Est-il possible d’imaginer un Maghreb arabe uni sans l’ouverture des frontières entre le Maroc et l’Algérie ? Est-il même concevable que deux principaux acteurs d’un tel ensemble géopolitique puissent continuer à se regarder face-à-face comme des «chiens de faïence» sur une commode et à se méfier aussi gravement l’un de l’autre ? Pour être si pertinente, la question a tendance de nos jours à perdre de son intérêt, tant il est vrai qu’elle a été banalisée, enfouie dans le lourd manteau de l’indifférence. Depuis des années, nous restons habitués à la même rhétorique, assommante et récurrente, les slogans devenant le maître-mot qui nourrit l’imaginaire fantasmatique des peuples.
Ce n’est pas mettre en question la frileuse espérance que les déclarations du président tunisien ont suscitée, à l’occasion de sa visite à Rabat, Nouakchott et Alger. Il a affirmé que l’année 2012 sera celle du Maghreb et annoncé mettre tout son poids personnel dans la balance pour réaliser l’indépassable objectif. Cependant, à regarder de plus près la réalité politique et sociale de la région, un certain nombre d’interrogations surgissent pour ne pas attirer gravement notre attention. Si le Maroc adhère spontanément au credo maghrébin et prend en compte sérieusement une telle option stratégique, s’il ne manifeste aucune réticence, ni de principe ni de facto, pourquoi le gouvernement algérien continue à s’y opposer ? La réunion, samedi dernier à Rabat, des ministres des Affaires étrangères des pays de l’UMA ( Maroc, Algérie, Tunisie, Mauritanie et Libye) a inscrit à l’ordre du jour, apparemment, tous les sujets d’intérêt commun, sauf le plus important, celui de la réouverture des frontières maroco-algériennes qui incarne le symbole de toute normalisation.
Fidèle à sa stratégie, la délégation algérienne, tout à sa meilleure volonté affichée, n’entend pas, ou pas encore, accorder un autre intérêt à la question. La réouverture des frontières sera-t-elle évoquée un autre jour, par d’autres temps ? Autrement dit, au lendemain du Sommet de l’UMA décidé et prévu dans quelques mois ? En effet, si l’hypothèse d’un prochain Sommet maghrébin est retenue, celui-ci ne pourrait être organisé dans le meilleur des cas qu’au-delà du mois de juin, une fois que les élections législatives se seront déroulées respectivement en Algérie et en Libye. Moyennant quoi, de nouvelles majorités politiques pourraient surgir dans ces pays et, ce qui n’est guère exclu, seraient susceptibles de remettre en cause-pour un temps au moins-la remise en route du processus maghrébin.
La réunion de Rabat de samedi 19 février ne peut se prévaloir de quelque retombée que ce soit, notamment sur le dossier qui fâche du Sahara, et des frontières qui constituent le sujet tabou dont, toutefois, les sociétés civiles des deux pays font le critère, en tout cas le test d’une normalisation entre les deux pays. Peut-être se réjouit-on, un peu facilement, de la décision de ne plus fermer la porte au Maroc et à la Tunisie de ce «club» de réflexion sur la sécurité collective dans le Sahel auquel le Maroc apporterait en effet une large et efficiente contribution. L’Algérie semble faire contre mauvaise fortune bon cœur, parce qu’elle est enferrée dans une problématique sécuritaire évidente : un immense flux de réfugiés qui fuient le nord du Mali, mis à feu et à sang par les combats entre Touareg et l’armée malienne, et l’activisme incessant ensuite d’Al-Qaïda ( Aqmi) qui redouble d’intensité.
Les finauderies diplomatiques sont une chose, la réalité une autre ! Celle du Maghreb se console des beaux discours, mais demeure plombée par l’égoïsme sacré de ses dirigeants, alors même que les peuples-pas moins de 100 millions d’âmes-n’ont d’autre choix que de rester les otages de la politique et de l’aveuglement.