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Lundi 20 Mai 2024
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Le vivre ensemble ou comment reconstruire le lien social ?

La question de ce lien social est devenue un sujet de préoccupation, voire stratégique pour tous les pays,
qu'ils soient développés ou en voie de développement.

Le vivre ensemble ou comment reconstruire le lien social ?
Le Forum de Paris a été organisé mercredi à Casablanca.
Que vaut une croissance sans développement durable ? Que vaut la croissance sans cohésion sociale ? Rien et en l'absence de cohésion sociale, toute croissance, tout développement d'un pays est fragilisé. C'est dire l'importance du panel consacré au « lien social » compte tenu des tensions régionales, mais aussi de la montée des risques majeurs soulignés dans différentes interventions : crise de gouvernance, «génération perdue par le chômage», souligné par le président de la fondation Le monde, Serge Marti, risque de voir que l'effort d'investissement n'ait pas d'effet multiplicateur et ne se traduise pas en taux de croissance, mis en avant par Bassim Jai Hokeimi, risque de la montée « exponentielle » des prix des matières premières, démontré par le professeur Philippe Chalmin…C'est dans ce contexte et pour assurer une stabilité politique, qu'il faut impérativement reconstruire le lien social. Mais qu'est-ce que ce lien ?
« Le lien social, c'est un ensemble de règles, de conduites, de normes, c'est ce que partagent ensemble les individus, ce qui suppose un lien de confiance, ciment du lien social, qui conditionne la cohésion sociopolitique et la performance économique ».

Ce constat que présente Taoufik Mouline, directeur de l'Institut royal des études stratégiques, dans son intervention au Forum de Paris, est la conclusion tirée d'un ensemble de tableaux et de graphiques, et de résultats de l'enquête mondiale des valeurs qui montre le degré de confiance accordé à plusieurs institutions comme l'armée, la police, la justice, le parlement et les syndicats …La question du lien social est désormais, dit-il, et pour tous les pays, développés ou en voie de développement, un sujet de préoccupation, une question stratégique, celle du comment «vivre ensemble de manière apaisée», qui interpelle le politique bien sûr, mais aussi les autres acteurs de la société civile et les universités par le biais de la recherche en sciences sociales. L'interpellation s'est accélérée récemment avec les dégâts causés par la crise mondiale et ses conséquences en termes de fragilisation du tissu social et de paupérisation grandissante. Le dénominateur commun de la crise systémique c'est, dit-il, la question de la gouvernance mondiale et de la gouvernance à l'intérieur des Etats qui crée une désaffection des citoyens vis-à-vis du politique.

C'est aussi un vaste débat sur le nouvel ordre mondial en gestation et la remise en cause du régime de croissance libéral, mettant en relief les limites des mécanismes du marché en tant que déterminants exclusifs et l'intervention nécessaire de l'Etat en tant que régulateur et distributeur des richesses. La place du lien social dans les agendas politiques s'explique aussi par les changements et les évolutions sociaux : « Nous sommes dans un cycle irréversible d'autonomisation et d'individualisme, du retour du religieux et du phénomène de virtualisation chez les jeunes, la révolution des nouvelles technologies ayant changé le regard des jeunes. Toutes ces évolutions appellent à une transition, celle «d'une société de liens ou les transactions obéissent à un espace de loyauté vers une société de droit, ce qui nécessite de faire des reformes structurelles, avec au centre la réforme de la justice centrale, l'institutionnalisation des rapports entre l'Etat et les citoyens, la promotion du principe de démocratie participative pour que les citoyens participent à la construction de leur avenir et la réhabilitation de l'action publique».

