Le Matin Forum : Quelle lecture faites-vous du contexte politique national actuel ?
NABILA MOUNIB, membre du bureau politique du Parti Socialiste Unifie (PSU) : Avant de présenter mon analyse de la scène politique marocaine, j'aimerais dire, d'abord, que cette scène a été atteinte par une vague qui a sa propre explication. Il y a toujours eu un bras de fer entre un pouvoir et un contre-pouvoir. De même, ce qui est appelé la société civile a connu une évolution durant des décennies. La première évolution a abouti à la première « intifada » au titre de laquelle «Médecins sans frontières» et la presse indépendante sont parvenus à mettre à nu les dépassements des systèmes au pouvoir. Cette intifada a favorisé la création de nombreuses associations. Le Maroc a vécu sa part de cette vague puisqu'il a connu la création d'ONG des droits de l'Homme. Mais, cette première intifada a connu une certaine léthargie parce que la majorité de ces associations ont été entachées par la logique du financement… Cette première vague a été suivie d'une deuxième que l'on peut baptiser «Intifada du mouvement de la mondialisation alternative» qui a appelé à une société alternative plus juste. Car, tout le monde était d'accord sur le fait que la mondialisation a participé à la montée du taux de la pauvreté… La troisième vague, la plus importante, est ce que l'on a appelé la « troisième intifada », c'est-à-dire la révolution de la communication à travers Wikileaks, Facebook… Cette « troisième intifada » a bénéficié aux pays arabes. Je pense que c'est le meilleur avantage obtenu au cours de ces révolutions technologiques mondiales.
Le mouvement qui a fait son apparition au Maroc vient dans le contexte de cette révolution mondiale du Facebook et de Wikileaks et qui s'oppose, à son tour, à la dépravation et au despotisme. Nous avons raté plusieurs rendez-vous avec la démocratie qui n'a pas pu s'accomplir dans notre pays. La dernière tentative avait eu lieu lors du processus entamé en 1996. Pour la première fois, l'opposition avait voté pour la constitution pour entamer l'alternance. Elle avait donc employé la logique de «la participation de l'intérieur pour le changement». Il y avait une sorte d'élan. Nous ne disons pas que ce processus a échoué en ne donnant pas ce qui était attendu. Ses initiateurs avaient un véritable désir de participer au pouvoir pour le changement. En 2002, nous avons constaté comment la scène politique est arrivée au stade de l'inaction. La preuve, c'est le désintérêt manifesté à l'égard de la politique lors des dernières élections. Le taux de participation des électeurs, selon certains, n'a pas dépassé 20%. Nous avons aussi vu comment les notables ont envahi même les partis politiques qui avaient une certaine éthique… Il y a eu une sorte de tohu-bohu. Même la gauche qui était en dehors de la participation gouvernementale n'avait pas une vision claire de l'étape et n'est pas arrivée à combler ce vide, sachant que l'Etat n'a pas cessé de la combattre car il redoutait une force qui joue le jeu de l'équilibre.
LAHCEN DAOUDI, membre du secretariat general du Parti de la Justice et du Developpement : Le Maroc a vécu de nombreux achoppements depuis l'indépendance. Les périodes qui ont connu une certaine ouverture sont très rares. Depuis 1996, la culture qui a prévalu est celle du repli et non celle de la démocratie. En l'absence de la démocratie, la lutte contre les partis politiques était une attitude normale. Car c'est la culture de rente et celle des dépravants qui ont prévalu. Nous étions toujours à des distances de la démocratie. La structure de l'Etat est faite de telle sorte à bénéficier du pouvoir. Plus l'on s'approche du pouvoir, plus on en profite. Ce processus a démarré depuis les années 90. Il y avait une sorte d'ouverture qui n'a pas duré pour longtemps. Car il y a eu les évènements du 16 mai de 2003 à Casablanca. Ce qui a été le début d'un nouveau processus de dégradation à travers l'encerclement d'un courant déterminé. Le courant islamiste était dans le collimateur et il fallait l'abattre, car le niveau de sa progression était plus accéléré que ce qui était prévisible. Ainsi, en 2007, on a laissé se répandre l'idée selon laquelle il allait dominer. On avait donc pris le chemin du parti unique. Ainsi, au cours de la même année, le pays a vécu un virage de 90 degrés allant vers le parti unique, ce qui est un calque de ce qui se passait en Tunisie… C'était, de nouveau, une action visant l'affaiblissement des partis politiques et leur dissolution afin de donner vie à un seul et unique parti… Heureusement qu'il y avait Bouaziz qui a sauvé le Maroc du parti unique… Ainsi, les modèles égyptien et tunisien ont montré que le calme ne signifie pas toujours la stabilité et que le parti unique n'est pas le bon choix. De même, personne ne s'attendait à ce qu'en 2011 ou en 2012 le pays allait pouvoir bénéficier de ce qui a été annoncé dans le discours royal. Aucun parti politique ne savait qu'il allait voir ce qu'il a réalisé au cours de cette période… Même le rapport du cinquantenaire qui avait prédit des réformes, il les a annoncées à l'horizon 2020-2025.
NABIL BENABDALLAH, secretaire general du Parti du Progres et du Socialisme : Je partage les avis exprimés par Nabila et Lahcen sur un certain nombre de questions. Mais nous devons avoir à l'esprit les moments d'aujourd'hui. Le résultat, c'est que nous vivons une sorte d'essoufflement. Ainsi, même si elle contient certaines facettes positives, il y a eu certaines dérives au cours des dernières années. Cela étant, nous ne sommes pas, aujourd'hui, face à une crise politique mais face à ce que j'appelle personnellement la crise du politique. Si cela continue, heureusement qu'il y a les prémices de la sortie de cette situation, elle va se transformer en une crise politique. On était sur le point d'entrer dans une crise politique qui est le résultat de l'avortement du projet de réformes des dernières années. C'est vrai que cela a des racines qui remontent au début de l'indépendance, mais aujourd'hui, l'on peut dire qu'il y a une confrontation permanente entre le camp national démocratique progressiste qui œuvrait pour l'instauration de la démocratie dans le pays et entre les conservateurs qui défendent leurs intérêts et qui allaient donc dans le sens opposé. Malgré cela, nous somme arrivés à un stade où la lutte et la confrontation ont quand même permis d'élargir les espaces d'expression, ce qui est le début pour rompre avec la détention politique, la disparition forcée que nous avons vécues durant les années de plomb. Nous sommes entrés dans une autre expérience à laquelle nous avons participé à travers notre place au gouvernement à une époque où le pays a vécu une nouvelle ère dans le cadre de ce qui a été appelé « l'entente historique avec l'institution monarchique ». Ere qui avait pour objectif de rompre avec la situation de confrontation ainsi que cela avait été appelé par le rapport du cinquantenaire. Rapport qui a souligné que le Maroc a passé plus de 40 ans de lutte pour le pouvoir et non à œuvrer pour le développement.
Quand nous avons entamé cette expérience, qui comporte des aspects positifs et d'autres négatifs, nous avons remarqué qu'il y avait, ces dernières années, une volonté de tourner le dos à ce processus. Il y a eu une exagération de ce qui a été appelé le danger islamique. Certes, le danger terroriste est présent, comme il l'est dans tout autre pays, mais le fait de l'exagérer et de dire que tout ce qui est fait ne va pas dans le bon sens et qu'il fallait aller dans une autre direction. Le fait de dire que tous ceux qui ont participé au gouvernement et ceux qui n'y ont pas pris part et qui appartiennent à la gauche sont nuls et qu'ils ont reculé et n'ont plus de poids… Ceci est venu pour confirmer de nombreuses dérives que nous avons constatées auparavant telles que la réduction du rôle des formations politiques ainsi que le rôle du gouvernement. Ce qui signifie qu'on affaiblit, par la même occasion, la classe politique en entier. Car cela donnait l'impression que le gouvernement ne faisait rien et qu'en parallèle, il y avait une institution monarchique qui accomplissait de considérables réalisations à différents niveaux. Nous ne nions pas la dimension réformiste de ce qui est fait par l'institution monarchique au niveau des droits de l'Homme, l'égalité entre les deux sexes ou les grands chantiers structurants. Mais en même temps, il y a un volet négatif, c'est le fait que le citoyen a l'impression qu'il y a une seule institution qui travaille. Alors que, pour lui, les autres institutions dont le gouvernement et les partis politiques, derrière le rideau, ne faisaient rien, ni au sein du gouvernement ni au sein du Parlement… Ceci nous a conduits à ce que nous avons appelé une nouvelle génération de dérives… A un certain moment, il fallait qu'on table sur notre coalition et de dire, comme nous l'avions dit durant les années 80 et 90 « ça suffit ». Il fallait dire, ensemble, que les choses n'allait pas dans le bon sens. Aujourd'hui, il y a ce que nous appelons une nouvelle génération des réformes. Dans ce cadre, je vous rappelle que nous avons adressé des lettres à plusieurs forces politiques où nous leur avions proposé de dire ensemble « ça suffit il y a danger ». Nous nous étions aussi adressés, dans ce sens, au Parti de la justice et du développement. L'objectif était de dire qu'il y avait un problème et que nous nous dirigions vers la dérive…
Après le dépoussièrage qu'a évoqué Nabil Benabdallah pour la création d'une dynamique politique, il faut aussi des partis politiques capables de donner l'exemple. Que pensez-vous de la structure interne des partis, vu les problèmes que rencontrent les adhérents aux formations politiques ?
