Bien évidemment, l'objectif de ce Forum était d'impliquer l'ensemble des intervenants dans le système de santé dans la réflexion sur l'élaboration de la carte sanitaire en tant qu'outil de régulation et de planification de l'offre de soins.
Aujourd'hui, le projet pourrait prendre forme dans un avenir très proche avec la soumission du projet de loi cadre 34-09 relatif au système de santé et de l'offre des soins au Parlement. Cependant, même si la mise en place d'une carte sanitaire ne peut qu'être bénéfique pour une meilleure répartition des ressources matérielles et humaines, les mécanismes et les outils qui vont accompagner un tel projet pourraient susciter un débat très vif entre, d'un côté les responsables du ministère de tutelle et de l'autre, les professionnels de la Santé. Théoriquement, une carte sanitaire vise à répartir d'une manière optimale les ressources et les moyens pour couvrir le territoire national.
Cette répartition obéit à des règles et des normes. Le hic, c'est que certaines voix commencent à s'élever dans le milieu des professionnels du secteur remettant en cause l'efficience des règles prévues par le projet de la loi cadre. «La nouvelle loi 39-04, qui sera discutée au Parlement prochainement souhaiterait définir une carte sanitaire marocaine et introduire la notion d'optimisation de l'offre de soins. Conceptuellement, cela est important dans toute politique de santé car l'objectif ultime est d'assurer des prestations de santé préventives et curatives à la population qui le nécessite.
Néanmoins, je ne pense pas qu'il suffit de dire que nous allons «démocratiser» l'accès aux soins et pour cela nous allons mieux répartir l'offre», affirme le Pr. Jaâfar Heikel, expert en management sanitaire. Et d'ajouter : «Il faut que le ministère de la Santé ait une idée plus précise de l'épidémiologie des maladies au Maroc, ce qui n'est pas le cas car les données sanitaires n'intègrent pas plusieurs secteurs importants du système, à savoir le privé, le sanitaire militaire, le semi public et l'informel. Ainsi baser une planification sanitaire sur les données épidémiologiques actuelles ne sera pas efficient». La solution ? Elle serait toute simple, de l'avis de l'expert.
Elle passerait en effet par la mise en place d'un système de surveillance épidémiologique centralisant toutes les données sanitaires des différents secteurs dans le but d'avoir une meilleure image de l'épidémiologie des maladies à l'échelle nationale. Par ailleurs, la mise en place de la carte sanitaire pourrait reposer, entres autres, sur le «numérus clausus», à l'instar des pharmacies. Ce système permet aux autorités concernées de contrôler le nombre de personnes autorisées à exercer un métier donné en fonction des besoins nationaux. En France par exemple, le numerus clausus, dont la traduction du latin signifie littéralement «nombre fermé», est utilisé dans l'admission aux études médicales, pour définir le nombre de médecins, pharmaciens, dentistes et sage-femmes. A priori, ce mécanisme de régulation devrait optimiser la formation et avec elle la répartition des ressources humaines mais sa mise en œuvre pourrait buter sur certaines difficultés, du moins en l'état actuel des choses.
«Un numérus clausus n'a d'intérêt que lorsqu'un outil d'évaluation est mis en place. Qui aujourd'hui évalue les structures de soins en terme de qualité de la prestation, de performance médicale et de sécurité des patients ? Optimiser une offre de soins et permettre une meilleure accessibilité du citoyen aux prestations de service en imposant des règles de planification sanitaire est un objectif louable mais pour être efficient, il faut en même temps imposer des règles d'évaluation aussi bien pour le secteur public que privé», explique le Pr Heikel. Pour ce dernier, le "numérus clausus" peut être à la fois un moyen efficace mais aussi problématique. Car selon lui, lorsqu'on développe de tels indicateurs, il faut que ces derniers aient une logique et surtout une acceptabilité.
«Je pense qu'il aurait été plus intelligent de permettre au secteur public de travailler dans le secteur privé et vis versa à la manière de ce que fait actuellement le ministère de la Santé pour l'hémodialyse en sous-traitant chez des acteurs privés», conclut-il.
