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Samedi 18 Mai 2024
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La génération Y est déjà là, développons son leadership !

Le temps n’est plus à s’occuper du conflit qui oppose la génération Y à ses aînés dans nos entreprises. Ces jeunes-là y sont déjà bien installés et occupent même des postes de responsabilité. Mais en faire de véritables leaders, c’est tout l’enjeu. Et il est de taille !

La génération Y est déjà là,  développons son leadership !

Au Maroc comme ailleurs, l’arrivée de la génération Y sur le marché du travail a bousculé les règles établies et admises, contraignant les entreprises à chercher un nouveau positionnement face à ce «phénomène» qui, en fait, n’en est pas un. Depuis toujours, chaque génération est arrivée avec ses propres visions et convictions, souvent mal accueillies par celle qui l’a précédée. Les conflits entre générations ont toujours existé et se répètent comme un leitmotiv. Les rapports tendus entre les générations X et Y s’inscrivent dans cette logique-là. En fait, le débat dépasse la dimension «génération X vs Y», comme l’a souligné Fatim-Zahra Biaz, DG de New Work Lab, à l’occasion d’une table ronde organisée récemment à Casablanca par le Moroccan Observatory of Leadership (MOL) sur le thème : «Le leader Y marocain existe-t-il ?». «Il y a aujourd’hui de profondes transformations qui s’opèrent dans la société et qui font que l’entreprise doit faire de même. Ce n’est plus un choix, mais une nécessité. Il faut arrêter de remettre en cause la génération Y et plutôt réfléchir sur ces changements pour pouvoir s’y adapter», a-t-elle plaidé. C’est ainsi que la parole a été donnée aux jeunes Y marocains ayant prouvé leur leadership dans leurs domaines respectifs pour exprimer leur point de vue sur la question. Mais que reproche-t-on donc aux «Millénaires» ?

Aux yeux de leurs aînés, les «Yers» (prononcez whyers) sont irrespectueux de la hiérarchie, désengagés, déconcentrés, volatiles, trop ambitieux… Mais ceux-ci ne se retrouvent pas dans cette description et se disent respectueux de toute hiérarchie pour autant qu’elle soit légitime, plus prompts à explorer de nouveaux horizons, multitâches, autonomes, rapides, refusant d’être de simples exécutants et privilégiant le travail en réseau ainsi que la prise de risque. De plus, «à la différence de la génération Y en Europe, les jeunes Marocains sont aujourd’hui à la recherche de formation, d’apprentissage, de nouveautés, de changement et d’innovation», explique Smael Sebti, fondateur de l’agence digitale WBC. De manière générale, la génération Y n’a pas la même conception du travail, de l’excellence et de la qualité tels que perçus par les générations précédentes. «Le travail n’est pas d’exécuter des tâches pour recevoir un salaire. La jeune génération a besoin de donner du sens au travail et d’avoir de l’impact sur son environnement pour se réaliser», affirme Fatim-Zahra Biaz. «L'hyper connectivité à laquelle la génération Y a été exposée a façonné la manière avec laquelle elle appréhende son monde, ses relations et donc sa conception du travail», renchérit le DG du cabinet Convergence et l’un des fondateurs du MOL, Youness Bellatif. Celui-ci rejoint l’idée avancée au début par Fatim-Zahra Biaz en confirmant que «la question ne doit pas être centrée sur la génération Y, mais plutôt sur les nouveaux paradigmes qui constituent l'écosystème dans lequel nous vivons, en particulier celui de l'entreprise». Et il faut dire que celle-ci a besoin avant tout de leaders. Qu’en est-il alors du leadership chez la génération Y ?

La question est de la plus haute importance, car le débat sur les conflits intergénérationnels dans l’entreprise est désormais obsolète. Il ne s’agit plus de régler la question de l’intégration des «Whyers» dans l’entreprise ou de l’adaptation de celle-ci à leurs nouvelles façons de travailler. Il est question de s’atteler au développement des capacités de leadership chez une génération censée prendre la relève.
Mohamed Alami Berrada, DG de Yasmine Immobilier et co-fondateur de Tariq Ibnou Ziyad Initiative (TIZI), estime qu'on ne peut parler d’un leadership spécial chez la génération Y ou autre. «Le leadership est éternel. Mais la caractéristique majeure de la génération Y est sa capacité à gommer les frontières», a-t-il souligné. Dans le même ordre d’idées, Youness Bellatif certifie qu’«au-delà de son appartenance culturelle à la catégorie dite Y, le leader aura besoin de mobiliser son équipe autour ou vers quelque chose. C'est dans la manière d'exercer le leadership que nous pourrons remarquer certaines différences». Il se dit également «plutôt optimiste» quand il rencontre les décideurs marocains qui semblent sensibilisés, conscients et même acteurs dans cette nouvelle dynamique.

