donc plus une conséquence de l’inflation et du pouvoir d’achat qui a rétréci. L’augmentation des taux reste donc à la marge par rapport à ce constat et n’explique que relativement cette baisse. Toutefois, nous recevons encore beaucoup de demande de crédit de promotion immobilière, car le besoin est là. De plus, nous avons d’autres segments de l’immobilier, comme l’immobilier industriel, qui marchent encore très bien.»
Lire aussi : Immobilier : Baisse des ventes de 15,4% et des prix de 0,7% en 2022