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À bas le piston, vive la valorisation des compétences !

Le piston, ou la recommandation personnelle, en milieu professionnel, continue d’être la voie certaine pour trouver un emploi, parfois même plus que les compétences. Toutefois, cette pratique semble avoir, selon les spécialistes RH, des retombées négatives sur la performance de l’entreprise, la motivation des autres salariés, mais aussi sur le pistonné lui-même qui se voit incapable de développer ses compétences d’autonomie et de responsabilité.

À bas le piston, vive la valorisation  des compétences !

Le constat est irrévocable. Le piston continue de représenter le chemin le plus «sécurisé» pour décrocher un emploi, que ce soit dans le secteur privé ou public. C’est ce que confirme la dernière étude commune réalisée par le Haut Commissariat au plan (HCP) et la Banque mondiale. Ainsi, en 2015, le réseau de connaissances a représenté 70,9% des moyens de recherche utilisés pour décrocher un emploi. Dans le détail, 37,7% des chômeurs ont eu recours au contact direct et personnel des employeurs pour décrocher un emploi, alors que 33,2% sont passés par la famille, les amis ou les connaissances. Ce qui place la pratique du piston à la tête des moyens de recrutement, dépassant largement, les annonces, les concours ou encore les autres méthodes moins personnelles. Comment expliquer cette situation ? Quelles en sont les retombées sur l’entreprise et les salariés ? Comment le piston est-il perçu par les jeunes diplômés, notamment ceux qui n’ont d’autres richesses à faire valoir que leurs diplômes ? Les réponses à ces questions sont aussi complexes que la problématique du marché de l’emploi ! Définissons tout d’abord ce qu’est le piston utilisé en recrutement. «Le piston, ou ce qu’on appelle aujourd’hui le réseautage, consiste à appuyer une personne dont le seul acquis est un contact direct ou un contact par réseaux interposés», explique Imane Hadouche, consultante RH, coach et formatrice. En d’autres termes, il s’agit pour l’entreprise de recruter des profils, dont les compétences ne correspondent pas forcément à ses besoins réels. Un phénomène qui nous éloigne davantage du concept anglo-saxon «The right man at the right place». Et pourtant, les actions ne cessent de se multiplier pour sensibiliser les chefs d’entreprises à l’importance du processus de recrutement. À la recherche des principales causes de cette situation, on peut trouver que cela est dû au style de management adopté, à la prise de conscience de l’importance du processus de recrutement et à l’état d’esprit de certains dirigeants qui ne font confiance qu’à leurs proches et leurs connaissances. À cela s’ajoutent «les valeurs partagées et le niveau de transparence qui règne», note Chafik Mekrai Harti, directeur associé à Horizon RH, coach ICF et consultant en management et leadership. Et d’ajouter qu’au Maroc, le piston est un phénomène qui a toujours existé et qui existe encore, mais à des degrés moindres. «Cela fait partie d’ailleurs de la facette cachée de l’emploi», souligne-t-il.

