Le Matin : D’après votre expérience en tant que haut représentant de l’ONU, comment l’entrepreneuriat social contribue-t-il à lutter contre la pauvreté et la précarité ?
Youssef Mahmoud : Mon expérience comme ancien envoyé spécial du secrétaire général de l’ONU dans des pays qui avaient été brisés par la violence et les guerres est une expérience qui m’a beaucoup formé. Et comme vous le savez, la guerre appauvrit les couches les plus démunies d’un pays. Il est clair qu’il faut un accord de paix et qu’il faut amener les gens à abandonner la violence en faveur de la politique. Mais pour pérenniser la paix, il faut le développement. L’entrepreneuriat social est une façon de remédier aux conséquences néfastes de la guerre. C’est une façon immédiate qui peut être déployée pour donner aux gens une forme d’espoir qui a été tué par la guerre. Elle a le pouvoir de réparer les relations entre les humains et de créer les conditions économiques nécessaires pour la paix. Dans le monde arabe, la femme souffre toujours de l’inégalité. Plusieurs facteurs socioculturels entravent son accès à l’entrepreneuriat.
Peut-on considérer l’entrepreneuriat social comme un moyen de combattre ces pesanteurs et d’affranchissement de la femme ?
Tout à fait, si vous regardez les statistiques et vous observez l’essor de l’entrepreneuriat social, vous allez vous rendre compte que ce sont les femmes qui sont en première ligne, parce que ce sont elles qui vivent les conséquences de l’inégalité et de la précarité. Par nature comme par nécessité, les femmes sont innovatrices dans leur lutte pour joindre les deux bouts et subvenir aux besoins de la famille. Donc elles sont créatrices. Elles créent des opportunités et de la valeur et elles s’emploient à résoudre les difficultés de leurs communautés. On ne peut pas envisager un essor réussi de l’entrepreneuriat social sans la participation effective et efficace de la femme. C’est une condition sine qua non pour réussir cet élan vers l’entrepreneuriat social, notamment dans des pays où sévit la pauvreté.
Quels sont, d’après vous, les obstacles entravant l’essor de l’entrepreneuriat social dans les pays en développement ?
Il y a plusieurs entraves dans nos pays. La première chose est au niveau conceptuel, car les gens pensent que l’entrepreneuriat social est une charité, alors que ce n’est pas le cas. C’est plutôt une façon de subvenir aux besoins immédiats tout en trouvant des solutions aux difficultés et aux problèmes de la communauté. Les gens doivent savoir que ce genre d’économie ou de développement social c'est du gagnant-gagnant. Le deuxième point que je voudrais soulever est celui de la corruption. Elle décourage l’entrepreneuriat social. Il faut savoir que ce genre d’entrepreneuriat a un double objectif. Faire un petit profit qui est investi dans l’entreprise et en même temps responsabiliser les pauvres et les sortir de la marginalisation en leur fournissant des produits qui peuvent les aider à avancer.
Et que doivent faire les gouvernements pour surmonter les obstacles ?
Plusieurs mesures sont en train d’être essayées et certaines d’entre elles ont prouvé leur efficacité. Il s’agit particulièrement de l’éducation. Il faut apprendre aux jeunes dès l’école primaire ce que c’est l’entrepreneuriat, leur apprendre à prendre un risque calculé pour subvenir à ses besoins et aux besoins de la communauté.
Cela exige un esprit d’innovation et d’initiative et si on n’inculque pas ces concepts dès les premières années de l’éducation on risque de rater à jamais cette opportunité. Deuxièmement, il faut avoir un cadre juridique et financier favorable non seulement à l’éclosion de l’entrepreneuriat social, mais également à sa fleuraison et il s’agit là de mesures déjà connues comme les crédits à taux bas, les formations et l’accompagnement. Donc on parle d’un écosystème juridique et financier et dans ce sens je voudrais rappeler que le Maroc a fait des avancées remarquables à ce sujet.