On a beau avoir établi les droits de la femme, défendu son autonomie, encouragé son indépendance… sa vie est toujours ponctuée par les défis et les reproches. Quoi qu’elle fasse de sa vie, ce n’est jamais assez pour son entourage. Elle est tout le temps sous pression : étant enfant, elle doit être une fille modèle ; adolescente, elle doit bien se tenir pour se marier rapidement ; à vingt ans, on commence à se demander si elle a des prétendants ; à 30 ans, on ne comprend pas pourquoi elle préfère développer sa carrière plutôt que de «se caser» ; une fois mariée, il faut qu’elle tombe enceinte (de préférence d’un garçon) ; quand elle a un enfant, il lui en faut un second…
La grossesse est le second point le plus épineux dans la vie de la femme, après le mariage. En effet, une fois qu’elle a trouvé l’heureux élu de son cœur, commence immédiatement la course vers la grossesse. Poussée par sa famille et sa belle-famille, la jeune épouse n’a pas le temps de souffler. Une pression énorme lui tombe sur la tête : il faut qu’elle tombe enceinte rapidement ! Une manière pour la famille de s’assurer de la «bonne santé» de leur fille, et pour la belle-famille d’assurer la descendance de la famille.
Avoir un enfant tout de suite, c’est naturel. Attendre un peu, pas question. La jeune femme doit savoir négocier avec le mari, la mère et la belle-mère qui piaffent d’impatience de voir se perpétuer la lignée, mais aussi avec les proches, les tantes et les voisines qui ne comprennent pas comment, quand on est une femme, on ne meurt pas d’envie d’avoir un petit de soi et de l’autre, d’avoir au creux du ventre et dans le cœur ce désir purement féminin : le désir d’enfant. Bref, quelles que soient les raisons de l’idée saugrenue de repousser l’arrivée du premier enfant, elles sont toutes inacceptables et rejetées d’avance.
Alors, quand la jeune femme n’arrive pas à concevoir rapidement, c’est la panique totale. Et tous les moyens sont bons pour «conjurer le mauvais sort» ! «On a fait une dizaine d’analyses et le médecin est catégorique: ni moi, ni mon mari n’avons des problèmes physiques qui empêchent de concevoir un bébé. Pourtant, je n’ai pas réussi à tomber enceinte, même après deux ans de mariage», raconte Fouzia, 24 ans. Et de confier : «J’ai supplié le médecin pour pratiquer une insémination artificielle, mais il a refusé sous prétexte que mon corps fonctionne correctement et que je n’ai pas besoin de ce genre d’intervention. Alors, je me suis tournée vers les méthodes traditionnelles».
Il s’agit plutôt de charlatanisme. Fouzia avoue qu’en plus d’avoir ingurgité toutes les «potions magiques» censées l’aider à favoriser la grossesse, elle a fait des offrandes à différents marabouts.
«Ma mère et ma belle-mère m’ont emmenée à Moulay Ibrahim, dans les environs de Marrakech et nous y avons séjourné pendant trois jours. Nous avons fait beaucoup d’offrandes et nous avons même sacrifié une chèvre, pour que le “Ouali” nous bénisse et exauce notre vœu», confirme la jeune femme. Et d’ajouter fièrement : «Au fond, je n’étais pas d’accord pour ce genre de pratiques, mais Dieu merci, nos efforts n’ont pas été vains. Quelques semaines après notre retour du mausolée, j’ai découvert que j’étais enceinte.
