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De la chasse au trésor à la folie

La chasse au trésor continue (et continuera) de fasciner l'humain. Mettre la main sur un magot séculaire fait rêver plus d'un.

De la chasse au trésor à la folie
Mais chacun donne une dimension différente à la chose. Si certains gardent la tête froide puisque l'idée ne fait qu'effleurer leur esprit de temps à autre, d'autres, en revanche, s'y consacrent corps et âme. Aussi, contrairement à ce qui se passe sous d'autres cieux, où des passionnés tentent de forcer la chance en plaçant la chasse au trésor en tête de leurs amours, usant sans relâche du détecteur de métaux ; chez nous les choses se passent différemment. En effet, la chasse au trésor dans nos contrées est plus qu'une pratique de prospection sollicitant le soutien de la science, à l'aide de radars du sol et autres scanners.
La pratique chez nous se fait selon tout un rituel, donnant une autre dimension à la chose, où s'entremêlent forces obscures et pratiques occultes, djinns ou gardiens du trésor, sacrifices, coqs ou boucs noirs, enfants «zouhri», etc. A noter en ce sens que le terme «zouhri» désigne un enfant que la génétique a doté d'une ligne droite dans la pomme de la main, et dont l'un des yeux présente une sorte de dissymétrie.

La croyance veut que l'enfant «zouhri» soit indispensable pour extirper le trésor
à ses gardiens, djinns ou diables, en faisant couler son sang sur le lieu où est enfouie la fortune. Mais au-delà des croyances, et quelle que soit leur dimension, ces rituels sont malheureusement pratiqués et des enfants qui présentent des signes de «l'élu» sont parfois enlevés, voire sacrifiés, par des énergumènes assoiffés de jarres remplies de pièces d'or ensevelies sous terre.
Allal est l'un de ceux qui se sont soudainement épris de la chasse aux trésors. La cinquantaine, sans emploi stable, il menait une vie de travailleur à la tâche, exerçant plusieurs métiers, selon les besoins du client.
On comprend parfaitement bien que l'homme était constamment en difficultés financières. La chose est d'autant plus compliquée qu'il avait trois bouches à nourrir, son épouse et ses deux enfants.

Un beau jour, à l'aide d'un de ses amis, il a fait la connaissance d'un chasseur de trésor, fqih et se faisant appeler Chrif. Les histoires que racontait Chrif étaient tellement passionnantes que Allal fut obnubilé par ce nouveau genre d'aventure.
Il y était question de guerre avec les djinns en pleine nuit, de lutte sans merci qui pouvait coûter la vie à celui qui tente d'exhumer le trésor et, surtout, la finalité qui avait mis l'eau à la bouche de notre ami : la récompense finale, le trésor et ses milliers de pièces d'or qui sont promis au triomphateur des gardiens.
Allal fut comme possédé par les récits de Chrif, au point qu'il a commencé à le rencontrer de plus en plus souvent, rien que pour s'abreuver de ses histoires fantastiques et boire religieusement ses bobards. Seul, la nuit, Allal ne pouvait plus chasser ces histoires de son esprit. Il n'en rêvait pas, il y croyait dur comme fer.

Une seule opération du genre effacerait tous ses soucis financiers. Il mourait d'envie de tenter le pas et en fit part à son nouvel ami. Celui-ci n'y voyait pas d'inconvénient et, comme le hasard fait bien les choses, Chrif lui raconta qu'il venait d'avoir des visions, la veille, faisant état de l'emplacement d'un trésor. Quelques jours plus tard, Allal et Chrif, accompagnés de deux autres individus, partirent à la quête de ce trésor enfoui à proximité d'un mausolée. Il faisait nuit et Chrif entama la récitation de versets du Coran, tandis que les trois compères attendaient de voir la suite. L'exercice durera longtemps, jusqu'au moment où Chrif ordonna à l'un de ses accompagnateurs de commencer à creuser. A peine celui-ci entama l'excavation qu'il reçut un nouvel ordre du maestro.
Ce dernier leur expliqua qu'il venait de voir le gardien du trésor, furieux, et qu'il était trop risqué de continuer.

«Il va falloir faire un sacrifice… un animal de couleur noir… nous y reviendrons plus tard », leur annonça Chrif. Ils y reviendront avec un coq noir, égorgé sur les lieux, mais cela ne changera rien et ils retourneront bredouille une nouvelle fois. Les jours passèrent, agrémentés des visions de Chrif et, à chaque tentative d'exhumation, il y avait quelque chose qui clochait. Allal finira par se lasser et tirer sa révérence, dans le but de « faire carrière » en solo. C'est ainsi qu'il consacra tout son temps à la lecture des ouvrages traitant de chasse au trésor, de pratiques et d'astuces essentielles pour le libérer de ses gardiens. Et c'est là qu'il apprit que le sang d'un « zouhri » est la condition sine qua none pour déposséder les djinns de leurs richesses. Or, il se trouve que les deux enfants de Allal ont ces particularités : la ligne droite dans la pomme de la main et les yeux présentant une irrégularité. L'idée commençait à germer dans l'esprit du quinquagénaire qui, à force de baigner dans ce monde irréel, commençait à perdre la raison et à basculer vers une sorte de folie.

