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Départ des collaborateurs : l’arbre qui cache la forêt

Par Nabil Adel M. Adel est chef d'entreprise, consultant et professeur d’Économie, de stratégie et de finance. Il est également directeur général de l'Institut de Recherche en Géopolitique et Géo-économie à l'[email protected]

Départ des collaborateurs : l’arbre qui cache la forêt
Un entretien de quelques heures permettra au manager d’avoir des «insights» intéressants sur une organisation qu’il ne voit que depuis sa tour d’ivoire et qui, dans la réalité, est très souvent différente de ce qu’il en pense.

Les séparations sont souvent l’occasion de tester les caractères des protagonistes impliqués. La réaction souvent molle de la part des managers au départ de leurs collaborateurs est souvent expliquée par l’ego de l’entreprise qui se veut au-dessus des individus qui la composent. Le départ peut cacher, en fait, un dysfonctionnement profond de l’organisation et un décalage entre le mode de management et l’ère nouvelle, dans laquelle évoluent désormais les acteurs économiques. Le départ de collaborateurs est un signal fort que les actionnaires et les dirigeants doivent prendre au sérieux, car il y va parfois de la pérennité de l’entreprise.

Un moment d’apprentissage unique

Peu de managers se soucient du départ d’un collaborateur, sous prétexte que personne n’est indispensable. C’est même pour certains d’entre eux l’occasion d’affirmer leur autorité et d’envoyer un signal aux autres, en réagissant froidement au départ d’un membre de leur équipe, quels que soient l’ancienneté et les bons et loyaux services qu'il a rendus à l’entreprise. Cette attitude où l’orgueil l’emporte sur les éléments rationnels du management cause beaucoup de torts à l’entreprise. Et pourtant, la séparation entre l’entreprise et le collaborateur reste le meilleur moment pour un manager de connaître les réels dysfonctionnements des départements dont il est responsable. En effet, libéré du poids de la hiérarchie, le démissionnaire peut fournir des renseignements précieux sur les raisons qui l’ont poussé à quitter l'entreprise et qui sont souvent expliquées par des insuffisances dans l’organisation et dans les défaillances du management des ressources humaines. Le collaborateur peut enfin dire ce que beaucoup pensent, se racontent entre eux dans les couloirs, mais n’osent jamais exprimer ouvertement ! Un entretien de quelques heures permettra au manager d’avoir des «insights» intéressants sur une organisation qu’il ne voit que depuis sa tour d’ivoire et qui, dans la réalité, est très souvent différente de ce qu’il en pense.

Dans bien des cas, cet échange peut sauver des entreprises au bord de l’implosion, en raison d’un style de management inadapté et dont l’auteur n’est même pas conscient. À titre d’illustration, certains managers font montre d’une dérive autoritaire fatale, pensant que c’est le meilleur moyen d’obtenir de bons résultats. Et plus ils performent, plus de leur autoritarisme devient dangereux, car ils font une corrélation entre les résultats qu’ils obtiennent et leur style de management, jusqu’au moment où ils cassent l’esprit de l’entreprise ; la défaillance financière de cette dernière n’est dans ce cas qu’une question de temps.

Ainsi, l’organisation pyramidale pratiquée par l’écrasante majorité des entreprises a été conçue au 19e et au début du 20e siècles, à l’aube de l’ère industrielle. Elle favorise le commandement et l’obéissance au service de la performance de l’entreprise, en tant qu’organisation surplombant les individus qui la constituent. Ceux-ci, en contrepartie du travail et, donc, du salaire qu’elle leur offre s’écrasent devant son mode de fonctionnement autoritaire. La lueur de liberté qui les en affranchit est justement ce moment où ils quittent l’entreprise. Pour s’en convaincre, il suffit qu’un manager et son collaborateur parlent d’une entreprise où ils ont tous les deux travaillé à un certain moment, mais qu’ils ont quittée. Le manager apprendrait, à sa grande surprise, de nouvelles choses sur le fonctionnement de cette entreprise, où il pensait pourtant être au courant de tout. La connaissance de ces informations lui aurait évité bien de mauvaises décisions, mais c’est trop tard !

Les vieilles recettes ne marchent plus

L’attitude froide et distante qu’ont beaucoup de managers, suite au départ de leurs collaborateurs, témoigne d’un mode de gestion qui ne tient pas compte des évolutions profondes des économies modernes à l’ère du tout numérique, où les talents n’en peuvent plus d'être des «bricks in the wall». Conscients de la valeur qu’ils apportent et de l’unicité de leurs personnalités, ils veulent davantage de la part de l’entreprise qu’un simple salaire et des primes de fin d’années, ridiculement faibles, par rapport à la richesse qu’ils créent. Contrairement à leurs parents, les jeunes d’aujourd’hui ne veulent plus être considérés comme des pièces interchangeables au gré de l’entreprise, car le machinisme les a rendus ainsi. La mentalité de l’adage «un de perdu, dix de retrouvés» était certes valable, il y a à peine une vingtaine d’années, elle ne l’est plus dans cette nouvelle ère, où le départ de quelques talents, non remplaçables par des machines, peut ruiner certaines entreprises.

Le comportement mou des managers, à l’occasion du départ de collaborateurs (surtout quand ils sont nombreux), est à prendre avec beaucoup de sérieux de la part des actionnaires et des dirigeants, car il montre un décalage inacceptable entre la réalité et le mode de management ; un décalage qui finira immanquablement par affecter les résultats de l’entreprise, car il la privera des talents nécessaires à sa performance à long terme. Les conseils d’administration doivent exiger de leurs comités exécutifs la mise en place de processus formels d’enquêtes, quand des collaborateurs quittent l’entreprise et que les conclusions de ces rapports d’enquêtes soient examinées par des entités ad hoc indépendantes ; le but étant de mettre en place des actions correctives, quand les motifs de départ sont dus à des tares dans l’organisation ou à des lacunes dans le management. Il est, en effet, incompréhensible que les entreprises remuent ciel et terre à l’occasion de la perte d’un client et ne fassent pratiquement rien quand ils perdent ceux qui sont à l’origine de sa satisfaction. La séparation avec un collaborateur est la meilleure occasion, à saisir par les managers, pour voir la marche derrière les coulisses d’une entreprise qu’ils ne voient que sur scène.

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