Le piston… au-delà de l’accès à l’emploi
La pratique du piston ne se trouve pas uniquement au niveau du recrutement, mais concerne d’autres axes de management RH, à savoir : l’évolution professionnelle et les avantages accordés aux employés, comme l'indique le témoignage de Mohamed, employé dans une société d’assurances qui n’a pas évolué depuis des années. 
«Alors que je suis titulaire d’un master dans le domaine des assurances, la société a préféré accorder une promotion au cousin d’un ami du PDG, titulaire d’une licence en droit français. Il était appuyé et donc il a pu évoluer rapidement», souligne-t-il. Et d’ajouter : «certaines personnes, vu qu’elles sont proches du président, bénéficient des formations et des voyages à l’étranger, alors que le reste du personnel se tape tout le travail». Il faut dire que le piston en entreprise, qui se manifeste par des actions de favoritisme, décourage l’ensemble des collaborateurs et ne les pousse pas à prendre des initiatives pour progresser. Résultat : l'entreprise perd en performance et en efficacité de son capital humain. Elle se retrouve avec, d’une part, des profils dont les compétences ne correspondent pas à ses besoins réels et, d’autre part, avec des salariés démotivés et convaincus qu’ils sont victimes de favoritisme.
Dans un autre registre, il convient de souligner que le piston touche aussi l’entrepreneuriat. Nombreux sont les jeunes entrepreneurs qui se plaignent sur les réseaux sociaux et sur les forums de discussion du problème du piston lié aux appels d’offres. K.A. se plaint du fait que ce sont toujours les mêmes qui sont retenus pour les appels d’offres et qui obtiennent des marchés, même à expérience et à qualité égales : «Je me suis rendu compte que finalement, il ne s’agit ni d’expertise, ni de qualité, ni même de coût, il s’agit de piston». L’existence du piston dans l’octroi des marchés peut ainsi constituer l’un des facteurs décourageant les jeunes à lancer leur propre business. Rappelons dans ce sens qu’en dépit des efforts déployés pour encourager l’entrepreneuriat au Maroc, l’indicateur de création d’entreprises du Royaume est encore faible. Il se situe à 5,6% uniquement, selon le dernier rapport Global Entrepreneurship Monitor (GEM) de 2017.

Piston vs réseautage
Vous l’auriez certainement compris, le phénomène du piston frappe de plein fouet l’efficacité de l’entreprise, la motivation des salariés qui se voient victimes de favoritisme et les jeunes qui souhaitent se lancer dans l’entrepreneuriat. 
Il convient tout de même de souligner que le phénomène du piston a aussi des conséquences néfastes sur le salarié pistonné. «Une personne qui a été pistonnée doit fournir plus d'efforts pour prouver ses compétences et surtout pour s’intégrer au sein d’une équipe et se faire accepter par les autres collègues», tient à souligner Meryem Benslimane, consultante en développement des compétences et en ressources humaines. Et d’ajouter qu’une personne qui a toujours été pistonnée ne développe pas ses compétences d’autonomie et de responsabilité. Mais la question que beaucoup de jeunes et d’entreprises se posent est de savoir quelles alternatives envisager. 
Une question qui trouve toute son importance dans le fait que le marché du travail, tel qu’on le voit aujourd’hui, est encore loin d’être le lieu de rencontres entre l’offre et la demande, en termes de compétences. Pour les entreprises, elles peuvent opter pour la cooptation, une forme de réseautage officialisé qui consiste, selon les spécialistes RH, à transformer les collaborateurs en de vrais chasseurs de têtes. «C’est une démarche qui a prouvé son efficacité auprès des entreprises qui l’ont adoptée, car leurs collaborateurs connaissent bien leurs spécificités et les exigences des postes à pourvoir», souligne Chafik. D'après lui, les collaborateurs peuvent avoir des cadeaux de valeurs ou même ce qu’on appelle «des primes de cooptation» si les recrutements aboutissent. «Je trouve que ceci pourrait s’avérer fort intéressant du moment que les règles de recrutement et de sourcing sont transparentes et qu’il n’y a aucune discrimination», souligne l’intervenant. 
L’impact d’une bonne gestion du capital humain sur la performance de l’entreprise n’est plus à démontrer. Face à un environnement et une pénurie des talents, les managers doivent favoriser les compétences et les talents. Faciliter l’accès d’un jeune, notamment d’un débutant, n’est pas une mauvaise chose, au contraire cela peut-être crucial, à condition que cela se passe dans le respect des règles d’éthique, de transparence et d’égalité des chances. 