Il n'existe pas d’enquêtes spécialement dédiées à la question dans le contexte marocain. Par contre, une étude toute récente se penche sur la génération Y africaine, y compris celle du Maroc, portant sur 760 «Millénaires», leurs aspirations, ce qu’ils attendent de leurs dirigeants, comment ils voient leurs propres caractéristiques afin d’exercer bientôt eux-mêmes les fonctions de leadership. Intitulée «Être un leader en Afrique aujourd’hui... et demain», l’étude a été co-réalisée entre janvier et mars 2016 par une organisation internationale spécialisée dans l’audit, le conseil et les services comptables, fiscaux et juridiques au nom de Mazars et Morgan Philips Executive Search, un cabinet de conseil en recrutement et en talent management.

Selon cette étude, les questions posées aux «Millennials» africains font émerger cinq souhaits majeurs, que les entreprises devraient prendre en compte pour attirer, faire progresser et optimiser les talents et développer le leadership des jeunes de la Génération Y.

1. La génération Y est ambitieuse et veut intégrer les cercles de décisions : 90% d’entre eux veulent gérer une équipe, ou le font déjà, et 70% désirent accéder à des postes de direction générale. L’étude recommande que les équipes RH et les leaders soient en mesure de discerner clairement les attentes concrètes de leurs «Millennials» afin de canaliser leurs ambitions et leur énergie au service d’objectifs communs. Il est important en parallèle de donner aux «Millennials» les outils indispensables pour acquérir et développer les compétences nécessaires à leurs ambitions, ajoute l’étude.

2. Pour les «Millennials», l’engagement passe par la responsabilisation sur des projets majeurs. Apparemment, les leviers de mobilisation de cette génération sont les mêmes que partout ailleurs : envie de responsabilité, volonté d’avoir de l’impact sur les choses et besoin de reconnaissance. L’étude précise que vu le caractère imprévisible et largement informel de l’environnement économique qui requiert un fort niveau de contrôle, il faut mettre en œuvre des stratégies permettant à la fois de bâtir un socle de confiance et de gérer les risques, le tout est de trouver un équilibre pour créer un «espace sûr» où la responsabilisation trouve sa place.

3. La Génération Y accorde plus d’importance au développement personnel et au parcours professionnel qu’au prestige d’une marque ou à la rémunération.
C’est une opportunité pour les entreprises de repenser les fondements de la «marque employeur» moins centrée sur la rémunération, mais plus sur le développement personnel. Ceci est d’autant plus vrai pour les entreprises nationales et régionales qui ne jouissent pas d’une forte notoriété.

4. La génération Y est prête à beaucoup travailler en utilisant au mieux toutes les solutions et les leviers offerts par les nouvelles technologies. L’équilibre entre vie professionnelle et vie privée n’apparaît pas comme la priorité numéro 1 des «Millennials» africains. 60% déclarent vouloir s’impliquer fortement, mais souhaitent bénéficier de plus de flexibilité. Les entreprises pourraient donc avantageusement solliciter les conseils des «Millennials» pour moderniser leurs process, la plupart d’entre eux ayant une excellente connaissance des outils et des applications disponibles dans l’écosystème numérique.

5. La génération Y veut construire la nouvelle Afrique : à rebours des considérations sur la fuite des cerveaux, il ressort de l’étude que les «Millennials» africains ne considèrent pas l’expatriation comme une priorité majeure et semblent convaincus que les opportunités abondent localement. Pour accompagner cet enthousiasme, les dirigeants africains devraient pouvoir unir leurs efforts afin de développer un solide écosystème d’enseignement supérieur. Cet enjeu dépasse le cadre étatique et peut être le révélateur d’une communauté de CEO inspirée, conclut l’étude.
À bon entendeur… 


Entretien avec Youness Bellatif, DG du cabinet Convergence et l’un des fondateurs du MOL

«Cette génération peut s'avérer plus “nomade” que les précédentes et donc plus prédisposée à prendre des risques»

Éco-Emploi : Avant de parler du leadership de la génération Y marocaine, il faudrait d’abord cerner son profil. Quelles sont donc ses principales caractéristiques ? Quel est son portefeuille de compétences ?
Youness Bellatif : Avant de parler de caractéristiques de leader, peut-être faut-il définir le point de départ : qu'entend-on par leadership ? Plusieurs écoles, plusieurs conceptions et donc plusieurs définitions existent, mais on peut trouver à travers ces nombreux repères un dénominateur commun, celui de la capacité d'influencer. On peut donc dire que le leadership est l'art de l'influence. Influencer c'est intégrer une compétence majeure : celle de savoir transcender les différences individuelles et donner aux choses concrètes une dimension «aspirationnelle». Le leader Y n'échappera pas à cette dimension nécessaire dans l'exercice du leadership. Au-delà de son appartenance culturelle à cette catégorie dite Y, il aura besoin de mobiliser son équipe autour ou vers quelque chose. C'est dans la manière d'exercer le leadership que nous pourrons remarquer certaines différences (la gestion de la hiérarchie, le mode de management des équipes, la proximité, la forme des décisions, le style de motivation et de coaching des équipes…).