Nabila Mounib : Quand on parle des formations politiques, évidement elles sont, elles-aussi, responsables de ce qui arrive. Mais elles ne sont pas les seules. Les responsabilités sont partagées. Je crois que le premier responsable, c'est l'Etat qui a fait la mainmise sur la scène politique en contrôlant la carte politique, le découpage électoral, le mode électoral, le financement… Il a marginalisé des partis et en a rapproché de lui d'autres. Nous, par exemple, qui sommes un petit parti qui a un grand projet, nous ne bénéficions d'aucun centime de l'Etat parce que nous n'avons pas dépassé le seuil de 5 % qui nous autorise de bénéficier des subventions. Alors que nous menons différentes actions. Or, des partis qui touchent des milliards de centimes n'effectuent aucune activité. C'est pourquoi nous estimons que la réforme de la scène politique ne peut se faire en dehors de grandes réformes d'ordres politique et constitutionnel. Nous sommes fiers d'être parmi les formations qui n'ont pas cessé d'appeler, au cours de la dernière décennie, à une telle réforme. Nous avons constaté que le choix de la réforme, l'économique et le social a échoué. Car la question qui se posait, c'était de voir le pouvoir entre les mains de qui et s'il était possible de rendre des comptes… Il y avait un certain manque de vision qui avait fait que les partis n'étaient plus en mesure d'attirer des adhérents. Les gens s'interrogeaient quand à l'utilité des élections qui étaient sapées au départ. Il faut donc revoir les lois.
Cela ne veut pas dire que les partis peuvent dire qu'ils étaient en bonne forme. Il y a des choses qui nous empêchaient d'agir et nos partis sont restés archaïques dans une grande mesure. Lorsqu'il y a eu un rapprochement entre le PJD et l'USFP, le journal américain ‘'Times'' a titré « Une grande tragédie est arrivée au Maroc », car il y a eu un rapprochement entre un ancien parti de l'opposition, un parti socialiste et un parti islamiste, ce qui est à comprendre dans le souci qui gangrène les pays occidentaux. Car quand il faut analyser ce qui arrive dans notre pays, il faut le voir aussi en liaison avec le monde. Ce qui est arrivé en 2001 a représenté un tsunami sans précédent, ce qui a abouti à ce que la lutte contre le terrorisme est devenue la priorité des priorités pour l'Occident. Il lutte contre le terrorisme et les partis islamiques même ceux qui ont proclamé être des démocrates. L'on est ainsi tous perçus comme des terroristes potentiels… Les partis sont aujourd'hui invités à réviser leurs idées, leurs visions et leurs discours qui n'attirent plus personne… Le terrain aujourd'hui est celui de la démocratie et le respect de la citoyenneté. Les partis politiques doivent revoir leurs cartes pour être en phase avec l'air du temps. Nous sommes toujours archaïques dans nos méthodes de communication et nos discours. La porte doit être ouverte devant les formations politiques, non pas pour jouer un rôle de figurants mais pour qu'elles assument leur responsabilité. Les jeunes constatent que des dirigeants trop âgés, à quelques exceptions près, ont pris la place de plusieurs générations. Ainsi, les partis politiques doivent s'ouvrir et la société civile doit bénéficier d'une marge de manœuvre large et de plus de liberté. Nous venons de constater lors des dernières manifestations que lorsque les sociétés évoluent, tout le reste suit la même évolution. Même le problème de l'éthique qui est directement attaché à l'effondrement du système des valeurs dans notre pays, sera dépassé. Les responsables ont fait preuve d'une compréhension comme que l'a déjà fait Sa Majesté dans son discours du 9 mars en assimilant ce qui se passait autour. Maintenant, il faut rester vigilant et mobilisé.
En parlant des dirigeants des partis politiques, nous avons constaté que les jeunes du 20 février défendent un projet novateur et ont des conceptions ouvertes sur les technologies de la communication. Vous avez parlé au cours de votre intervention des « dinosaures » dont la pensée n'évolue plus. Mais il faut dire qu'un certain mouvement de contestation est né dans les partis dont certains membres demandent le départ des dirigeants ou du «zaim». Je veux savoir comment ces dirigeants réagissent vis-à-vis de ces demandes et ce qu'ils doivent faire pour interagir avec ces mêmes revendications.
Nabil Benabdellah : vous avez mis le doigt sur des problèmes réels au sein des partis politiques d'une manière générale. Mais je veux d'abord annoncer mon approbation à tout ce qui a été dit globalement par Mme Nabila ainsi que son analyse sur la situation actuelle de nos partis politiques. Cela dit, je ne pense pas que toutes les formations se ressemblent. Le problème c'est que les partis politiques progressistes porteurs de projets progressistes ont déjà commis des erreurs alors que d'autres formations politiques ont été créées pour un agenda particulier dans notre pays. Je dirais que le Maroc a beaucoup gagné en tolérant le pluralisme politique. Ainsi, on retrouve la droite, la gauche et le centre ainsi que les conservateurs. Je veux insister sur le fait que les partis nationaux les plus présents et qui détiennent également une légitimité historique, se sont basés de longues années uniquement sur cette légitimité au point que ceci a provoqué une certaine schizophrénie qui, à son tour, a causé le ‘'massacre'' de plusieurs générations. Personnellement, j'ai connu des cas nombreux militants au sein de mon parti ainsi que les principaux partis de la gauche. Mais je pense que cette situation tend à disparaitre parce que des mouvements réformateurs forts ont mûri à l'intérieur des formations politiques. L'évolution de notre société. Ces formations ne peuvent pas rester insensibles à ce qui se passe autour. A chaque fois que les responsables du PPS allaient à la rencontre des jeunes, ils devaient répondre à des questions sur la situation interne au sein du parti. Je leur répondais qu'à chaque tentative de notre part pour réformer, on devait faire face à une résistance farouche. Si les jeunes ne prennent pas l'initiative pour justement renverser la tendance, le changement n'aura pas lieu. Nous avons déjà perdu de nombreux militants parce que les dirigeants monopolisaient les postes de responsabilités dans le parti. De jeunes militants ont ainsi préféré migrer vers d'autres partis alors que certains ont choisi de se retirer. Des militants ont cependant résisté en continuant à travail au sein du parti. C'est d'ailleurs l'un des points qui distinguent le PPS.
Mais nous avons constaté que le discours royal contenait des signes très forts et des principes novateurs de réforme alors que nous n'avons rien entendu de la part des partis ?
Nabil Benabdellah : Je vais parler de notre parti et je pense que cela s'applique également pour les autres partis. Je reconnais que nous avons fait des erreurs et nous assumons de ce fait une part de la responsabilité. Mais donnez-moi l'occasion d'expliquer que nous avons vécu des conditions difficiles que tout le monde connait. Des conditions destinées principalement à combattre la vie politique. Lorsque nous avons pris la décision en 1975 d'adhérer à la scène politique, d'autres formations politiques se souciaient uniquement d'élargir le cercle de leurs intérêts en s'alliant avec le pouvoir.
A notre arrivée au gouvernement, nous avons dû faire face à la résistance de certaines parties qui tiraient profit de la situation dans le passé et qui ne voulaient pas renoncer à leurs avantages. Il est certain que des éléments corrompus ont pu infiltrer notre parti, mais l'infiltration ne s'est pas faite dans la même proportion que dans d'autres partis. Nous étions souvent sous une pression. Nous avons des militants qui ont passé plus de 30 ans à défendre les intérêts des citoyens, mais lorsqu'ils se sont présentés aux élections ils n'ont pas pu obtenir plus de 37 voix alors que d'autres qui n'ont rien à voir avec le militantisme recueillent des milliers de voix parce qu'ils utilisent l'argent. Ainsi, nous étions contraints dans certains cas d'accepter des candidatures pour atteindre le seuil électoral requis. Nous ne sommes pas responsables de la corruption dans les élections et je pense que d'autres partis vivent la même situation que nous notamment le PSU, le PJD, l'USFP et dans certaines mesures l'Istiqlal ainsi que des partis politiques de gauche. Certaines instances partisanes que tout le monde connait d'ailleurs, abordent les élections en utilisant l'argent et en bénéficiant de l'appui des agents d'autorités locales. C'est un système que nous avons combattu et que nous combattons toujours. Je reconnais également que nous avons travaillé avec ce système après l'avoir accepté, mais nous n'avons pas eu le courage de le contrer pour des raisons multiples. Nous avons échoué à unifier nos rangs. Nous étions 5 partis dans la koutla puis nous sommes devenus 4, alors que nous n'avions pas une position commune. Aujourd'hui, un nouveau parti a fait son apparition et nous constatons de nombreux cas de transhumance sans que nous puissions pour autant adopter une position commune. Nous n'avons pas pris la bonne décision comme ce fut le cas en 1990 quand nous avons dit stop !