Le miracle s’était produit». Fouzia est tellement certaine que c’est grâce à ses offrandes qu’elle est tombée enceinte, qu’elle prévoit aller la semaine prochaine à un autre marabout «Moulay Bouchaib», célèbre pour sa capacité à «donner» des garçons ! «Ces histoires de marabouts c’est de l’escroquerie», fustige Aïcha 42 ans, qui avoue avoir tenté l’expérience elle aussi, avant de se rétracter. «Moi aussi j’y croyais à une époque. J’étais jeune et on me pressait de tomber enceinte. Alors, j’ai fait le tour de plusieurs mausolées pendant trois ans. Mais la “Marfouda” n’a jamais donné de résultat. Lorsque je me suis résignée à accepter mon destin et que j’ai décidé d’arrêter de dépenser mon argent et mon énergie dans ces histoires de charlatanisme, j’ai fini par avoir des jumeaux, puis deux autres enfants. Si cela n’est pas un signe divin !», souligne-t-elle.
Des recettes pas magiques
Outre les marabouts, les jeunes femmes désespérées ne reculent devant rien pour aboutir rapidement à une première grossesse. Elles avalent différentes herbes qui peuvent par la suite s’avérer fatales pour la santé de la femme. «Quelques mois après mon mariage, j’ai commencé à m’angoisser parce que je n’étais pas encore tombée enceinte. Alors, mes proches m’ont proposé d’ajouter à tous mes repas une dose de “msakhen” qui sont censés favoriser la grossesse et préparer l’utérus. Après, une semaine à manger ces éléments midi et soir, j’ai eu une grosse hémorragie. Arrivée à l’hôpital, le médecin a diagnostiqué une fausse-couche.
En fait, j’étais enceinte sans m’en rendre compte et les “msakhen” ont tué le bébé. Le pire dans l’histoire, c’est que mon utérus s’est endommagé et qu’il me faudra suivre un long traitement avant de pouvoir concevoir à nouveau», indique Houria, tristement. «Ce qui me blesse le plus dans l’histoire, c’est que moi je n’étais pas pressée d’avoir des enfants, je n’avais que 26 ans. Mais c’est ma belle-famille qui me mettait autant de pression et c’est toujours elle qui m’a obligée à avaler ces herbes empoisonnées. Aujourd’hui, je suis l’objet de toutes les critiques. Ma vie est devenue un enfer», confie-t-elle.
La pression de la société, subie par la jeune épouse, d’avoir un enfant commentée par Ghita Msefer, psychologue
«Devenir mère signifie pour beaucoup de femmes devenir adulte»
Pour beaucoup de femmes, avoir un enfant est un moyen de consolider leur couple et légitimer leur place au sein de la belle-famille certes, mais aussi au sein de leur propre famille. Parce que la mère a une place centrale dans la société marocaine et donc devenir mère signifie pour beaucoup de femmes : devenir adulte. Ce qui n’est pas forcément vrai. Maintenant, pour ce qui est de la pression subie par les jeunes épouses dans le but de concevoir rapidement, il faut d’abord souligner que vivre dans une société équivaut à supporter la pression de celle-ci, surtout que la femme vit dans une pression permanente : il y a d’abord la pression du mariage, ensuite celle de la première grossesse, puis la deuxième grossesse… et face à cette influence, chaque femme réagit selon son caractère.
Si elle est du genre à ne pas supporter les critiques et les reproches, elle va se sentir harcelée, voire agressée et ne va pas du tout accepter cette pression. Si par contre, elle est du genre «cool» et «je-m’en-foutiste», la pression sera moins lourde à supporter pour elle et ne se sentira pas obligée de faire plaisir à quiconque. Toutefois, il ne faut pas oublier qu’il est très difficile pour une femme d’accepter de ne pas tomber enceinte et donc, de devenir une mère. Quand elle n’arrive pas à gérer son corps, c’est une partie d’elle-même qui échappe à son contrôle. C’est l’une des raisons justifiant le recours de certaines femmes au paranormal. Aussi, mis à part le besoin de plaire à sa belle-mère en assurant la descendance de la famille, la femme, en voulant absolument tomber enceinte, tente de rivaliser avec sa propre mère. Parce qu’en général, quand une femme conçoit ses enfants, sa mère n’est plus en âge de le faire. Cette rivalité mère/fille peut aussi expliquer la pression que se mettent certaines femmes pour devenir mères.