Déclaration de Imane Hadouche, consultante RH, coach et formatrice

«Le piston est appelé aujourd’hui “réseautage”, ce qui n’enlève rien au caractère indigne de cette pratique, assez courante. Il est d’ailleurs temps d’appeler les choses par leurs noms, pour arrêter de se donner bonne confiance, cela ne s’appelle pas “réseautage” ou “Alumni”, cela s’appelle “piston”. Toutefois, séparons le piston de “la recommandation”. Cette dernière étant aussi l’appui de la candidature d’une connaissance à un poste, avec une seule différence : nous recommandons une personne uniquement pour ses compétences, et pour l’expertise dont elle a fait preuve. Séparons aussi “le piston” du “Mentoring” qui a également pour but d’introduire une personne à un milieu professionnel, en l’appuyant, mais le Mentor prend sous son aile un novice, pour une durée de 12 mois au minimum, l’accompagne, et lui transmet son savoir-faire et son expérience, avant de lui transmettre son réseau et son carnet d’adresses. Malheureusement, le piston est une pratique assez courante qui relève de l’injustice sociale, qui est à l’opposé de l’égalité des chances, et qui ne peut qu’être préjudiciable à moyen et long termes, puisqu’en ôtant le principe d’égalité des chances, nous faisons automatiquement disparaître le principe de “compétitivité”, nécessaire à l’évolution et garant de la qualité. Il arrive aussi aujourd’hui que “le piston” ne soit plus “une personne” qui nous appuie, mais plutôt “des conditions” qui définissent notre taux d’employabilité, et sur lesquelles nous n’avons aucun contrôle : le genre, le nom de famille, le nom de l’école, l’adresse sur le CV, le physique, la tenue et la marque de vêtements… Le piston s’applique, non seulement, dans le domaine du recrutement, mais aussi dans d’autres domaines : les études doctorales, le mariage, les marchés et appels d’offres, les différentes inscriptions à certains établissements…».


Entretien avec Chafik Mekrai Harti, directeur associé à Horizon RH, coach ICF et consultant en management et leadership

«Le piston n’a pas d’acceptabilité sociale, car il s’appuie sur qui  la personne connaît, et non sur ce qu’elle fait ou sait faire»​

Éco-Emploi : Le piston pour décrocher un emploi, quel état des lieux au Maroc ? 
Chafik Mekrai Harti : Avant de répondre à cette question, il faudrait tout d’abord clarifier les ambiguïtés autour du mot «piston» ; terme considéré comme ayant une connotation péjorative en général. Être pistonné pour décrocher un job revient à trouver «un piston» qui va appuyer fortement la candidature de la personne, indûment, en la favorisant ainsi par rapport aux autres candidats.
À mon sens, c’est une pratique malsaine, une forme de favoritisme qui va à l’encontre du droit humain d’égalité des chances face à l’emploi, et des règles de déontologie dont doit faire preuve tout recruteur. Au Maroc, je considère que c’est un phénomène qui a toujours existé et qui existe encore, mais à des degrés moindres. Cela fait partie de la facette cachée de l’emploi. Culturellement, ce système a toujours fonctionné au Maroc, et il suffit de faire une petite enquête auprès de quelques entreprises pour découvrir des noms de famille ou des origines qui resurgissent, à chaque fois, au fil des échanges.
Je pense que le fait de recourir à cette pratique dans nos entreprises pourra être corrélé à plusieurs facteurs, comme le style de management, le niveau d’organisation et de formalisme des processus et procédures, l’état d’esprit des dirigeants, les croyances et valeurs partagées, le niveau de transparence qui règne, et j’ajouterais aussi le niveau de volatilité du secteur d’activité de l’entreprise et de la compétitivité au sein de son marché.
Ceci dit, et à partir de mon expérience, je trouve que la tendance d’acceptabilité de la pratique du piston dans nos entreprises est en baisse, dans une conjoncture internationale de plus en plus morose, marquée par un rythme effréné de changement, et où chacun a des comptes à rendre et des questions à se poser quant à sa propre pérennité dans l’entreprise.