Lahcen Daoudi : Avant de parler de la responsabilité des partis politiques, il faut d'abord interroger l'Etat sur la manière dont on veut inciter les gens à intégrer les partis politiques. Aujourd'hui, il n'y a rien qui peut encourager les gens à adhérer aux partis. Le système qui a longtemps prévalu, consistait à démolir les partis. Même pour les nominations des ministres, des parties externes et influentes interviennent pour imposer leurs candidats. Mahjoub Aherdane avait dit une fois que lorsqu'on lui disait qu'il aurait un quota de quarante élus, cela voulait dire qu'il aurait effectivement 40 élus parmi les ‘'éléments externes'' placés par certaines parties au sein de sa propre formation politique. Alors comment voulez-vous que les partis soient forts ? Nous avions pratiquement les mêmes agissements que dans des régimes comme ceux de Bourgiba ou de Ben Ali en Tunisie qui ne permettent pas d'instaurer un climat de démocratie, que les Marocains n'ont pas connus d'ailleurs. Les jeunes qui demandent des réformes ne vont pas se contenter des simples effets d'annonce, mais ils ont besoin du concret. Comment ils vont accepter d'adhérer aux partis alors qu'ils n'ont aucun espoir de devenir ministres ou des hauts responsables ? Les partis marocains essayent tant bien que mal de cohabiter dans un cadre qui les entoure et les étouffe.
M. Daoudi, après avoir installé les mécanismes nécessaires pour lutter contre les obstacles qui ont sapé le climat démocratique, est-ce que vous pouvez garantir aux jeunes des postes à la hauteur de leurs aspirations ?
Lahcen Daoudi : J'ai dit que les partis ont pu survivre dans une conjoncture difficile et antidémocratique. La plante qui parvient à survivre à des conditions hostiles, peut très bien fleurir si tous les moyens nécessaires à son épanouissement sont disponibles.
Nabil Benabdellah : Lors d'une intervention dans une émission télévisée, j'ai déclaré que les propositions de réformes que nous avons présentées, confèrent au Premier ministre un vrai pouvoir. Ceci veut dire que le pouvoir est au peuple. Nous nous sommes basés sur le discours royal et à la lumière de notre lecture, nous avons proposé l'élargissement des pouvoirs du Premier ministre sur la base des principes démocratiques réels.
Nabila Mounib : Dans le discours royal, nous avons relevé des éléments qui indiquent l'adoption de la démocratie, mais cela dépendra également des garanties réelles pour l'instauration d'une atmosphère démocratique. Il faut commencer par le droit aux manifestations pacifiques et les médias publics qui doivent s'ouvrir sur toutes les sensibilités. Il ne faut pas avoir peur des opinions, car nous sommes en train de bâtir un Etat. Les autorités sont responsables alors qu'elles veulent jeter toute la responsabilité sur les partis politiques. De même, on doit montrer plus d'intérêt pour le tiers des Marocains qui est encore marginalisé. Cela dépendra encore une fois de signaux de l'Etat qui peuvent instaurer un climat de confiance. N'oublions pas qu'on est en train de préparer une nouvelle constitution pour le pays et si nous réussissons à faire sortir cette nouvelle constitution dans 4 mois, ça sera super. Cependant, nous avons besoin d'au moins deux mois de débat approfondi pour éviter d'avoir par la suite une constitution toute faite. Il est vrai que les jeunes ont joué un rôle important au point que tout le monde a été surpris au début. Mais les partis démocratiques ont reconnu par la suite la légitimité des revendications des jeunes. Certains partis les ont également soutenus en manifestant avec eux. Maintenant, nous attendons des signaux forts de la part de l'Etat.
L'argent « sale » et la politique ont été toujours deux faces d'une même monnaie dans notre pays. Est-ce que vous ne pensez pas qu'au lieu de perdre du temps dans des débats byzantins, il aurait été nettement mieux pour les partis politiques et le mouvement des jeunes de concentrer leurs efforts pour demander des poursuites judiciaires dans les affaires de dilapidation et de détournement des deniers publics ?
Nabil Benabdellah : Nous avons présenté des propositions dans ce sens. Nous proposons par exemple de constitutionnaliser la Cour des comptes. Concrètement, la Cour des comptes est chargée de faire des investigations sans pour autant pouvoir saisir le procureur général. Il doit d'abord passer par le Premier ministre ou le ministre concerné avant toute saisine. Nous avons également une Instance centrale de la prévention de la corruption, mais il s'agit uniquement d'une simple instance consultative. Nous avons également un conseil de la Concurrence qui lui également ne peut intervenir. Le temps est venu pour que cette situation change. Il faut reconnaitre que le discours royal contenait des signes qui référaient à la nécessité de contrôler les fonds publics. Sa Majesté a donné l'exemple d'un vrai dirigeant réformateur. De notre part, nous devons avoir le courage pour adhérer avec sérieux dans les réformes en cours. Ces réformes ne sont pas le résultat du néant. Mais c'est le résultat d'une lutte des forces politiques qui ont des années durant, milité pour la séparation des pouvoirs, la constitutionnalisation des mécanismes de lutte contre la corruption, l'élargissement de l'espace des libertés, l'égalité entre hommes et femmes… Sa Majesté a donc interagi par rapport aux aspirations des jeunes. Concernant, les jeunes qui ont manifesté, je dirais que leurs demandes exprimées sont les mêmes qui ont été déjà formulées sachant que la majorité des jeunes n'a pas manifesté. Je conseille le gouvernement que nous devons nous comporter selon la nouvelle constitution et prendre l'initiative et ne pas trop attendre.
Nabila Mounib : J'ai quelques points qui méritent d'être discutés. Il faut dire que des partis ‘'administratifs '' n'ont jamais demandé des réformes alors que d'autres partis militaient. Or aujourd'hui, tout le monde se bouscule pour présenter des propositions. Nous ne voulons pas marginaliser qui que ce soit, mais nous devons rester tout de même vigilants concernant des tentatives pour bloquer la réforme.
Nabil Benabdellah : Je pense Nabila que le temps est venu pour que les citoyens aient la possibilité de faire la distinction entre ceux qui veulent tout juste de retouches superficielles à la constitution et ceux qui sont pour la nouvelle ère et le pouvoir des institutions.
Lahcen Daoudi : Je veux lancer un message aux médias nationaux. Il est grand temps pour que les journaux, les radios et les télévisions s'engagent sérieusement à donner la parole aux partis politiques pour exprimer leurs positions. Je m'adresse également à la presse écrite. Les journalistes doivent s'impliquer dans la vie partisane.
Mais vous avez une presse partisane qui ne parvient pas à capter l'attention des lecteurs ?
Nabil Benabdellah : Certains journaux dits «indépendants» passent leur temps à critiquer les partis. Ils se sont spécialisés dans le dénigrement de tous les politiciens qu'ils soient islamistes, progressistes, démocrates ou autres. Les propriétaires de ces journaux travaillent pour des parties bien connues.
Lahcen Daoudi : Je voulais dire que les journalistes ont un métier noble. Son rôle principal est de participer à la construction d'une société. Le dénigrement et la démolition sont des tâches faciles. La presse doit accompagner le processus de réforme avec des critiques constructives. Il ne faut pas se contenter de parler de la partie vide du verre, mais consacrer également un intérêt pour la partie remplie. Ceci ne va pas encourager le citoyen à s'impliquer dans la vie politique. Dans une émission télévisée de débat, les hommes politiques ne sont aucunement invités à parler de leurs programmes. Toutes les questions sont destinées à placer les partis politiques aux bancs des accusés. La mise à niveau de la scène partisane nécessite en parallèle une mise à niveau de la scène médiatique pour le bien de tous, notamment les jeunes.
Les partis politiques ont présenté leurs mémorandums à l'exception du PSU. Pourquoi ?
Nabila Mounib : Concernant ce chantier énorme, notre parti avait déjà préparé un mémorandum. Mais vu la situation actuelle, il était nécessaire de la réactualiser. Le PSU a refusé de présenter ces propositions à la commission créée parce qu'un tel projet ne doit pas être traité par une commission créée précipitamment. Nous craignons, ce qui est légitime, d'avoir au final une constitution toute faite à la place d'une constitution à laquelle nous aspirons tous.
Toutefois, les partis ont présenté leurs copies en peu de temps. Comment voyez-vous cela ?
