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Le prix de la connaissance, la valeur de la flexibilité

Par Nabil Adel M. Adel est chef d'entreprise, consultant et professeur d’Économie, de stratégie et de finance. Il est également directeur général de l'Institut de Recherche en Géopolitique et Géo-économie à l'[email protected]

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La prospérité d’une entreprise tient à sa capacité à mettre sur le marché des produits innovants à des prix raisonnables et/ou à son aptitude à copier et à déployer rapidement les innovations des concurrents, sous peine de sortir du marché. Dans les deux cas, la flexibilité de l’outil manufacturier et la maîtrise du savoir-faire industriel et des processus de fabrication s’avèrent incontournables. D’où la nécessité, pour l’entreprise, de disposer d’unités souples de production et de gérer efficacement l’accumulation des connaissances.

«Small is beautiful» versus «too big to fail»

L’approche industrielle classique privilégiait la taille, en vue de faire jouer la fameuse courbe d’expérience (plus on produit, moins cher on produit). Cette philosophie a fait les beaux jours des industries jusqu’aux années 1980. Mais depuis, force est de constater que l’accélération des ruptures technologiques a rendu l’investissement dans de géants complexes industriels une aventure à très haut risque, tant les conditions de stabilité des marchés et des technologies requises dans ce genre d’environnements ont disparu. Et pour cause, le moindre changement dans le mode de production rend quasi nulle la valeur de certains investissements, réalisés pourtant à plusieurs centaines de millions de dollars. Les changements qui réduisent les délais de production, économisent la consommation d’intrants ou améliorent la qualité des produits sont devenus de plus en plus fréquents. Par conséquent, la taille n’est plus un enjeu dans les usines de demain, mais c'est plus la flexibilité qui devient le maître mot.

Face à des évolutions technologiques rapprochant plus que jamais producteurs et consommateurs (le temps de quelques clics), les paradigmes de production en grandes séries doivent évoluer pour intégrer cette réalité de plus en plus complexe de l’économie mondiale. En effet, nous sommes en phase d’entrer pleinement dans l’ère de la fabrication personnalisée de biens et services ne devant, pourtant, leurs succès qu’à la production de masse (voitures, téléphones, ordinateurs, comptes bancaires, etc.) qui supposait la mise en place d’unités de production de taille imposante. Les entreprises qui réussiront demain sont celles qui ont compris que les clients veulent des approches moins standards. Les industriels doivent, par conséquent, réinventer leurs modes de gestion de la production, en jouant les équilibristes entre des extrêmes irréconciliables de prime abord : flexibilité de l’outil de production qui nécessite des usines de taille modeste ; et la compétitivité des prix qui ne passe que par la fabrication en grandes quantités.

Certaines entreprises ont relevé le pari et semblent bien le réussir pour le moment (Amazon, Samsung, Axa, etc.). Leur succès tient à l’éclatement de la chaîne de valeur sur plusieurs sites dans plusieurs pays. Chaque partie du processus de fabrication est traitée dans le site qui procure le maximum d’avantages compétitifs à l’ensemble. Ces sites sont, en fonction d’études économiques de coûts et de flexibilité, gérés par l’entreprise elle-même ou confiés à des sous-traitants. Dès que ces avantages sont réduits ou qu’un autre site en offre de meilleurs, l’entreprise transfère la partie du processus de fabrication en cause au nouvel eldorado pour maintenir sa compétitivité.

Gérer la capitalisation du savoir : la jointure des paradoxes

Sans sacrifier l’apport de la production en grandes quantités, nécessaire à la réduction des prix, les entreprises modernes hautement performantes centralisent le savoir-faire, nécessaire à la mise en jeu de la courbe d’expérience, au quartier général de l’entreprise (ou sur un site offrant certains avantages compétitifs) et le diffusent à l’ensemble des usines du groupe. Ce savoir-faire se nourrit continuellement des améliorations et des bonnes pratiques locales. Chaque entité de cet ensemble devient ainsi source et destination des bonnes pratiques de production, ce qui crée un cercle vertueux de partage des expériences qui profitent à toute l’entreprise. Les usines peuvent maintenir leur taille et leur flexibilité, sans perdre en expertise nécessaire à la production à faibles coûts et à qualité supérieure. Ce qui n’était autrefois possible que par la fabrication de masse, l’est devenu aujourd’hui grâce à une nouvelle philosophie, mettant l’accent d’abord sur le partage du savoir entre unités de production autonomes.

Cette évolution a été rendue possible grâce au progrès considérable des technologies de l’information et de la communication qui a rendu l’obtention, le stockage et la diffusion du savoir largement accessibles, à des coûts marginaux. La mobilité des cerveaux a également joué un grand rôle dans le dessin de la nouvelle approche industrielle mondiale. Les ingénieurs et les hommes de sciences sont devenus plus mobiles que jamais, grâce aux congrès et aux colloques scientifiques qui leur servent de vitrine mondiale d’exposition de leurs travaux et donc de rencontre de futurs employeurs qui se battent, à coups de budgets colossaux, pour attirer ces talents qui réinventent en continu les industries et les processus de transformation.

Enfin, les nouvelles entreprises industrielles développent un esprit et une culture, avant de mettre en place des stratégies. Pour ce faire, c’est à un changement génétique et une reprogrammation de leurs approches productives qu’elles ont dû procéder. Les entreprises de demain s’habituent à prendre le risque de faire et d’échouer plutôt qu'au confort de faire faire et de réussir. Le premier est formateur et porteur de valeur à long terme, le second est une facilité passagère à court terme. Et pour cause, les erreurs sont les meilleures occasions d’améliorer le savoir-faire de l’entreprise, même si elles sont coûteuses et sources de frustration dans un premier temps. La révolution technologique préfigure un changement radical dans la philosophie, les processus et les techniques de transformation. Il suffit, pour s’en convaincre, de voir les ravages annoncés dans beaucoup de secteurs exposés à la concurrence de l’impression en 3D !

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