Pour une plus grande cohérence dans l'action publique, qui se conjugue avec une culture d'évaluation contre la corruption, il faut, souligne le directeur de l'IRES, poindre deux maux de la société, l'inégalité sociale, tout d'abord, qui freine la croissance et qu'il faut réduire en élevant les niveaux de formation et de qualification et en donnant un plus large accès aux services publics. La corruption, qui touche tous les secteurs dans les pays en voie de développement, fragilise le lien, pèse lourdement sur la croissance, ouvre la porte à des réseaux mafieux, crée des liens sociaux non souhaités, déstabilise les bases de la démocratie. Dans le radar international, où peut-on, selon les études internationales, situer le Maroc ? A partir de différents variables qui évaluent à la fois la sécurité et le degré de libertés politiques, on voit des cadrans qui intègrent des régulations sociales personnalisées et autoritaires pour les pays comme la Syrie, la Libye, la Tunisie, l'Egypte.

Dans un autre cadran, dans les pays à régulations sociales personnalisées et fragmentées on trouve le Maroc et la Turquie, ce dernier pays s'orientant vers le pôle de normes sociales ouvert qui regroupe les pays européens. Quelle conclusion tirer de ce tableau ? Que le Maroc est sur l'axe médian qui nécessite une accélération des réponses de régulation sociale qu'il doit trouver dans son histoire et son environnement, car les modèles de cohésion sociale ne sont pas transposables et qu'ils nécessitent des approches multidisciplinaires, un regard croisés des politiques, des chercheurs de la société civile. La confiance institutionnelle et interpersonnelle, c'est le socle du capital social, ciment de la cohésion sociale et de la stabilité politique, la confiance renseignant sur la capacité à renforcer les solidarités, sur le système politique et sur l'Etat de droit. Pour le moment, nombre de pays du sud de la Méditerranée se basent sur des solidarités traditionnelles, au détriment des solidarités institutionnelles qui sont peu développées. Avec le délitement des liens traditionnels, de la famille, de la société, des liens internationaux, que peut-on reconstruire et comment, telle était la question posée par le dernier panel du Forum de Paris.

Si les derniers événements de la région sont perçus par le professeur Jean Louis Dufour comme un renversement de la stratégie américaine et un renversement des situations des pays de la région, avec une Egypte qui est toujours à une place centrale dans le monde arabe, le second intervenant initie une autre analyse. Au niveau de la région, nous pouvons faire beaucoup, répond l'ancien ministre italien des Affaires étrangères Gianni de Michelis, président du think thank IPALMO, pour peu que l'on tire les leçons de la faillite des différents plans et processus comme celui de Barcelone, ou celui de l'UPM, et qu'on institue une culture de véritable partenariat avec des acteurs responsables qui travaillent sur les équilibres. M. De Michelis mettra en avant le modèle de négociations et d'accords, celui de l'Acte d'Helsinki, du 1er août 1975. Les 35 pays participants de l'Est et de l'Ouest de l'Europe se sont entendus sur une série d'énoncés portant sur une variété de thèmes : la sécurité, les échanges économiques, la coopération scientifique et technologique, le respect des droits de l'Homme, les relations entre l'Est et l'Ouest, etc. Une planification est également établie afin de donner un suivi à la conférence. De nombreux chefs d'Etat, dont le président américain Gerald Ford, avaient assisté à la cérémonie de signature pour donner plus de poids à l'accord.

Habib Malki, président du Centre marocain de conjoncture, qui traitait des nouveaux paradigmes du lien social, déclare qu'il faut repenser le changement à l'aune du concept de la « sécuctroissance » qui met en exergue les facteurs non économiques qui sont déterminants. Ces facteurs sont la confiance, la solidarité, la démocratie par le biais des réformes institutionnelles nationales, régionales avec la construction du Maghreb et internationales. L'ensemble du processus mettant au cœur de toute action la « conditionnalité sociale » c'est-à-dire le bien-être des citoyens. Une tonalité que l'on retrouve dans le ressenti du nouveau secrétaire général de l'UMT, Miloudi Mokharik, qui rappelle le prix payé par les travailleurs dans la crise actuelle et l'exigence d'une prise en compte de la cohésion sociale et dans le mot de Khalid Najab, psychothérapeute, qui pourra se résumer en un mot : la dignité et l'impérieuse nécessité d'une prise en compte de la dignité de chaque citoyen qui pourra peut-être faire l'objet d'un forum !
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