Nabila Mounib : En ce qui nous concerne, nous avons voulu constituer un pôle de partis pour éviter la balkanisation sur la question. Dans la mesure où il est profitable d'unir les idées dans le respect de la différence, bien entendu. Nous aurons une réunion de discussion avec nos partenaires et nous préparons un colloque sur les réformes constitutionnelles en début mai prochain. Dans cet esprit-là, nous refusons les propositions qui se font à la va-vite. Par contre, nous voulons avoir une vision globale de ce chantier sur une base démocratique où le préambule de la nouvelle Constitution occupe une place de choix. Ce dernier doit contenir les ingrédients d'une future monarchie parlementaire. La deuxième étape concerne les institutions constitutionnelles en mettant l'accent sur une véritable séparation des pouvoirs (exécutif, législatif et judiciaire). Dans tous nos mémorandums, nous avions demandé à ce que la justice ne reste plus sous le joug de l'Exécutif. Car une justice indépendante est la pierre angulaire de tout système démocratique que l'on appelle de nos vœux et auquel nous tendons. Nous n'allons pas nous contenter de présenter des principes et des mesures, mais nous allons expliquer chacune de nos propositions pour qu'il n'y ait pas interprétation ou fausse lecture. Et nous, en tant qu'hommes politiques, nous disons que le pouvoir est désormais entre les mains du peuple qui doit l'exercer. Et puisque nous parlons de pouvoirs, il faut délimiter les contours de chacun. Nous avons parlé de tous les détails dans la mesure où il faut avoir un peu d'audace dans ce dossier. Il y a toujours des personnes qui se cachent derrière S.M. le Roi et continuent de le faire. Nous devons déterminer ce qu'on veut dire par la commanderie des croyants que nous voulons qu'elle reste symbolique et que le Roi doit garder son rôle d'arbitre. Il représente aussi, à nos yeux, le lien entre le gouvernement et les citoyens. Ses prérogatives seront clairement définies dans la Constitution. Le gouvernement doit prendre ses responsabilités de manière complète. C'est la voie idoine pour arriver à la séparation des pouvoirs et le passage à la véritable démocratie selon les critères internationaux. Il n'y a pas de démocratie à la marocaine. Nous avons vécu un simulacre de démocratie avec un Parlement et un gouvernement marginalisés. Nous voulons en finir avec cette situation et durant les réunions de notre conseil national, les militants ont afflué de toutes les régions du pays parce qu'ils ont senti l'importance de la question et le sérieux du débat. Dans notre communiqué, nous avons inscrit les éléments de base parmi lesquels une égalité complète entre l'homme et la femme concernant tous les droits. C'est un acte de courage dans la mesure où nous sommes en compétition avec d'autres projets sociétaux. La Constitution en tant que loi suprême est appelée à trancher dans ce genre de question.
Quelles sont les propositions et remarques que vous avez apportées après le discours du 9 mars ?
Nabil Benabdellah : Je veux d'abord insister sur le rôle de la presse sérieuse dans cet effort de pédagogie. Car nous sommes encore dans une sorte de cacophonie qui nous empêche de s'écouter mutuellement. C'est bien d'appeler à une Constitution démocratique, à condition de savoir de quoi on parle. Pour ce qui nous concerne, nous partons du principe de la construction d'un Etat moderne et démocratique et la Constitution doit aider dans ce sens. Bien évidemment, nous partons de la réalité marocaine caractérisée par un certain cumul à prendre en ligne de compte. Nous ne sommes pas dans un pays où les institutions ont chuté. Cela ne doit pas être non plus un alibi pour n'apporter que des retouches à l'actuelle Constitution. Or, il y a des principes pour lesquels nous optons comme la souveraineté du peuple qui l'exerce à travers le référendum ou encore des élections législatives justes et libres et des élections régionales et locales, également. Dans cette optique, nous devons nous inscrire dans l'horizon d'une monarchie parlementaire parallèlement à une clarification des pouvoirs. Nous devons mettre toutes ces idées dans le circuit du débat commençant par la symbolique et la place de l'institution royale. Dans un pays comme le Maroc avec ses spécificités politiques, sociales et religieuses, la commanderie des croyants fait partie intégrante de cette institution. On le dit parce que nous connaissons l'ouverture d'esprit de la monarchie vis-à-vis des questions liées à la pratique de la religion. A ce propos nous sommes d'accord avec nos amis au PJD. Mais nous ne sommes pas d'accord avec d'autres partis qui ne se réfèrent pas au même principe. Nous qui sommes dans une dynamique qui nous permet de poser la question de la séparation entre l'Etat et la religion, pensons aussi qu'il faut avant tout faire mûrir les choses.
Concrètement, que proposez-vous en termes de mesures ?
Nabil Benabdellah : Pour nous, Amir al Mouminine est le chef de l'Etat et le représentant suprême de la Oumma (de la nation dans la Constitution actuelle). Il est le garant de l'indépendance du pays et de son intégrité. Le Roi est également l'arbitre pour ce qui est des grandes orientations qui tournent autour des quatre principes fondamentaux que sont la religion, la nation, la monarchie et la démocratie. Ceci étant, nous estimons que la Constitution est l'origine des pouvoirs, de leur séparation et des différentes prérogatives. Elle organise les rapports entre les institutions et le texte constitutionnel. Le pouvoir exécutif est du ressort du Premier ministre et du gouvernement. Ce qui veut dire que toutes les politiques publiques émanent d'un gouvernement, présidé par un Premier ministre élu de manière démocratique. De là, les prérogatives du conseil de gouvernement doivent être élargies. Quant au conseil des ministres que le Roi préside, sa présidence peut être déléguée au Premier ministre. Les nominations aux fonctions civiles se feront ainsi, proposons-nous, dans le cadre du conseil des ministres sur propositions du Premier ministre et en respect d'une certaine procédure. Nous sommes aussi pour l'élargissement du rôle du Parlement pour limiter l'intervention de toute autre source de législation. Et ce, à l'exception des dahirs qui régissent le champ religieux. Sur ce registre, nous disons que la religion de l'Etat est l'Islam tout en garantissant la liberté de croyance. Pour ce qui est de la Chambre des conseillers, nous prônons sa mue en un Sénat avec pas plus de 100 membres. En réduisant le nombre des élus, l'on réduit par la même occasion l'usage de l'argent sale dans les élections. Nous voulons aussi une justice réellement indépendante dans la mesure où le gouvernement, via le ministre de la Justice, ne doit pas y intervenir. Nous disposons aussi de propositions pour la démocratisation de la composition du Conseil supérieur de la magistrature. Pour ce qui est des droits de l'Homme, nous optons pour tout ce qui est en vigueur dans les conventions internationales. La finalité étant de réduire la pauvreté et créer une solidarité entre régions riches et régions pauvres. Nous sommes, également, pour l'égalité entre l'homme et la femme dans tous les droits. Quant à la langue amazighe, nous sommes pour une période transitoire avant son inscription dans la Constitution comme langue officielle. Dans ce cas, tous les documents administratifs et autres devront être disponibles dans les deux langues, arabe et amazighe. Ce dont on n'est pas encore prêt aujourd'hui.
Lahcen Daoudi : Il y a beaucoup de points en commun entre nous et le PPS au sujet des propositions de réforme de la Constitution. Au PJD, le mémorandum sur la réforme constitutionnelle a proposé que toutes les conventions internationales doivent être soumises au vote du Parlement pour une meilleure application au niveau local. Ceci étant, nous pensons que toute réforme ne doit pas passer sous silence l'évolution que le pays a connue à travers l'histoire. Il est crucial d'examiner les problématiques liées à l'exercice de la démocratie dans le cadre de l'actuelle Constitution. Notre copie insiste sur l'instauration d'une monarchie démocratique basée sur la commanderie des croyants et qui vise à préserver les acquis, l'unité et la stabilité de l'Etat et de la société. Nous insistons aussi sur le rôle de la nouvelle Constitution à hisser la référence islamique à la place qui lui échoit, à renforcer l'identité et à consacrer les libertés publiques et les droits de l'Homme. Pour nous, la réforme de la Constitution doit être une entrée en matière pour une démocratisation basée sur la séparation des pouvoirs. La copie du parti a appelé, entre autres, à l'annulation du conseil des ministres et la création d'un conseil supérieur de l'Etat, présidé par le Roi et où siège le Premier ministre, les présidents des deux Chambres du Parlement, le président du pouvoir judiciaire et le président du Conseil constitutionnel. Sans oublier l'élargissement des prérogatives du Parlement et bien entendu la désignation du chef de gouvernement sur la base des résultats des élections législatives. Pour garantir l'indépendance de la justice, nous estimons que le Conseil supérieur de la magistrature ne doit plus être présidé par le ministre de la Justice. Il faut aussi revoir la composition de ce conseil en considérant le statut des magistrats, une loi régissante qui se soumet au contrôle du conseil. Il faut aussi que les magistrats aient la possibilité de créer des associations professionnelles pour défendre leurs droits. En ce qui concerne la régionalisation, il faut qu'elle soit constitutionnellement reconnue en tant que collectivité territoriale. Les règles générales qui déterminent ses prérogatives, instances ainsi que son élection par voie de scrutin direct, doivent être clairement définis. Le président de région doit avoir toute latitude à exécuter les décisions du conseil et à être l'ordonnateur.
Nabila Mounib : Au PSU, nous sommes pour l'unité, mais nous voulons aussi que tout le monde profite pleinement de ses droits. Notre copie englobe la constitutionnalisation de la langue et la culture amazighes. Les Amazighes sont les premiers habitants du Maroc. Pour nous, cela constitue une fierté et une richesse, mais cela ne veut pas dire qu'on doit étudier une multitude de langue. A l'université, le niveau des étudiants est trop bas pour qu'on introduise d'autres langues. Nous sommes dans une période où l'on doit construire le pays sur des bases démocratiques et des institutions fortes et non à satisfaire tout le monde.
C'est le début d'une renaissance du citoyen arabe musulman qui est aujourd'hui dans un combat pour la liberté. Il faut rester, néanmoins, vigilent par rapport au rôle négatif que peut jouer l'extérieur. Il n'est pas dans son intérêt qu'on puisse, en tant que peuples arabes, se mettre d'accord et discuter nos affaires calmement. Il faut aussi qu'on lutte contre les poches de résistance qui profitent de l'économie de rente.
Bref, l'homme qui ne porte pas en lui un idéal ne mérite pas de porter le nom d'homme. Nous sommes fiers aujourd'hui, avec d'autres partis progressistes, nationaux et historiques, d'avoir ce souci-là.
