Le Haut-Commissariat au Plan (HCP) vient de publier son Budget économique exploratoire 2024, qui présente une révision de la croissance économique en 2023 et les perspectives pour l'année 2024. Il y livre des conclusions sur les facteurs impactant l'économie marocaine, de nature à permettre au gouvernement et aux décideurs de prendre conscience de l'évolution prévue en 2024 et de constituer un cadre de référence pour la fixation d'objectifs économiques appuyées par d'éventuelles mesures, notamment dans le cadre de la Loi de Finances 2024.
Voici les principales prévisions économiques actualisées du HCP :
- Croissance du PIB : 1,3% en 2022, 3,3% en 2023 et 3,6% en 2024
- Croissance de la valeur ajoutée non agricole : 3% en 2022, 2,9% en 2023 et 2,9% en 2024
- Croissance de la valeur ajoutée primaire : -12,7% en 2022, 6,6% en 2023 et 8,2% en 2024
- Inflation : 3,1% en 2022, 2,8% en 2023 et 1,8% en 2024
- Déficit commercial (en % du PIB) : -23,2% en 2022, -21,8% en 2023 et -22,1% en 2024
- Besoin de financement (en % du PIB) : -3,5% en 2022, -0,8% en 2023 et -1% en 2024
- Déficit budgétaire (en % du PIB) : -5,2% en 2022, -4,8% en 2023 et -5% en 2024
- Taux d'endettement global (en % du PIB) : 86,1% en 2022, 85,8% en 2023 et 86,5% en 2024
Voici les principales conclusions du HCP sur l'évolution de la situation économique du Maroc :
Les perspectives d’évolution de l’économie nationale demeurent modérées et tributaires des secteurs traditionnels qui entravent la réalisation d’une croissance économique génératrice d’un niveau d’emploi et de revenus satisfaisants. La poursuite des pressions inflationnistes conjuguée au resserrement des conditions de financement, pèse lourdement sur l’expansion de la demande intérieure. De surcroit, la dépendance étroite aux marchés extérieurs en intrants et en matières premières, notamment celles à caractère stratégique, constitue un obstacle à une contribution positive stable de la demande extérieure à la croissance économique.
La récente poussée inflationniste a clairement démontré que la structure des prix internes est largement influencée par les fluctuations des cours sur les marchés étrangers, en particulier pour les matières premières stratégiques alimentaires et énergétiques. Cette dépendance a mis en évidence la vulnérabilité du pouvoir d’achat des ménages qui a été préservé avant la crise covid grâce principalement au faible niveau d’inflation qui a caractérisé l’économie nationale. En effet, le pouvoir d’achat a marqué une baisse remarquable en 2022 de 3,9% sur fond d’une évolution de 6,6% de l'indice des prix à la consommation, avec une contribution de près de 63% des produits alimentaires et boissons non alcoolisées, et de près de 19% des transports. Force est de constater que le niveau des prix de ces produits, à caractère stratégique pour la souveraineté économique, demeure élevé et ce malgré les subventions substantielles accordées dans le cadre des politiques économiques mises en place pour l’endiguement de leur inflation.
Au-delà des facteurs conjoncturels, la propagation de l’inflation a été amplifiée par les facteurs internes structurels de l’économie nationale, notamment ceux relatifs à l’insuffisance de l’offre, les disfonctionnements des circuits d’approvisionnement et de commercialisation ainsi que le large degré de dépendance des composantes de la demande intérieure aux importations. Dans ce sillage, il est plus que jamais nécessaire d’œuvrer pour le développement des capacités productives et réduire les fluctuations des performances du secteur agricole afin d’assurer un niveau de production stable et résilient face aux aléas climatiques, notamment dans le segment céréalier. En effet, le rendement céréalier n’a progressé que légèrement au cours des 40 dernières années, en passant de 10,4 Q/Ha en moyenne sur la période 1980-1999 à seulement 13,3 Q/Ha en moyenne sur la période 2000-2020, tout en restant en deçà de la moyenne mondiale et de celle des pays de la région MENA qui affichent un rendement moyen de 15,8 Q/Ha et de 23,3 Q/Ha respectivement sur les deux périodes. Cette orientation s’impose d’autant plus que le changement climatique que connaît le Maroc, à l’instar des pays du monde, est conjugué à une surexploitation des ressources en eau qui ont induit à un stress hydrique structurel. L’état actuel des eaux souterraines et de surface est devenu alarmant et les pertes subies lors des années sèches sont de plus en plus difficilement récupérables, accroissant ainsi les défis relatifs à la production céréalière qui demeure dominée à hauteur de 80% par la superficie Bour.