Pour remédier à cette situation, de nombreuses propositions ont été formulées, appelant à la création d'une Agence nationale d'évaluation et d'accréditation en santé, qui doit-être complètement indépendante pour évaluer la portée des actions entreprises dans le cadre de la carte sanitaire et selon les professionnels. Certes, le projet de loi cadre évoque des structures pour l'évaluation mais il s'agit surtout de commissions ou de comités sans aucun pouvoir et qui vont assumer principalement des missions… consultatives.
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Questions à: Pr. Jaâfar Heikel• Expert international en management sanitaire
Je pense que la décision de mettre en place une carte sanitaire a été prise parce qu'on s'aperçoit que l'adéquation demande-besoin-offre n'est plus optimale. Aujourd'hui, on assiste à des déséquilibres flagrants à l'intérieur d'une même région et entre les différentes régions du pays. C'est pour cette raison que l'idée d'une carte sanitaire est très bonne et mérite d'être applaudie et encouragée. Il convient, cependant, de se poser des questions sur la méthode qui sera adoptée pour la réalisation de ce projet. De même, il est tout aussi important de se demander si le texte de loi qui sera prochainement discuté par les parlementaires va répondre aux objectifs d'une carte sanitaire.
Quelles sont vos principales remarques sur le projet de loi ?
Les articles 21 à 23 parlent des ressources à répartir mais pas des ressources humaines! Par ailleurs, aucune prérogative de formation n'est autorisée pour le secteur privé mais des éventuelles participations à des programmes communs.
De même, l'article 29 fait la différence entre médecins et fondateurs d'établissements de soins! Cela veut-il dire qu'un fondateur pourrait être un non-médecin? Dans ce cas, cette loi ouvre une brèche en totale contradiction avec la loi 10-94 d'exercice de la médecine au Maroc. Enfin et c'est assez problématique, on instaure pas moins de 6 commissions ou comités qui ne pourront pas être des instances décisionnelles mais des instances consultatives, alors que le bon sens serait d'avoir un organe indépendant d'évaluation des actions de santé, des soins, de la qualité, de la sécurité sanitaire des patients et d'accréditation en santé.
Que faut-il prendre en considération pour réussir un tel projet ?
Il existe des outils importants qui doivent êtes absolument utilisés pour réussir. Le premier outil concerne la planification. Pour avoir une bonne planification, il faut avoir des données. Or, les données épidémiologiques sur lesquelles on va se baser pour planifier sont des données qui ne correspondent pas à la réalité. En effet, les données épidémiologiques sanitaires disponibles actuellement correspondent aux données des structures de santé publique. Elles ne correspondent pas, de ce fait, à la production de soins au Maroc.
Autrement, les données disponibles n'englobent pas les indicateurs de production du secteur privé ou encore les structures relevant de la CNSS et les Forces Armées Royales. Les données sont donc restreintes. Ainsi, je pense que la planification ne sera pas pertinente car même si on considère que notre système de surveillance épidémiologique est fiable, il n'est malheureusement pas complet.
Sur quels critères doit se baser la carte sanitaire ?
Une carte sanitaire nécessite de bien connaître trois éléments importants, en l'occurrence l'offre, les besoins et la demande. Le gouvernement maîtrise l'offre et dispose des informations exactes sur le nombre de lits dans les hôpitaux, les scanners, les IRM… Concernant les besoins, je pense qu'il est du ressort des professionnels de santé de les définir. Y a-t-il eu des conférences de consensus ou un déterminisme des besoins par rapport à la situation épidémiologique au Maroc? La question demeure grande ouverte.
Il reste enfin l'aspect relatif à la demande car pour mener à bien ce projet, il faut connaître avec précision ce dont le Marocain à besoin en termes de soins sanitaires. Il faut dire aussi que la mise en place d'une carte sanitaire sous-entend que les passerelles entre le secteur public et le secteur privé sont parfaitement huilées et extrêmement bien faites pour que le secteur privé puisse avoir son mot à dire et qu'il puisse atteindre des objectifs en fonction des moyens qu'on va lui permettre de mettre en place.
Aujourd'hui, le projet pourrait prendre forme dans un avenir très proche avec la soumission du projet de loi cadre 34-09 relatif au système de santé et de l'offre des soins au Parlement. Cependant, même si la mise en place d'une carte sanitaire ne peut qu'être bénéfique pour une meilleure répartition des ressources matérielles et humaines, les mécanismes et les outils qui vont accompagner un tel projet pourraient susciter un débat très vif entre, d'un côté les responsables du ministère de tutelle et de l'autre, les professionnels de la Santé. Théoriquement, une carte sanitaire vise à répartir d'une manière optimale les ressources et les moyens pour couvrir le territoire national.