Peut-on considérer cette démarche comme étant le moyen le plus efficace pour décrocher un premier job ?
Moyen couramment utilisé pour décrocher un stage, s’appuyer sur un piston pour dénicher un premier poste pourrait effectivement s’avérer utile afin de s’insérer dans le marché du travail. Cette démarche peut réussir auprès de quelques-uns pour qui un coup de pouce est nécessaire pour mettre le pas dans l’entreprise. Encore faut-il qu’ils aient une personne pour les recommander.
Faciliter l’accès à l’entreprise pourrait être crucial pour un jeune qui manque d’expérience et de visibilité. Dans ce cas, la mise en contact pourrait ne pas être assimilée à une pratique de piston du moment où le jeune va suivre le même parcours de sélection que les autres candidats, sans volonté délibérée de détenir un avantage sur un autre postulant, et en vérifiant qu’il détienne bien toutes les aptitudes requises. User de son réseau pourrait même, à mon sens, être très positif et constructeur, et ce, pour tirer des informations utiles, pour s’ouvrir aux autres et pour se faire valoir. Cela témoigne bien d’une intelligence relationnelle et situationnelle des plus précieuses.

Quels sont les inconvénients du piston, aussi bien pour l'entreprise que pour le salarié pistonné ? 
Le fait d'être parachuté dans une structure, être imposé à sa hiérarchie, sans s’assurer de ses compétences, ni de sa parfaite adéquation au descriptif de poste à pourvoir constitue un grand danger et pour l’entreprise, et pour le pistonné lui-même. Ainsi, pour l’entreprise, le recrutement est un acte majeur qui doit être mûrement réfléchi, car il l’engage sur le long terme. Les mauvaises décisions ont un coût social et économique important et des conséquences lourdes, que ça soit sur le court, moyen ou long terme. De l’autre côté, pour un pistonné qui n’a pas été apprécié pour ses compétences, il est clair qu’il portera sur ses épaules la honte de ne pas pouvoir être autonome, de ne pas parvenir à se prendre en charge.
Et pour parvenir à asseoir sa légitimité, il devra s’user afin de prouver ses compétences, de s’intégrer au sein d’une équipe qui doit forcément dissimuler rancœurs et pressentiments. Ceci pourrait s’avérer dur et limiterait la liberté de la personne concernée vis-à-vis de son entourage, y compris de celui qui l’a pistonnée.
En réalité, le piston n’a pas d’acceptabilité sociale, car il s’appuie sur qui la personne connait, et non sur ce qu’elle fait ou sait faire.

Les entreprises favorisent les candidats issus de leur réseau. La cooptation n’est-elle pas une autre forme de piston ? 
Du latin coopatio, c’est un mode de recrutement qui consiste, pour une assemblée, à désigner ses propres membres. Je dirais que la cooptation est une forme de réseautage officialisé au sein d’entreprises qui transforment leurs collaborateurs en de vrais chasseurs de têtes. Notons le cas de quelques entreprises de France ou ailleurs, comme Xerox, Danone, Manpower ou Mc Kinsey...
Il s’agit notamment de secteurs d’activités qui connaissent fréquemment des transformations radicales, tel que le secteur de la high-tech, où des entreprises cherchent des profils qui s’avèrent 
rarissimes. C’est une démarche qui a prouvé son efficacité auprès de ces entreprises, car leurs collaborateurs connaissent bien leurs spécificités et les exigences des postes à pourvoir, et ils ont même des cadeaux de valeur et «des primes de cooptation» si les recrutements aboutissent. Je trouve que ceci pourrait s’avérer fort intéressant du moment que les règles de recrutement et de sourcing sont transparentes, et qu’il n’y a aucune discrimination ; les CV recueillis sont traités sur le même pied d’égalité, dans le respect de la déontologie, en utilisant des techniques valides et en s’appuyant sur des faits concrets et significatifs qui prouvent que la personne choisie est bien «the right man- or woman - at the right place».

Quelle démarche pour instaurer la transparence dans le processus de recrutement ? 
Pour éviter tout échec, le recrutement doit s’inscrire dans une démarche réfléchie et construite sur le long terme. La formalisation par écrit du processus, et dans la transparence totale, permet de clarifier les rôles des différents intervenants et d’en améliorer l’efficacité.
Le recrutement ne se limitera pas à la simple définition de poste et de profil, il devra être fondé sur une vision stratégique de l’entreprise et prendre en compte aussi les aspirations du candidat, la réalité du marché, l’environnement dans lequel devra s’insérer le candidat, ainsi que les évolutions futures de l’emploi et de l’environnement. 

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