Le mois de Ramadan s’accompagne de changements importants dans notre rythme de vie. Notre sommeil est entrecoupé, nos habitudes alimentaires changent, nous causant quelques dérèglements du système digestif (constipation, diarrhée…). De même, des changements métaboliques ont lieu, influençant notre comportement (irritabilité, stress…). Et comme si cela ne suffisait pas, les fortes chaleurs et les journées qui se rallongent viennent compliquer la tâche du jeûneur, sachant que même à la tombée de la nuit, la température continue de nous en faire voir de toutes les couleurs.
Ces petits tracas ramadanesques tout le monde les connaît, mais certains y sont plus sensibles que d’autres. On pense notamment aux diabétiques, aux hypertendus et aux personnes âgées qui sont les plus vulnérables. En conséquence, certains services d'urgences enregistrent une importante hausse des fréquentations, à la fois de ceux qui souffrent de maux liés à la digestion, mais aussi ceux qui y sont très sensibles, comme les cardiaques, les diabétiques et les hypertendus, les ulcéreux ou encore les patients faisant des coliques néphrétiques (calculs au niveau du rein).
Mieux vaut prévenir que guérir
Pour le Pr Khalid Yaqini, il serait intéressant d’éduquer la population générale et les patients porteurs de pathologies chroniques sur la nécessité de consultations pré-Ramadan, au cours desquelles des stratégies de prévention devront être mises en place concernant l’adaptation thérapeutique et diététique afin de prévenir d’éventuelles complications. «Dans la même optique, il serait intéressant d’instaurer des traitements préventifs ou curatifs des troubles digestifs induits par le jeûne», affirme-t-il.
Boire très régulièrement, même en l'absence de sensation de soif, n'est pas toléré durant la journée pour les jeûneurs. Par contre, à défaut de s'abstenir de jeûner, il est conseillé de prendre des douches plusieurs fois par jour. Ceci dit, le spécialiste recommande de «veiller à ce que l’apport hydrique soit suffisant» (1.5 l d’eau par jour). De même, il est important que l’alimentation soit équilibrée. Privilégiez donc les fruits (attention à la banane le soir, à prendre plutôt au «s'hor») et les légumes verts qui faciliteront votre transit. À l’inverse attention aux aliments qui pourraient vous constiper. On pense notamment à l’association pain, «msemen», «baghir», «batbot», cake dans un même repas représentant une surconsommation de produits farineux. Le poisson c’est bien, mais pas en friture (même préparé soi-même) ! Il y a déjà assez de produits sucrés sur la table pour rajouter de l’huile (et de la farine) sur la liste… Et puis, pour éliminer tout ça, rien de mieux que la marche. Le ministère de la Santé conseille d’ailleurs à tous les jeûneurs, qui en ont la possibilité, de réaliser 30 min à 1 h de marche avant le «ftour».
Mais pour le spécialiste, il ne suffit pas d’éduquer les patients, mais aussi leurs médecins. C’est pourquoi il estime qu’il faudrait intégrer un module d’enseignement «Santé et Ramadan» pour le personnel médical dans lequel on traiterait de toutes les nouveautés et de toutes les mesures d’accompagnement des patients porteurs de maladies chroniques.
Enfin, il serait, selon le spécialiste, légitime de «renforcer les effectifs dans tous les hôpitaux afin d’assurer une meilleure prise en charge des patients pendant cette période».
Explications
Pr Yaqini Khalid,anesthésie réanimation pédiatrique – médecine d’urgence au CHU Ibn Rochd Casablanca.
«Le changement d’horaire du régime médicamenteux peut provoquer des crises convulsives»
Quelle incidence a le jeûne sur notre santé ?
Le mois de Ramadan s’accompagne de changements importants dans les habitudes de vie. En effet, il se caractérise par une perturbation du rythme du sommeil et par des changements métaboliques (constipation, diarrhée…) et comportementaux (irritabilité, stress…). Ce changement de mode de vie peut dans certains cas se répercuter sur la santé des jeûneurs.
Le service des urgences est-il en pleine effervescence durant cette période ?
En effet, nous observons trois pics de fréquentation des malades au Service d’accueil des urgences (SAU) du CHU Ibn Rochd pendant le Ramadan. Le premier pic est diurne, entre 11 h et 13 h. Ceci pourrait être expliqué par les réveils plus tardifs ou le début du travail, décalé d’une heure pendant le Ramadan. Le deuxième pic est observé entre 16 h et 17 h et coïncide avec l’horaire de fin d’activité. Enfin, le troisième pic est nocturne (entre 20 h et 22 h) s’expliquant par la reprise des activités après le ftour.
Quels sont les principaux motifs de consultation ?
Selon une étude réalisée dans le service des urgences du CHU Ibn Rochd de Casablanca, 65% des admissions durant le mois sacré l’étaient pour maladies. Les plus fréquentes étant de loin les maladies cardiovasculaires. Il peut s’agir d’hypertension due aux changements des habitudes alimentaires ou au décalage des prises médicamenteuses. Les accidents vasculaires sont aussi fréquents et sont dus à une augmentation des triglycérides ou du mauvais cholestérol durant cette période (alimentation trop grasse, trop salée ou trop sucrée).
De plus, 18% des admissions pour maladie le sont essentiellement pour colique néphrétique. Celle-ci est, en effet, favorisée par les longs voyages, la restriction hydrique et la chaleur qui coïncide cette année avec la période estivale et chaude. Le changement d’horaire du régime médicamenteux peut provoquer des crises convulsives. En effet, certains traitements devant être pris à heure fixe peuvent diminuer d’efficacité. Par ailleurs, le manque de sommeil, le stress émotionnel et la fatigue sont autant de facteurs déclenchant la crise au cours de ce mois sacré. L’alimentation n’étant pas équilibrée et les repas décalés, beaucoup de patients consultent également pour des pathologies digestives comme la dyspepsie (brûlures d’estomac), la constipation, les hémorroïdes les ulcères…
Enfin, il n’est pas rare de recevoir des patients diabétiques pour complications liés au jeûne : l’hyperglycémie, l’acidocétose diabétique et l’hypoglycémie.
On pourrait être étonné que le stress ou l’irritabilité liés au manque (tabac, drogues, caféine…) ne fasse pas partie des admissions...
On ne consulte pas pour du stress ou de l’irritabilité dans notre service, mais pour leurs conséquences : les violences. Chez nous, elles représentent le deuxième motif des pathologies admises en urgence durant cette période. Ce qui pourrait s’expliquer effectivement par le sevrage tabagique (ou de drogues), la réduction de la consommation d’excitants (café, thé…) et les modifications du rythme de sommeil. Le degré d’irritabilité subit une variation très importante pendant la période du jeûne avec un premier pic la première semaine du Ramadan et un deuxième plus important la quatrième semaine, avec un retour à la normale une semaine après le Ramadan.
Une étude a été réalisée dans notre centre psychiatrique portant sur 100 jeûneurs sains durant six semaines, le résultat de cette étude a montré une différence du degré d’irritabilité dés la première semaine. L’irritabilité est plus élevée parmi la population des fumeurs avec une différence statiquement significative. À noter qu’une étude marocaine a montré que le pic des admissions pour violence est situé entre 17 h et 19 h. Et puisqu’on parle d’irritabilité, autant parler des accidents de la voie publique (AVP), fréquents durant cette période. En effet, nous recevons assez souvent des personnes victimes d’AVP parce qu’un conducteur n’a pas été assez vigilant (diminution des réflexes induite par le jeûne) ou était trop pressé de regagner son foyer en omettant le respect du Code de la route.