Cette répartition obéit à des règles et des normes. Le hic, c'est que certaines voix commencent à s'élever dans le milieu des professionnels du secteur remettant en cause l'efficience des règles prévues par le projet de la loi cadre. «La nouvelle loi 39-04, qui sera discutée au Parlement prochainement souhaiterait définir une carte sanitaire marocaine et introduire la notion d'optimisation de l'offre de soins. Conceptuellement, cela est important dans toute politique de santé car l'objectif ultime est d'assurer des prestations de santé préventives et curatives à la population qui le nécessite.
Néanmoins, je ne pense pas qu'il suffit de dire que nous allons «démocratiser» l'accès aux soins et pour cela nous allons mieux répartir l'offre», affirme le Pr. Jaâfar Heikel, expert en management sanitaire. Et d'ajouter : «Il faut que le ministère de la Santé ait une idée plus précise de l'épidémiologie des maladies au Maroc, ce qui n'est pas le cas car les données sanitaires n'intègrent pas plusieurs secteurs importants du système, à savoir le privé, le sanitaire militaire, le semi public et l'informel. Ainsi baser une planification sanitaire sur les données épidémiologiques actuelles ne sera pas efficient». La solution ? Elle serait toute simple, de l'avis de l'expert.
Elle passerait en effet par la mise en place d'un système de surveillance épidémiologique centralisant toutes les données sanitaires des différents secteurs dans le but d'avoir une meilleure image de l'épidémiologie des maladies à l'échelle nationale. Par ailleurs, la mise en place de la carte sanitaire pourrait reposer, entres autres, sur le «numérus clausus», à l'instar des pharmacies. Ce système permet aux autorités concernées de contrôler le nombre de personnes autorisées à exercer un métier donné en fonction des besoins nationaux. En France par exemple, le numerus clausus, dont la traduction du latin signifie littéralement «nombre fermé», est utilisé dans l'admission aux études médicales, pour définir le nombre de médecins, pharmaciens, dentistes et sage-femmes. A priori, ce mécanisme de régulation devrait optimiser la formation et avec elle la répartition des ressources humaines mais sa mise en œuvre pourrait buter sur certaines difficultés, du moins en l'état actuel des choses.
«Un numérus clausus n'a d'intérêt que lorsqu'un outil d'évaluation est mis en place. Qui aujourd'hui évalue les structures de soins en terme de qualité de la prestation, de performance médicale et de sécurité des patients ? Optimiser une offre de soins et permettre une meilleure accessibilité du citoyen aux prestations de service en imposant des règles de planification sanitaire est un objectif louable mais pour être efficient, il faut en même temps imposer des règles d'évaluation aussi bien pour le secteur public que privé», explique le Pr Heikel. Pour ce dernier, le "numérus clausus" peut être à la fois un moyen efficace mais aussi problématique. Car selon lui, lorsqu'on développe de tels indicateurs, il faut que ces derniers aient une logique et surtout une acceptabilité.
«Je pense qu'il aurait été plus intelligent de permettre au secteur public de travailler dans le secteur privé et vis versa à la manière de ce que fait actuellement le ministère de la Santé pour l'hémodialyse en sous-traitant chez des acteurs privés», conclut-il.
Pour remédier à cette situation, de nombreuses propositions ont été formulées, appelant à la création d'une Agence nationale d'évaluation et d'accréditation en santé, qui doit-être complètement indépendante pour évaluer la portée des actions entreprises dans le cadre de la carte sanitaire et selon les professionnels. Certes, le projet de loi cadre évoque des structures pour l'évaluation mais il s'agit surtout de commissions ou de comités sans aucun pouvoir et qui vont assumer principalement des missions… consultatives.