Que veut dire vraiment «Génération Y» et quel impact peut-elle avoir sur les entreprises plus traditionnelles ?
Au-delà de l'effet marketing et buzz autour de ce mot, il existe un vrai fait et une tendance sociologique qui décrit l'émergence d'une population née lors de la troisième Révolution industrielle, celle de l'internet, des ordinateurs portables et plus loin des smartphones et des réseaux sociaux (moins de 35 ans). L'hyperconnectivité à laquelle les jeunes de la génération «Y» ont été exposés a façonné la manière avec laquelle ils appréhendent leur monde, leurs relations et donc leur conception du travail : fonctionner de manière multitâches, varier les intérêts, rechercher de la mobilité, aspirer à un meilleur équilibre vie privée/vie professionnelle, l'importance du sens des tâches autour desquelles ils sont mobilisés, l'investissement dans d'autres centres d'intérêt que celui, exclusif, du travail qui était pour l'ancienne génération, presque la seule manière d'exister socialement… Tous ces critères sont autant de dimensions culturelles qui distinguent cette génération dite Y. Il est d'ailleurs intéressant de rappeler que l'origine du choix de la lettre Y pour nommer cette génération vient des écouteurs accrochés en permanence aux oreilles et qui forment la lettre Y (téléphone, musique). Une autre hypothèse de l'origine de l'appellation Y vient du réflexe supposé de cette génération à ne pas exécuter «bêtement» un ordre ou une tâche donnée, mais à chercher le sens des choses par le «pourquoi» ou «Why» en anglais, prononciation anglaise de la lettre Y.

Les entreprises marocaines sont-elles prêtes à accueillir cette génération ?
Cette génération n'est que le reflet de ce qui se passe dans le monde et de ce qui se transforme profondément et qui bouscule les normes classiques connues jusque-là sur la conception du travail, du management, de la création de valeurs et de gestion des ressources humaines. Donc la question ne doit pas être centrée sur la génération Y, mais plutôt sur les nouveaux paradigmes qui constituent l'écosystème dans lequel nous vivons, en particulier celui de l'entreprise. Je suis plutôt optimiste quand je rencontre les décideurs marocains qui me semblent sensibilisés, conscients et même acteurs dans cette nouvelle dynamique. Mais le véritable challenge qu'ils auront à gérer n'est pas tant matériel que culturel. Changer de paradigme se révèle très souvent plus difficile à effectuer que d'investir dans une technologie ou des moyens. Les habitudes et ancrages ont la peau dure et cela a été de toute génération et de tout âge. La génération Y sera, elle-même, taxée de traditionnelle dans très peu de temps… Ainsi va le cycle des changements.

On a l’impression que la génération Y se retrouve plus dans l’entrepreneuriat. Qu’en dites-vous ?
De nouveaux modes de vie ont émergé qui ont induit de nouvelles aspirations et des nouvelles manières de voir les dimensions professionnelles : le rapport au patron, à la performance, au temps et au travail… Cette génération peut s'avérer plus «nomade» que les générations précédentes et donc plus prédisposée à prendre des risques et à changer de job dans l'optique d'une fidélité plus à soi qu'à une institution extérieure. Est-ce suffisant pour en conclure que cette génération est plus encline à entreprendre ? Il est trop tôt pour en tirer des conclusions définitives à ce stade. Par contre ce qui est sûr c'est que les nouvelles formes de travail à terme ne peuvent plus être seulement le salariat ou l'entrepreneuriat classique, mais de plus en plus également le travail en réseau ou en free-lance afin de s'adapter à de nouvelles transformations organisationnelles et besoins du marché.

De manière générale, y a-t-il une différence entre le profil des jeunes Y issus de l’enseignement public et ceuxdu privé au Maroc ?
Le débat là-dessus dépasse la génération Y. La problématique public/privé dans l'enseignement reste la même quelle que soit la catégorie socioprofessionnelle ou générationnelle. La différence public/privé se fait par les aspects matériels et le pouvoir d'achat. Or aujourd'hui, l'accès au monde virtuel et aux réseaux sociaux se démocratise de plus en plus (4G/réseaux sociaux). Je n'observe pas dans le monde de l'entreprise, surtout, de différences significatives selon l'origine éducative des salariés quant aux réflexes générationnels. Pour que l'on parle de génération d'un point de vue sociologique, il faut la présence de trois choses articulées entre elles : des croyances de base et des représentations communes du monde, des valeurs reflets de ces croyances de base et enfin des comportements et des habitudes.Ces trois critères font entrer un phénomène de mode dans la catégorie de génération culturelle. En effet aujourd'hui au Maroc il existe une catégorie de la population, tous niveaux hiérarchiques confondus, née au cours des années 80, qui montre des comportements sociologiques quotidiens récurrents, inexistants il y a 10-15 ans (présence sur les réseaux sociaux/consultation des flashs info sur le net moins à partir des média classiques/présence relationnelle et sociale dans le monde virtuel/commodité de la vie quotidienne à partir du net…. ). La génération Y ne s'adapte pas à la transformation actuelle, mais a plutôt tendance à l'incarner par la concomitance de son apparition (début des années 80) avec la troisième Révolution industrielle. 
Propos recueillis par M.SE.

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