NABILA MOUNIB, membre du bureau politique du Parti Socialiste Unifie (PSU) : Avant de présenter mon analyse de la scène politique marocaine, j'aimerais dire, d'abord, que cette scène a été atteinte par une vague qui a sa propre explication. Il y a toujours eu un bras de fer entre un pouvoir et un contre-pouvoir. De même, ce qui est appelé la société civile a connu une évolution durant des décennies. La première évolution a abouti à la première « intifada » au titre de laquelle «Médecins sans frontières» et la presse indépendante sont parvenus à mettre à nu les dépassements des systèmes au pouvoir. Cette intifada a favorisé la création de nombreuses associations. Le Maroc a vécu sa part de cette vague puisqu'il a connu la création d'ONG des droits de l'Homme. Mais, cette première intifada a connu une certaine léthargie parce que la majorité de ces associations ont été entachées par la logique du financement… Cette première vague a été suivie d'une deuxième que l'on peut baptiser «Intifada du mouvement de la mondialisation alternative» qui a appelé à une société alternative plus juste. Car, tout le monde était d'accord sur le fait que la mondialisation a participé à la montée du taux de la pauvreté… La troisième vague, la plus importante, est ce que l'on a appelé la « troisième intifada », c'est-à-dire la révolution de la communication à travers Wikileaks, Facebook… Cette « troisième intifada » a bénéficié aux pays arabes. Je pense que c'est le meilleur avantage obtenu au cours de ces révolutions technologiques mondiales.
Le mouvement qui a fait son apparition au Maroc vient dans le contexte de cette révolution mondiale du Facebook et de Wikileaks et qui s'oppose, à son tour, à la dépravation et au despotisme. Nous avons raté plusieurs rendez-vous avec la démocratie qui n'a pas pu s'accomplir dans notre pays. La dernière tentative avait eu lieu lors du processus entamé en 1996. Pour la première fois, l'opposition avait voté pour la constitution pour entamer l'alternance. Elle avait donc employé la logique de «la participation de l'intérieur pour le changement». Il y avait une sorte d'élan. Nous ne disons pas que ce processus a échoué en ne donnant pas ce qui était attendu. Ses initiateurs avaient un véritable désir de participer au pouvoir pour le changement. En 2002, nous avons constaté comment la scène politique est arrivée au stade de l'inaction. La preuve, c'est le désintérêt manifesté à l'égard de la politique lors des dernières élections. Le taux de participation des électeurs, selon certains, n'a pas dépassé 20%. Nous avons aussi vu comment les notables ont envahi même les partis politiques qui avaient une certaine éthique… Il y a eu une sorte de tohu-bohu. Même la gauche qui était en dehors de la participation gouvernementale n'avait pas une vision claire de l'étape et n'est pas arrivée à combler ce vide, sachant que l'Etat n'a pas cessé de la combattre car il redoutait une force qui joue le jeu de l'équilibre.
LAHCEN DAOUDI, membre du secretariat general du Parti de la Justice et du Developpement : Le Maroc a vécu de nombreux achoppements depuis l'indépendance. Les périodes qui ont connu une certaine ouverture sont très rares. Depuis 1996, la culture qui a prévalu est celle du repli et non celle de la démocratie. En l'absence de la démocratie, la lutte contre les partis politiques était une attitude normale. Car c'est la culture de rente et celle des dépravants qui ont prévalu. Nous étions toujours à des distances de la démocratie. La structure de l'Etat est faite de telle sorte à bénéficier du pouvoir. Plus l'on s'approche du pouvoir, plus on en profite. Ce processus a démarré depuis les années 90. Il y avait une sorte d'ouverture qui n'a pas duré pour longtemps. Car il y a eu les évènements du 16 mai de 2003 à Casablanca. Ce qui a été le début d'un nouveau processus de dégradation à travers l'encerclement d'un courant déterminé. Le courant islamiste était dans le collimateur et il fallait l'abattre, car le niveau de sa progression était plus accéléré que ce qui était prévisible. Ainsi, en 2007, on a laissé se répandre l'idée selon laquelle il allait dominer. On avait donc pris le chemin du parti unique. Ainsi, au cours de la même année, le pays a vécu un virage de 90 degrés allant vers le parti unique, ce qui est un calque de ce qui se passait en Tunisie… C'était, de nouveau, une action visant l'affaiblissement des partis politiques et leur dissolution afin de donner vie à un seul et unique parti… Heureusement qu'il y avait Bouaziz qui a sauvé le Maroc du parti unique… Ainsi, les modèles égyptien et tunisien ont montré que le calme ne signifie pas toujours la stabilité et que le parti unique n'est pas le bon choix. De même, personne ne s'attendait à ce qu'en 2011 ou en 2012 le pays allait pouvoir bénéficier de ce qui a été annoncé dans le discours royal. Aucun parti politique ne savait qu'il allait voir ce qu'il a réalisé au cours de cette période… Même le rapport du cinquantenaire qui avait prédit des réformes, il les a annoncées à l'horizon 2020-2025.
NABIL BENABDALLAH, secretaire general du Parti du Progres et du Socialisme : Je partage les avis exprimés par Nabila et Lahcen sur un certain nombre de questions. Mais nous devons avoir à l'esprit les moments d'aujourd'hui. Le résultat, c'est que nous vivons une sorte d'essoufflement. Ainsi, même si elle contient certaines facettes positives, il y a eu certaines dérives au cours des dernières années. Cela étant, nous ne sommes pas, aujourd'hui, face à une crise politique mais face à ce que j'appelle personnellement la crise du politique. Si cela continue, heureusement qu'il y a les prémices de la sortie de cette situation, elle va se transformer en une crise politique. On était sur le point d'entrer dans une crise politique qui est le résultat de l'avortement du projet de réformes des dernières années. C'est vrai que cela a des racines qui remontent au début de l'indépendance, mais aujourd'hui, l'on peut dire qu'il y a une confrontation permanente entre le camp national démocratique progressiste qui œuvrait pour l'instauration de la démocratie dans le pays et entre les conservateurs qui défendent leurs intérêts et qui allaient donc dans le sens opposé. Malgré cela, nous somme arrivés à un stade où la lutte et la confrontation ont quand même permis d'élargir les espaces d'expression, ce qui est le début pour rompre avec la détention politique, la disparition forcée que nous avons vécues durant les années de plomb. Nous sommes entrés dans une autre expérience à laquelle nous avons participé à travers notre place au gouvernement à une époque où le pays a vécu une nouvelle ère dans le cadre de ce qui a été appelé « l'entente historique avec l'institution monarchique ». Ere qui avait pour objectif de rompre avec la situation de confrontation ainsi que cela avait été appelé par le rapport du cinquantenaire. Rapport qui a souligné que le Maroc a passé plus de 40 ans de lutte pour le pouvoir et non à œuvrer pour le développement.
Quand nous avons entamé cette expérience, qui comporte des aspects positifs et d'autres négatifs, nous avons remarqué qu'il y avait, ces dernières années, une volonté de tourner le dos à ce processus. Il y a eu une exagération de ce qui a été appelé le danger islamique. Certes, le danger terroriste est présent, comme il l'est dans tout autre pays, mais le fait de l'exagérer et de dire que tout ce qui est fait ne va pas dans le bon sens et qu'il fallait aller dans une autre direction. Le fait de dire que tous ceux qui ont participé au gouvernement et ceux qui n'y ont pas pris part et qui appartiennent à la gauche sont nuls et qu'ils ont reculé et n'ont plus de poids… Ceci est venu pour confirmer de nombreuses dérives que nous avons constatées auparavant telles que la réduction du rôle des formations politiques ainsi que le rôle du gouvernement. Ce qui signifie qu'on affaiblit, par la même occasion, la classe politique en entier. Car cela donnait l'impression que le gouvernement ne faisait rien et qu'en parallèle, il y avait une institution monarchique qui accomplissait de considérables réalisations à différents niveaux. Nous ne nions pas la dimension réformiste de ce qui est fait par l'institution monarchique au niveau des droits de l'Homme, l'égalité entre les deux sexes ou les grands chantiers structurants. Mais en même temps, il y a un volet négatif, c'est le fait que le citoyen a l'impression qu'il y a une seule institution qui travaille. Alors que, pour lui, les autres institutions dont le gouvernement et les partis politiques, derrière le rideau, ne faisaient rien, ni au sein du gouvernement ni au sein du Parlement… Ceci nous a conduits à ce que nous avons appelé une nouvelle génération de dérives… A un certain moment, il fallait qu'on table sur notre coalition et de dire, comme nous l'avions dit durant les années 80 et 90 « ça suffit ». Il fallait dire, ensemble, que les choses n'allait pas dans le bon sens. Aujourd'hui, il y a ce que nous appelons une nouvelle génération des réformes. Dans ce cadre, je vous rappelle que nous avons adressé des lettres à plusieurs forces politiques où nous leur avions proposé de dire ensemble « ça suffit il y a danger ». Nous nous étions aussi adressés, dans ce sens, au Parti de la justice et du développement. L'objectif était de dire qu'il y avait un problème et que nous nous dirigions vers la dérive…
Après le dépoussièrage qu'a évoqué Nabil Benabdallah pour la création d'une dynamique politique, il faut aussi des partis politiques capables de donner l'exemple. Que pensez-vous de la structure interne des partis, vu les problèmes que rencontrent les adhérents aux formations politiques ?
