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Samedi 11 Mai 2024
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«La Mémoire de l'autre» de Abraham Serfaty et Christine Daure

Edité chez Tarik , «La Mémoire de l'autre», signé conjointement par Abraham Serfaty et Christine Daure, est une autobiographie qui nous familiarise avec ce couple à la vie tumultueuse qui a pratiquement traversé le siècle qui vient de finir. Elle nous fa

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C'est l'histoire de deux êtres, un homme et une femme, dont les trajectoires respectives n'avaient aucune chance, aucune possibilité de se croiser et qui se croisent pourtant. Lui, Marocain, juif est militant d'extrême gauche après 12 années bien remplies au service de l'Etat en qualité d'ingénieur des mines à l'OCP. Elle, française , de confession protestante, mariée et mère de trois enfants et enseignante dans un lycée marocain à Tanger. Nous sommes à la fin des années 60, en ces temps troubles où les évènements se précipitent, ouvrant le pays sur tous les risques et toutes les aventures. Le temps est au romantisme révolutionnaire remis au goût du jour à la suite de Mai 68 en France, et la révolution culturelle en Chine, qui séduit un pan entier de la jeunesse estudiantine et lycéenne en quête d'absolu.
C'est de ces itinéraires personnels, de ces évènements se déroulant au quotidien, qu'il s'agit dans ce livre dont la rigueur du témoignage n'enlève rien à la finesse des mots et des sentiments. Un livre à deux, mais dont la singularité est l'alternance de deux regards, deux visions du monde, deux destins, sur les mêmes évènements, en une même époque. Deux regards qui tantôt vont en parallèle, tantôt s'éloignent l'un de l'autre, tantôt encore se croisent et dialoguent.
Elle, enfant de la campagne française, d'une famille protestante habituée, en tant que minorité religieuse, à faire avec les petites méchancetés ambiantes. Son univers se réduit au travail des champs et à l'étude :« Nous allons vivre dans un petit village, nous irons à l'école à bicyclette, ce n'est pas loin, huit kilomètres ». La décision tombe au lendemain de la révocation du père de son poste de professeur par les autorités de Vichy, pour sympathie avec les juifs. Nous sommes en 1942 et la guerre fait partie de la vie au quotidien. L'occupation aussi . La jeune Christine sera marquée à jamais. Les visites fréquentes à la maison de la Gestapo à la recherche du père en fuite, les obus qui tombent du ciel, la peur, la faim, le froid, la fatigue, c'était son lot.
Lui, enfant de la grande ville, issu d'une famille juive plutôt aisée, mais ouverte . Enfant, son père lui enseigne que «le sionisme est contraire à la religion juive». «Ses paroles sont restées gravées en moi ». Nous sommes dans les années trente, la guerre civile bat son plein en Espagne, Maârif, tout proche de la maison des Serfaty , est le quartier des ouvriers européens par excellence, des Portugais, des Espagnols, des Français. L'influence du parti communiste français dans ces milieux est sans conteste. C'est là que le jeune Serfaty se fait des amis, mais également dans les quartiers populaires musulmans plus déshérités. La guerre, la naissance du mouvement national, et bientôt les premières manifestations de rues, les premiers accrochages et les premières victimes de la répression. Plus qu'il n'en fallait pour le jeune et bouillonnant Abraham pour choisir son camp. Celui du mouvement national et des manifestants. Le parti communiste est désormais son parti.
Un ouvrage singulier
Ce sont ces deux êtres, forgés dans des moules différents, dans des cultures et des idéaux tout aussi différents qui se rencontrent en 1969, un peu par hasard, un peu malgré eux pour affronter une nouvelle destinée, une nouvelle vie faite de tumultes et de rebondissements. A de rares moments, ils sont ensemble. Le plus souvent séparés et se trouvant à des milliers de kilomètres l'un de l'autre. Lui, en prison à partir de 1984, elle forcée de regagner la France. Lui, pour faits d'opposition au régime politique, elle, pour complicité d'abord, et plus tard pour dénonciation des conditions des droits de l'homme.
Toute une vie dédiée à une cause, que ce couple à la fois admirable et touchant, raconte, parfois par le menu, non pour faire étalage de leur personne et de leur mérite, mais pour chercher du sens à leur propre action, pour voir clair en eux-mêmes, et, dans la mesure du possible, faire en sorte que la mémoire collective ne se perde pas.
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