«Partir… c’est vivre». C’est le titre qu’a choisi l’artiste pour évoquer les voyages de ses personnages, puis les difficultés qu’ils rencontrent dans leur périple. Tout un langage et un dialogue artistique pour parler de ces déplacements vers l’autre, qui regorgent de messages. Abdelkrim Ouazzani les conçoit à travers ses personnages fantastiques pour composer ses scènes, mettant en exergue des situations incongrues provoquées par les inégalités sociales et raciales.
Un travail de fond qui a été monté avec la collaboration de Moulim El Aroussi, critique d'art et fondateur du département «Arts plastiques» à la Faculté des lettres et des sciences humaines Ben M’sik de Casablanca. Ce dernier, qui connait profondément Abdelkrim Ouazzani, a saisi l’occasion de cette exposition pour révéler aux lecteurs et aux amateurs le fond de l’œuvre, ainsi que le personnage de l’artiste. «Ouazzani mène, depuis longtemps déjà, une réflexion inlassable sur le devenir de ce que les Grecs avaient déjà appelé la Physis. À travers cette pensée, il croise mon intérêt philosophique sur le rapport de la technologie à la métaphysique. Depuis que la philosophie grecque a posé la question fondamentale “de quoi est faite la physis ?” l’humanité s’est mise sur le chemin de la maîtrise de la nature, oubliant ainsi que dominer la terre c’est se dominer soi-même.
Question complexe, me dira-t-on ! Pas du tout, il suffit de suivre Ouazzani pour la comprendre», souligne Moulim El Aroussi. Dessinateur, peintre et sculpteur, Ouazzani invente des jeux savants. Avec une naïveté raffinée, avec une simplicité subtile, il crée des sculptures polychromes où le métal et le plâtre sont enveloppés, habillés d’une toile en peinture acrylique.
En effet, ce rebelle de l’art au Maroc, qui s’est constitué une personnalité entre Tétouan et Paris, est rentré dans son pays avec d’autres visées plastiques dont le jeu fut la base de sa migration de la peinture académique vers la sculpture, comme l’explique Moulim El Aroussi. Ses expositions en plein air en étaient la cause.
Ainsi, le ludique a pris place dans la créativité artistique de Abdelkrim où l’humour représente son arme fatale. «Effectivement, l’art est aussi une arme des faibles. Savoir parler ou dessiner c’est posséder un pouvoir redoutable. L’humour est, certes, une libération psychologique. Mais il est aussi, selon la psychanalyse, une sublimation», précise le critique. Il reste maintenant à explorer la thématique de ses travaux qui se focalisent autour du déplacement.
D’où la présence de la roue dans chacune de ses créativités. Déplacement, voyage, migration sont les mots clés de ses sujets. Plus spécialement, l’immigration et tout ce qu’elle rapporte avec elle de désastre et de cruauté pour l’être humain. «C’est là où ma vache crie de toutes ses forces. Je ne peux rien faire. Quand tu es dans une situation désastreuse : tu cries. C’est un cri pour la survie. Dans une telle situation dramatique, tu trouveras dans mes œuvres des poissons par exemple qu’on a mis dans un bocal pour les sauver et aller les protéger dans un lieu sûr pour sauvegarder l’espèce. Je pense que l’artiste a un rôle à jouer sur ce plan. L’art est la conscience des peuples.
L’artiste ne traite ni des chiffres ni de choses matérielles, mais bien de sa conscience. Il n’a pas non plus un objectif politique. Le rôle de l’artiste à travers l’histoire de l’humanité est bien d’interpeller». Ses déplacements sont véhiculés par sa série : «Le train de Noé» ou encore «l’Arche de Noé», dont la destination pour Ouazzani n’est pas importante, seul compte le voyage. «Car le bonheur n'est pas une ville ou un pays en particulier. Il est en soi». C’est bien le message de l’artiste à travers ses œuvres.