Nabila Mounib : Quand on parle des formations politiques, évidement elles sont, elles-aussi, responsables de ce qui arrive. Mais elles ne sont pas les seules. Les responsabilités sont partagées. Je crois que le premier responsable, c'est l'Etat qui a fait la mainmise sur la scène politique en contrôlant la carte politique, le découpage électoral, le mode électoral, le financement… Il a marginalisé des partis et en a rapproché de lui d'autres. Nous, par exemple, qui sommes un petit parti qui a un grand projet, nous ne bénéficions d'aucun centime de l'Etat parce que nous n'avons pas dépassé le seuil de 5 % qui nous autorise de bénéficier des subventions. Alors que nous menons différentes actions. Or, des partis qui touchent des milliards de centimes n'effectuent aucune activité. C'est pourquoi nous estimons que la réforme de la scène politique ne peut se faire en dehors de grandes réformes d'ordres politique et constitutionnel. Nous sommes fiers d'être parmi les formations qui n'ont pas cessé d'appeler, au cours de la dernière décennie, à une telle réforme. Nous avons constaté que le choix de la réforme, l'économique et le social a échoué. Car la question qui se posait, c'était de voir le pouvoir entre les mains de qui et s'il était possible de rendre des comptes… Il y avait un certain manque de vision qui avait fait que les partis n'étaient plus en mesure d'attirer des adhérents. Les gens s'interrogeaient quand à l'utilité des élections qui étaient sapées au départ. Il faut donc revoir les lois.
Cela ne veut pas dire que les partis peuvent dire qu'ils étaient en bonne forme. Il y a des choses qui nous empêchaient d'agir et nos partis sont restés archaïques dans une grande mesure. Lorsqu'il y a eu un rapprochement entre le PJD et l'USFP, le journal américain ‘'Times'' a titré « Une grande tragédie est arrivée au Maroc », car il y a eu un rapprochement entre un ancien parti de l'opposition, un parti socialiste et un parti islamiste, ce qui est à comprendre dans le souci qui gangrène les pays occidentaux. Car quand il faut analyser ce qui arrive dans notre pays, il faut le voir aussi en liaison avec le monde. Ce qui est arrivé en 2001 a représenté un tsunami sans précédent, ce qui a abouti à ce que la lutte contre le terrorisme est devenue la priorité des priorités pour l'Occident. Il lutte contre le terrorisme et les partis islamiques même ceux qui ont proclamé être des démocrates. L'on est ainsi tous perçus comme des terroristes potentiels… Les partis sont aujourd'hui invités à réviser leurs idées, leurs visions et leurs discours qui n'attirent plus personne… Le terrain aujourd'hui est celui de la démocratie et le respect de la citoyenneté. Les partis politiques doivent revoir leurs cartes pour être en phase avec l'air du temps. Nous sommes toujours archaïques dans nos méthodes de communication et nos discours. La porte doit être ouverte devant les formations politiques, non pas pour jouer un rôle de figurants mais pour qu'elles assument leur responsabilité. Les jeunes constatent que des dirigeants trop âgés, à quelques exceptions près, ont pris la place de plusieurs générations. Ainsi, les partis politiques doivent s'ouvrir et la société civile doit bénéficier d'une marge de manœuvre large et de plus de liberté. Nous venons de constater lors des dernières manifestations que lorsque les sociétés évoluent, tout le reste suit la même évolution. Même le problème de l'éthique qui est directement attaché à l'effondrement du système des valeurs dans notre pays, sera dépassé. Les responsables ont fait preuve d'une compréhension comme que l'a déjà fait Sa Majesté dans son discours du 9 mars en assimilant ce qui se passait autour. Maintenant, il faut rester vigilant et mobilisé.
En parlant des dirigeants des partis politiques, nous avons constaté que les jeunes du 20 février défendent un projet novateur et ont des conceptions ouvertes sur les technologies de la communication. Vous avez parlé au cours de votre intervention des « dinosaures » dont la pensée n'évolue plus. Mais il faut dire qu'un certain mouvement de contestation est né dans les partis dont certains membres demandent le départ des dirigeants ou du «zaim». Je veux savoir comment ces dirigeants réagissent vis-à-vis de ces demandes et ce qu'ils doivent faire pour interagir avec ces mêmes revendications.
Nabil Benabdellah : vous avez mis le doigt sur des problèmes réels au sein des partis politiques d'une manière générale. Mais je veux d'abord annoncer mon approbation à tout ce qui a été dit globalement par Mme Nabila ainsi que son analyse sur la situation actuelle de nos partis politiques. Cela dit, je ne pense pas que toutes les formations se ressemblent. Le problème c'est que les partis politiques progressistes porteurs de projets progressistes ont déjà commis des erreurs alors que d'autres formations politiques ont été créées pour un agenda particulier dans notre pays. Je dirais que le Maroc a beaucoup gagné en tolérant le pluralisme politique. Ainsi, on retrouve la droite, la gauche et le centre ainsi que les conservateurs. Je veux insister sur le fait que les partis nationaux les plus présents et qui détiennent également une légitimité historique, se sont basés de longues années uniquement sur cette légitimité au point que ceci a provoqué une certaine schizophrénie qui, à son tour, a causé le ‘'massacre'' de plusieurs générations. Personnellement, j'ai connu des cas nombreux militants au sein de mon parti ainsi que les principaux partis de la gauche. Mais je pense que cette situation tend à disparaitre parce que des mouvements réformateurs forts ont mûri à l'intérieur des formations politiques. L'évolution de notre société. Ces formations ne peuvent pas rester insensibles à ce qui se passe autour. A chaque fois que les responsables du PPS allaient à la rencontre des jeunes, ils devaient répondre à des questions sur la situation interne au sein du parti. Je leur répondais qu'à chaque tentative de notre part pour réformer, on devait faire face à une résistance farouche. Si les jeunes ne prennent pas l'initiative pour justement renverser la tendance, le changement n'aura pas lieu. Nous avons déjà perdu de nombreux militants parce que les dirigeants monopolisaient les postes de responsabilités dans le parti. De jeunes militants ont ainsi préféré migrer vers d'autres partis alors que certains ont choisi de se retirer. Des militants ont cependant résisté en continuant à travail au sein du parti. C'est d'ailleurs l'un des points qui distinguent le PPS.
Mais nous avons constaté que le discours royal contenait des signes très forts et des principes novateurs de réforme alors que nous n'avons rien entendu de la part des partis ?
Nabil Benabdellah : Je vais parler de notre parti et je pense que cela s'applique également pour les autres partis. Je reconnais que nous avons fait des erreurs et nous assumons de ce fait une part de la responsabilité. Mais donnez-moi l'occasion d'expliquer que nous avons vécu des conditions difficiles que tout le monde connait. Des conditions destinées principalement à combattre la vie politique. Lorsque nous avons pris la décision en 1975 d'adhérer à la scène politique, d'autres formations politiques se souciaient uniquement d'élargir le cercle de leurs intérêts en s'alliant avec le pouvoir.
A notre arrivée au gouvernement, nous avons dû faire face à la résistance de certaines parties qui tiraient profit de la situation dans le passé et qui ne voulaient pas renoncer à leurs avantages. Il est certain que des éléments corrompus ont pu infiltrer notre parti, mais l'infiltration ne s'est pas faite dans la même proportion que dans d'autres partis. Nous étions souvent sous une pression. Nous avons des militants qui ont passé plus de 30 ans à défendre les intérêts des citoyens, mais lorsqu'ils se sont présentés aux élections ils n'ont pas pu obtenir plus de 37 voix alors que d'autres qui n'ont rien à voir avec le militantisme recueillent des milliers de voix parce qu'ils utilisent l'argent. Ainsi, nous étions contraints dans certains cas d'accepter des candidatures pour atteindre le seuil électoral requis. Nous ne sommes pas responsables de la corruption dans les élections et je pense que d'autres partis vivent la même situation que nous notamment le PSU, le PJD, l'USFP et dans certaines mesures l'Istiqlal ainsi que des partis politiques de gauche. Certaines instances partisanes que tout le monde connait d'ailleurs, abordent les élections en utilisant l'argent et en bénéficiant de l'appui des agents d'autorités locales. C'est un système que nous avons combattu et que nous combattons toujours. Je reconnais également que nous avons travaillé avec ce système après l'avoir accepté, mais nous n'avons pas eu le courage de le contrer pour des raisons multiples. Nous avons échoué à unifier nos rangs. Nous étions 5 partis dans la koutla puis nous sommes devenus 4, alors que nous n'avions pas une position commune. Aujourd'hui, un nouveau parti a fait son apparition et nous constatons de nombreux cas de transhumance sans que nous puissions pour autant adopter une position commune. Nous n'avons pas pris la bonne décision comme ce fut le cas en 1990 quand nous avons dit stop !