Par un après-midi, Allal demanda à son fils cadet de l'accompagner faire un tour, chose qu'il n'a jamais faite auparavant. Le jeune adolescent s'exécuta, tout en étant étonné de pareille proposition. Le père emmena son fils sur le lieu où il a assisté à la première tentative d'exhumation du trésor, à proximité du mausolée.
Pendant qu'il discutait avec son fils, il sortit une lame et lui porta deux coups de couteau, dans l'objectif de faire couler son sang. Heureusement pour le môme, les coups n'étaient pas très graves et il a pu prendre ses jambes à son cou, avec l'intime conviction que son père a perdu la raison. L'enfant fut hospitalisé et s'en tira sans séquelle, les blessures n'étant que superficielles. Allal, lui, ne remit plus les pieds à la maison pendant des mois. Un jour il refit surface.
De retour à la maison, son épouse n'évoqua pas l'incident et patientait pour voir quel comportement aura son mari. Le soir, ce dernier s'isolera dans la chambre des enfants, avec son fils aîné cette fois-ci. Sans crier gare, il se rua sur l'enfant, un couteau à la main, et tenta de lui couper une veine au niveau du cou. L'enfant réussira à renverser le vieux et l'échappera belle. C'en était trop : l'épouse porta plainte contre son mari qui fut présenté à la justice.
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Lalla Mira et Sidi Hamouda

C'est une histoire fantastique de chasse au trésor, traitée antérieurement dans ces mêmes colonnes, et qui relève plus de l'escroquerie qu'autre chose. L'histoire se passe dans un souk. Ce jour-là, Saleh était en pleine pause-déjeuner chez un gargotier de la place. Pendant qu'il était occupé à rendre service à sa panse, une discussion entre deux hommes, attablés au même banc et vaquant au même exercice que lui, titilla sa curiosité. Il apprendra ainsi que les deux hommes sont des fqihs de profession, Massaoûd et Lahcen en l'occurrence, ayant fait le déplacement dans le patelin suite à une révélation faisant état de l'existence de plusieurs trésors dans la région. Après avoir décelé et mis au jour un premier magot ancestral dans une ferme limitrophe, ils ont purement été chassés par son propriétaire. Obsédé par l'idée que la région regorge de trésors, il ne put s'empêcher de leur faire savoir qu'un coin de son petit bout de terrain était plutôt bizarre. Il serait hanté, tout simplement. «Là où il y a le djinn, il y a trésor», lança dans la foulée Massaoûd, profitant de la brèche de providence.

Le trio se rendit sur la place suspectée d'être gardée par « ceux que l'on ne nomme pas ». Pendant que Lahcen psalmodiait des versets du Coran et d'autres incantations, sous le regard interloqué de Saleh, Massaoûd sortit une petite pioche. Il commença à creuser et, soudainement, il fut violemment projeté en arrière par une force mystérieuse. Saleh prit ses jambes à son cou, sans se retourner, jusqu'à regagner sa baraque et s'y enfermer.
Moins d'une demi-heure plus tard, on frappa à sa porte. C'était Massaoûd et Lahcen. «Tu as bien fait de détaler, il y a bel et bien un trésor caché là-bas et ses gardiens t'en veulent à mort de nous avoir indiqué leur cachette. Regarde ce qu'ils m'ont fait…», lança Massaoûd en montrant quelques simples égratignures «volontaires» au visage et sur les bras.

«Il s'agit de Lalla Mira et Sidi Hammouda, nous les connaissons bien pour les avoir dépossédés antérieurement de trésors qu'ils gardaient. Ils ne font pas le poids face à notre «baraka» et notre détermination, nous reviendrons à la charge demain et la victoire sera de notre côté incha'Allah», poursuivit Massaoûd. Sauf que, roulés par un habitant du même village il y a quelques jours à peine, les deux fqihs ont juré de ne pas bouger le seul petit doigt s'ils n'obtiennent pas une avance sur leur labeur. Ce sera la somme de 10.000 DH dont s'acquittera Saleh sans sourciller. Le lendemain, très tard dans la nuit, durant l'exhumation du soi-disant trésor, les deux fqihs joueront une scène encore plus spectaculaire, suite à laquelle Saleh refera le même exercice que la veille. Les jeux seront faits, les fqihs volatilisés et Saleh s'en tirera avec une leçon à 10.000 DH.
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