Stratégie nationale
Lors de la rencontre nationale sur la carte sanitaire tenue à Rabat quelques semaines auparavant, il a été décidé que la carte sanitaire doit offrir à la fois un cadre général de planification de l'offre de soins ainsi qu'un cadre spécifique pour accompagner les priorités nationales. Dans ce sens, il a été recommandé d'adapter le découpage sanitaire aux besoins réels des populations en privilégiant un découpage géographique approprié par rapport au découpage administratif actuel. L'intégration de la planification de l'offre de soins dans les plans d'aménagement a été également préconisée dans le but de garantir les conditions nécessaires à l'implantation des établissements de soins. Selon les responsables au ministère, le Maroc s'est doté d'une stratégie spéciale pour la réalisation de la carte sanitaire. Ainsi, trois outils techniques ont été développés par le ministère de la Santé, il s'agit d'une nouvelle démarche de planification de l'offre de soins, d'une Base de données sur l'offre de soins de santé (BOSS) et d'un Système d'information géographique (SIG).Questions à: Pr. Jaâfar Heikel• Expert international en management sanitaire
«Cette loi ouvre une brèche en totale contradiction avec la loi 10-94 d'exercice de la médecine au Maroc»
Pourquoi une carte sanitaire aujourd'hui ?Je pense que la décision de mettre en place une carte sanitaire a été prise parce qu'on s'aperçoit que l'adéquation demande-besoin-offre n'est plus optimale. Aujourd'hui, on assiste à des déséquilibres flagrants à l'intérieur d'une même région et entre les différentes régions du pays. C'est pour cette raison que l'idée d'une carte sanitaire est très bonne et mérite d'être applaudie et encouragée. Il convient, cependant, de se poser des questions sur la méthode qui sera adoptée pour la réalisation de ce projet. De même, il est tout aussi important de se demander si le texte de loi qui sera prochainement discuté par les parlementaires va répondre aux objectifs d'une carte sanitaire.
Quelles sont vos principales remarques sur le projet de loi ?
Les articles 21 à 23 parlent des ressources à répartir mais pas des ressources humaines! Par ailleurs, aucune prérogative de formation n'est autorisée pour le secteur privé mais des éventuelles participations à des programmes communs.
De même, l'article 29 fait la différence entre médecins et fondateurs d'établissements de soins! Cela veut-il dire qu'un fondateur pourrait être un non-médecin? Dans ce cas, cette loi ouvre une brèche en totale contradiction avec la loi 10-94 d'exercice de la médecine au Maroc. Enfin et c'est assez problématique, on instaure pas moins de 6 commissions ou comités qui ne pourront pas être des instances décisionnelles mais des instances consultatives, alors que le bon sens serait d'avoir un organe indépendant d'évaluation des actions de santé, des soins, de la qualité, de la sécurité sanitaire des patients et d'accréditation en santé.
Que faut-il prendre en considération pour réussir un tel projet ?
Il existe des outils importants qui doivent êtes absolument utilisés pour réussir. Le premier outil concerne la planification. Pour avoir une bonne planification, il faut avoir des données. Or, les données épidémiologiques sur lesquelles on va se baser pour planifier sont des données qui ne correspondent pas à la réalité. En effet, les données épidémiologiques sanitaires disponibles actuellement correspondent aux données des structures de santé publique. Elles ne correspondent pas, de ce fait, à la production de soins au Maroc.
Autrement, les données disponibles n'englobent pas les indicateurs de production du secteur privé ou encore les structures relevant de la CNSS et les Forces Armées Royales. Les données sont donc restreintes. Ainsi, je pense que la planification ne sera pas pertinente car même si on considère que notre système de surveillance épidémiologique est fiable, il n'est malheureusement pas complet.
Sur quels critères doit se baser la carte sanitaire ?
Une carte sanitaire nécessite de bien connaître trois éléments importants, en l'occurrence l'offre, les besoins et la demande. Le gouvernement maîtrise l'offre et dispose des informations exactes sur le nombre de lits dans les hôpitaux, les scanners, les IRM… Concernant les besoins, je pense qu'il est du ressort des professionnels de santé de les définir. Y a-t-il eu des conférences de consensus ou un déterminisme des besoins par rapport à la situation épidémiologique au Maroc? La question demeure grande ouverte.
Il reste enfin l'aspect relatif à la demande car pour mener à bien ce projet, il faut connaître avec précision ce dont le Marocain à besoin en termes de soins sanitaires. Il faut dire aussi que la mise en place d'une carte sanitaire sous-entend que les passerelles entre le secteur public et le secteur privé sont parfaitement huilées et extrêmement bien faites pour que le secteur privé puisse avoir son mot à dire et qu'il puisse atteindre des objectifs en fonction des moyens qu'on va lui permettre de mettre en place.