Lahcen Daoudi : Avant de parler de la responsabilité des partis politiques, il faut d'abord interroger l'Etat sur la manière dont on veut inciter les gens à intégrer les partis politiques. Aujourd'hui, il n'y a rien qui peut encourager les gens à adhérer aux partis. Le système qui a longtemps prévalu, consistait à démolir les partis. Même pour les nominations des ministres, des parties externes et influentes interviennent pour imposer leurs candidats. Mahjoub Aherdane avait dit une fois que lorsqu'on lui disait qu'il aurait un quota de quarante élus, cela voulait dire qu'il aurait effectivement 40 élus parmi les ‘'éléments externes'' placés par certaines parties au sein de sa propre formation politique. Alors comment voulez-vous que les partis soient forts ? Nous avions pratiquement les mêmes agissements que dans des régimes comme ceux de Bourgiba ou de Ben Ali en Tunisie qui ne permettent pas d'instaurer un climat de démocratie, que les Marocains n'ont pas connus d'ailleurs. Les jeunes qui demandent des réformes ne vont pas se contenter des simples effets d'annonce, mais ils ont besoin du concret. Comment ils vont accepter d'adhérer aux partis alors qu'ils n'ont aucun espoir de devenir ministres ou des hauts responsables ? Les partis marocains essayent tant bien que mal de cohabiter dans un cadre qui les entoure et les étouffe.
M. Daoudi, après avoir installé les mécanismes nécessaires pour lutter contre les obstacles qui ont sapé le climat démocratique, est-ce que vous pouvez garantir aux jeunes des postes à la hauteur de leurs aspirations ?
Lahcen Daoudi : J'ai dit que les partis ont pu survivre dans une conjoncture difficile et antidémocratique. La plante qui parvient à survivre à des conditions hostiles, peut très bien fleurir si tous les moyens nécessaires à son épanouissement sont disponibles.
Nabil Benabdellah : Lors d'une intervention dans une émission télévisée, j'ai déclaré que les propositions de réformes que nous avons présentées, confèrent au Premier ministre un vrai pouvoir. Ceci veut dire que le pouvoir est au peuple. Nous nous sommes basés sur le discours royal et à la lumière de notre lecture, nous avons proposé l'élargissement des pouvoirs du Premier ministre sur la base des principes démocratiques réels.
Nabila Mounib : Dans le discours royal, nous avons relevé des éléments qui indiquent l'adoption de la démocratie, mais cela dépendra également des garanties réelles pour l'instauration d'une atmosphère démocratique. Il faut commencer par le droit aux manifestations pacifiques et les médias publics qui doivent s'ouvrir sur toutes les sensibilités. Il ne faut pas avoir peur des opinions, car nous sommes en train de bâtir un Etat. Les autorités sont responsables alors qu'elles veulent jeter toute la responsabilité sur les partis politiques. De même, on doit montrer plus d'intérêt pour le tiers des Marocains qui est encore marginalisé. Cela dépendra encore une fois de signaux de l'Etat qui peuvent instaurer un climat de confiance. N'oublions pas qu'on est en train de préparer une nouvelle constitution pour le pays et si nous réussissons à faire sortir cette nouvelle constitution dans 4 mois, ça sera super. Cependant, nous avons besoin d'au moins deux mois de débat approfondi pour éviter d'avoir par la suite une constitution toute faite. Il est vrai que les jeunes ont joué un rôle important au point que tout le monde a été surpris au début. Mais les partis démocratiques ont reconnu par la suite la légitimité des revendications des jeunes. Certains partis les ont également soutenus en manifestant avec eux. Maintenant, nous attendons des signaux forts de la part de l'Etat.
L'argent « sale » et la politique ont été toujours deux faces d'une même monnaie dans notre pays. Est-ce que vous ne pensez pas qu'au lieu de perdre du temps dans des débats byzantins, il aurait été nettement mieux pour les partis politiques et le mouvement des jeunes de concentrer leurs efforts pour demander des poursuites judiciaires dans les affaires de dilapidation et de détournement des deniers publics ?
Nabil Benabdellah : Nous avons présenté des propositions dans ce sens. Nous proposons par exemple de constitutionnaliser la Cour des comptes. Concrètement, la Cour des comptes est chargée de faire des investigations sans pour autant pouvoir saisir le procureur général. Il doit d'abord passer par le Premier ministre ou le ministre concerné avant toute saisine. Nous avons également une Instance centrale de la prévention de la corruption, mais il s'agit uniquement d'une simple instance consultative. Nous avons également un conseil de la Concurrence qui lui également ne peut intervenir. Le temps est venu pour que cette situation change. Il faut reconnaitre que le discours royal contenait des signes qui référaient à la nécessité de contrôler les fonds publics. Sa Majesté a donné l'exemple d'un vrai dirigeant réformateur. De notre part, nous devons avoir le courage pour adhérer avec sérieux dans les réformes en cours. Ces réformes ne sont pas le résultat du néant. Mais c'est le résultat d'une lutte des forces politiques qui ont des années durant, milité pour la séparation des pouvoirs, la constitutionnalisation des mécanismes de lutte contre la corruption, l'élargissement de l'espace des libertés, l'égalité entre hommes et femmes… Sa Majesté a donc interagi par rapport aux aspirations des jeunes. Concernant, les jeunes qui ont manifesté, je dirais que leurs demandes exprimées sont les mêmes qui ont été déjà formulées sachant que la majorité des jeunes n'a pas manifesté. Je conseille le gouvernement que nous devons nous comporter selon la nouvelle constitution et prendre l'initiative et ne pas trop attendre.
Nabila Mounib : J'ai quelques points qui méritent d'être discutés. Il faut dire que des partis ‘'administratifs '' n'ont jamais demandé des réformes alors que d'autres partis militaient. Or aujourd'hui, tout le monde se bouscule pour présenter des propositions. Nous ne voulons pas marginaliser qui que ce soit, mais nous devons rester tout de même vigilants concernant des tentatives pour bloquer la réforme.
Nabil Benabdellah : Je pense Nabila que le temps est venu pour que les citoyens aient la possibilité de faire la distinction entre ceux qui veulent tout juste de retouches superficielles à la constitution et ceux qui sont pour la nouvelle ère et le pouvoir des institutions.
Lahcen Daoudi : Je veux lancer un message aux médias nationaux. Il est grand temps pour que les journaux, les radios et les télévisions s'engagent sérieusement à donner la parole aux partis politiques pour exprimer leurs positions. Je m'adresse également à la presse écrite. Les journalistes doivent s'impliquer dans la vie partisane.
Mais vous avez une presse partisane qui ne parvient pas à capter l'attention des lecteurs ?
Nabil Benabdellah : Certains journaux dits «indépendants» passent leur temps à critiquer les partis. Ils se sont spécialisés dans le dénigrement de tous les politiciens qu'ils soient islamistes, progressistes, démocrates ou autres. Les propriétaires de ces journaux travaillent pour des parties bien connues.
Lahcen Daoudi : Je voulais dire que les journalistes ont un métier noble. Son rôle principal est de participer à la construction d'une société. Le dénigrement et la démolition sont des tâches faciles. La presse doit accompagner le processus de réforme avec des critiques constructives. Il ne faut pas se contenter de parler de la partie vide du verre, mais consacrer également un intérêt pour la partie remplie. Ceci ne va pas encourager le citoyen à s'impliquer dans la vie politique. Dans une émission télévisée de débat, les hommes politiques ne sont aucunement invités à parler de leurs programmes. Toutes les questions sont destinées à placer les partis politiques aux bancs des accusés. La mise à niveau de la scène partisane nécessite en parallèle une mise à niveau de la scène médiatique pour le bien de tous, notamment les jeunes.
Les partis politiques ont présenté leurs mémorandums à l'exception du PSU. Pourquoi ?
Nabila Mounib : Concernant ce chantier énorme, notre parti avait déjà préparé un mémorandum. Mais vu la situation actuelle, il était nécessaire de la réactualiser. Le PSU a refusé de présenter ces propositions à la commission créée parce qu'un tel projet ne doit pas être traité par une commission créée précipitamment. Nous craignons, ce qui est légitime, d'avoir au final une constitution toute faite à la place d'une constitution à laquelle nous aspirons tous.
Toutefois, les partis ont présenté leurs copies en peu de temps. Comment voyez-vous cela ?