De surcroit, il est inéluctable de multiplier les mesures incitatives pour promouvoir l’usage des sources d’énergie renouvelable, notamment dans les secteurs productifs stratégiques et énergivores. La transition vers des sources d'énergie alternatives devrait jouer un double rôle. Elle devrait non seulement renforcer l'indépendance énergétique, mais elle constituerait également un rempart pour préserver la stabilité des cours en cas d’une éventuelle décompensation ou fluctuations des prix des produits énergétiques subventionnés, largement utilisés dans les processus de production. Dans cette optique, le Maroc devrait accélérer le développement de ses capacités de production d'énergies renouvelables, étant donné que leur part dans la production énergétique est passée de 14% en 2014 à seulement 20% en 2021.
En outre, la tendance actuelle du niveau de pénétration des importations qui contribue au maintien d’une large dépendance de l’inflation interne aux fluctuations des cours des intrants importés, nous interpelle sur la capacité du tissu productif national à substituer la demande croissante sur les produits importés. Ainsi, il est indispensable d’intensifier les efforts en faveur de l’intégration du tissu productif national, pilier fondateur de la souveraineté industrielle de l’économie nationale. Cette orientation devrait passer par des politiques poussées de substitution basées sur le ciblage des groupes de produits locomotifs des importations qui favorisent l’accroissement du déficit extérieur et pénalisent le rétablissement durable de la balance courante. L’amélioration de cette dernière demeure tributaire également du niveau de diversification et de compétitivité de l’offre exportable. Dans ce sillage, il est à rappeler que le classement de l’économie marocaine sur l’indice de complexité économique (ECI) n’a progressé que de 9 places en 20 ans, en passant du rang 89 en 2000 au rang 80 en 2020. Cette progression reste timide comparativement à l’évolution réalisée par des pays similaires tels que le Cambodge, qui est passé du rang 113 en 2000 au rang 73 en 2020 gagnant ainsi 40 places, le Paraguay qui est passé du rang 109 au rang 84, et la Tunisie qui a gagné plus de 20 places sur la même période en passant du rang 67 au rang 44.
Dans cet environnement international en perpétuelle mutation, favorisée par l’innovation technologique et le développement de formes de protectionnisme, il est plus ce que jamais nécessaire de surmonter la lenteur du processus de sophistication technologique du contenu de nos produits exportés et d’améliorer le degré d’intégration actuel des filières industrielles pour plus de création de valeur ajoutée et d’emploi.
Par ailleurs, étant donnée la tendance baissière de la croissance potentielle, il est primordial de rehausser la productivité, notamment celle du secteur manufacturier, pour stimuler la croissance. Dans cette perspective, nous avons amorcé une réflexion approfondie sur les facteurs qui pourraient expliquer cette tendance et sur les stratégies à adopter pour inverser cette dynamique. Ces travaux ont permis de relever qu’une meilleure allocation des ressources pourrait être l’une des clés pour résoudre les problèmes de productivité.
En effet, les distorsions et les mésallocations des ressources, qui font référence à une répartition inefficace des ressources économiques, peuvent entraver la performance des entreprises et réduire l'efficacité globale du secteur manufacturier, donnant lieu à un gaspillage de ressources, et par conséquent, à une baisse de la compétitivité et à la stagnation de la croissance économique. C’est dans ce cadre qu’une meilleure réallocation via l’appui des entreprises à faible production mais à fort potentiel de croissance, en particulier les petites et moyennes entreprises (PME), pourrait entrainer des gains de productivité importants. Les résultats de cette étude qui s’attaque aux contraintes qui amplifient les mésallocations des ressources, ainsi qu’aux politiques économiques susceptibles de réduire leur poids, fera l’objet d’une publication future en raison de l’encombrement des travaux du HCP en ce mois de juillet.
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