Nabila Mounib : En ce qui nous concerne, nous avons voulu constituer un pôle de partis pour éviter la balkanisation sur la question. Dans la mesure où il est profitable d'unir les idées dans le respect de la différence, bien entendu. Nous aurons une réunion de discussion avec nos partenaires et nous préparons un colloque sur les réformes constitutionnelles en début mai prochain. Dans cet esprit-là, nous refusons les propositions qui se font à la va-vite. Par contre, nous voulons avoir une vision globale de ce chantier sur une base démocratique où le préambule de la nouvelle Constitution occupe une place de choix. Ce dernier doit contenir les ingrédients d'une future monarchie parlementaire. La deuxième étape concerne les institutions constitutionnelles en mettant l'accent sur une véritable séparation des pouvoirs (exécutif, législatif et judiciaire). Dans tous nos mémorandums, nous avions demandé à ce que la justice ne reste plus sous le joug de l'Exécutif. Car une justice indépendante est la pierre angulaire de tout système démocratique que l'on appelle de nos vœux et auquel nous tendons. Nous n'allons pas nous contenter de présenter des principes et des mesures, mais nous allons expliquer chacune de nos propositions pour qu'il n'y ait pas interprétation ou fausse lecture. Et nous, en tant qu'hommes politiques, nous disons que le pouvoir est désormais entre les mains du peuple qui doit l'exercer. Et puisque nous parlons de pouvoirs, il faut délimiter les contours de chacun. Nous avons parlé de tous les détails dans la mesure où il faut avoir un peu d'audace dans ce dossier. Il y a toujours des personnes qui se cachent derrière S.M. le Roi et continuent de le faire. Nous devons déterminer ce qu'on veut dire par la commanderie des croyants que nous voulons qu'elle reste symbolique et que le Roi doit garder son rôle d'arbitre. Il représente aussi, à nos yeux, le lien entre le gouvernement et les citoyens. Ses prérogatives seront clairement définies dans la Constitution. Le gouvernement doit prendre ses responsabilités de manière complète. C'est la voie idoine pour arriver à la séparation des pouvoirs et le passage à la véritable démocratie selon les critères internationaux. Il n'y a pas de démocratie à la marocaine. Nous avons vécu un simulacre de démocratie avec un Parlement et un gouvernement marginalisés. Nous voulons en finir avec cette situation et durant les réunions de notre conseil national, les militants ont afflué de toutes les régions du pays parce qu'ils ont senti l'importance de la question et le sérieux du débat. Dans notre communiqué, nous avons inscrit les éléments de base parmi lesquels une égalité complète entre l'homme et la femme concernant tous les droits. C'est un acte de courage dans la mesure où nous sommes en compétition avec d'autres projets sociétaux. La Constitution en tant que loi suprême est appelée à trancher dans ce genre de question.
Quelles sont les propositions et remarques que vous avez apportées après le discours du 9 mars ?
Nabil Benabdellah : Je veux d'abord insister sur le rôle de la presse sérieuse dans cet effort de pédagogie. Car nous sommes encore dans une sorte de cacophonie qui nous empêche de s'écouter mutuellement. C'est bien d'appeler à une Constitution démocratique, à condition de savoir de quoi on parle. Pour ce qui nous concerne, nous partons du principe de la construction d'un Etat moderne et démocratique et la Constitution doit aider dans ce sens. Bien évidemment, nous partons de la réalité marocaine caractérisée par un certain cumul à prendre en ligne de compte. Nous ne sommes pas dans un pays où les institutions ont chuté. Cela ne doit pas être non plus un alibi pour n'apporter que des retouches à l'actuelle Constitution. Or, il y a des principes pour lesquels nous optons comme la souveraineté du peuple qui l'exerce à travers le référendum ou encore des élections législatives justes et libres et des élections régionales et locales, également. Dans cette optique, nous devons nous inscrire dans l'horizon d'une monarchie parlementaire parallèlement à une clarification des pouvoirs. Nous devons mettre toutes ces idées dans le circuit du débat commençant par la symbolique et la place de l'institution royale. Dans un pays comme le Maroc avec ses spécificités politiques, sociales et religieuses, la commanderie des croyants fait partie intégrante de cette institution. On le dit parce que nous connaissons l'ouverture d'esprit de la monarchie vis-à-vis des questions liées à la pratique de la religion. A ce propos nous sommes d'accord avec nos amis au PJD. Mais nous ne sommes pas d'accord avec d'autres partis qui ne se réfèrent pas au même principe. Nous qui sommes dans une dynamique qui nous permet de poser la question de la séparation entre l'Etat et la religion, pensons aussi qu'il faut avant tout faire mûrir les choses.
Concrètement, que proposez-vous en termes de mesures ?
Nabil Benabdellah : Pour nous, Amir al Mouminine est le chef de l'Etat et le représentant suprême de la Oumma (de la nation dans la Constitution actuelle). Il est le garant de l'indépendance du pays et de son intégrité. Le Roi est également l'arbitre pour ce qui est des grandes orientations qui tournent autour des quatre principes fondamentaux que sont la religion, la nation, la monarchie et la démocratie. Ceci étant, nous estimons que la Constitution est l'origine des pouvoirs, de leur séparation et des différentes prérogatives. Elle organise les rapports entre les institutions et le texte constitutionnel. Le pouvoir exécutif est du ressort du Premier ministre et du gouvernement. Ce qui veut dire que toutes les politiques publiques émanent d'un gouvernement, présidé par un Premier ministre élu de manière démocratique. De là, les prérogatives du conseil de gouvernement doivent être élargies. Quant au conseil des ministres que le Roi préside, sa présidence peut être déléguée au Premier ministre. Les nominations aux fonctions civiles se feront ainsi, proposons-nous, dans le cadre du conseil des ministres sur propositions du Premier ministre et en respect d'une certaine procédure. Nous sommes aussi pour l'élargissement du rôle du Parlement pour limiter l'intervention de toute autre source de législation. Et ce, à l'exception des dahirs qui régissent le champ religieux. Sur ce registre, nous disons que la religion de l'Etat est l'Islam tout en garantissant la liberté de croyance. Pour ce qui est de la Chambre des conseillers, nous prônons sa mue en un Sénat avec pas plus de 100 membres. En réduisant le nombre des élus, l'on réduit par la même occasion l'usage de l'argent sale dans les élections. Nous voulons aussi une justice réellement indépendante dans la mesure où le gouvernement, via le ministre de la Justice, ne doit pas y intervenir. Nous disposons aussi de propositions pour la démocratisation de la composition du Conseil supérieur de la magistrature. Pour ce qui est des droits de l'Homme, nous optons pour tout ce qui est en vigueur dans les conventions internationales. La finalité étant de réduire la pauvreté et créer une solidarité entre régions riches et régions pauvres. Nous sommes, également, pour l'égalité entre l'homme et la femme dans tous les droits. Quant à la langue amazighe, nous sommes pour une période transitoire avant son inscription dans la Constitution comme langue officielle. Dans ce cas, tous les documents administratifs et autres devront être disponibles dans les deux langues, arabe et amazighe. Ce dont on n'est pas encore prêt aujourd'hui.
Lahcen Daoudi : Il y a beaucoup de points en commun entre nous et le PPS au sujet des propositions de réforme de la Constitution. Au PJD, le mémorandum sur la réforme constitutionnelle a proposé que toutes les conventions internationales doivent être soumises au vote du Parlement pour une meilleure application au niveau local. Ceci étant, nous pensons que toute réforme ne doit pas passer sous silence l'évolution que le pays a connue à travers l'histoire. Il est crucial d'examiner les problématiques liées à l'exercice de la démocratie dans le cadre de l'actuelle Constitution. Notre copie insiste sur l'instauration d'une monarchie démocratique basée sur la commanderie des croyants et qui vise à préserver les acquis, l'unité et la stabilité de l'Etat et de la société. Nous insistons aussi sur le rôle de la nouvelle Constitution à hisser la référence islamique à la place qui lui échoit, à renforcer l'identité et à consacrer les libertés publiques et les droits de l'Homme. Pour nous, la réforme de la Constitution doit être une entrée en matière pour une démocratisation basée sur la séparation des pouvoirs. La copie du parti a appelé, entre autres, à l'annulation du conseil des ministres et la création d'un conseil supérieur de l'Etat, présidé par le Roi et où siège le Premier ministre, les présidents des deux Chambres du Parlement, le président du pouvoir judiciaire et le président du Conseil constitutionnel. Sans oublier l'élargissement des prérogatives du Parlement et bien entendu la désignation du chef de gouvernement sur la base des résultats des élections législatives. Pour garantir l'indépendance de la justice, nous estimons que le Conseil supérieur de la magistrature ne doit plus être présidé par le ministre de la Justice. Il faut aussi revoir la composition de ce conseil en considérant le statut des magistrats, une loi régissante qui se soumet au contrôle du conseil. Il faut aussi que les magistrats aient la possibilité de créer des associations professionnelles pour défendre leurs droits. En ce qui concerne la régionalisation, il faut qu'elle soit constitutionnellement reconnue en tant que collectivité territoriale. Les règles générales qui déterminent ses prérogatives, instances ainsi que son élection par voie de scrutin direct, doivent être clairement définis. Le président de région doit avoir toute latitude à exécuter les décisions du conseil et à être l'ordonnateur.
Nabila Mounib : Au PSU, nous sommes pour l'unité, mais nous voulons aussi que tout le monde profite pleinement de ses droits. Notre copie englobe la constitutionnalisation de la langue et la culture amazighes. Les Amazighes sont les premiers habitants du Maroc. Pour nous, cela constitue une fierté et une richesse, mais cela ne veut pas dire qu'on doit étudier une multitude de langue. A l'université, le niveau des étudiants est trop bas pour qu'on introduise d'autres langues. Nous sommes dans une période où l'on doit construire le pays sur des bases démocratiques et des institutions fortes et non à satisfaire tout le monde.
C'est le début d'une renaissance du citoyen arabe musulman qui est aujourd'hui dans un combat pour la liberté. Il faut rester, néanmoins, vigilent par rapport au rôle négatif que peut jouer l'extérieur. Il n'est pas dans son intérêt qu'on puisse, en tant que peuples arabes, se mettre d'accord et discuter nos affaires calmement. Il faut aussi qu'on lutte contre les poches de résistance qui profitent de l'économie de rente.
Bref, l'homme qui ne porte pas en lui un idéal ne mérite pas de porter le nom d'homme. Nous sommes fiers aujourd'hui, avec d'autres partis progressistes, nationaux et historiques, d'avoir ce souci-là.