Le Matin : Quel bilan faites-vous de votre travail depuis cinq mois à la tête du ministère de l’Éducation nationale, de la formation professionnelle, de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique ?
Plusieurs études mettent en garde contre l’inadéquation entre l’offre de formation et les besoins du marché du travail. Comment expliquez-vous cela ? Que préconisez-vous pour y remédier ?
Tout d’abord, il faut prendre conscience du fait que l’inadéquation entre l’offre de formation et les besoins du marché du travail n’est pas une spécificité marocaine. C’est une tendance universelle, qui résulte des profondes mutations que connaît le monde contemporain dont les exigences en matière d’emploi évoluent à une vitesse telle qu’en quelques années, de nombreux métiers disparaissent tandis que d’autres font leur apparition. Dès lors, les universités tentent de s’adapter à ces nouvelles donnes, mais avec des formations qui durent en moyenne 3 à 5 ans et qui sont généralement ré-accréditées tous les 4 à 5 ans, leur rythme est forcément plus lent, ce qui limite leur réactivité ainsi que leur capacité d’adaptation au marché du travail. Il est donc capital de mettre en place un système de veille très performant, capable de nous renseigner en permanence sur le marché de l’emploi et ses tendances nationale et internationale, afin que les universités puissent anticiper sur l’employabilité de leurs futurs lauréats soit en actualisant leurs filières de formation, soit en en créant de nouvelles. Il faut donc être très réactif à ce point et accélérer le turn-over de nos offres de formation. Comment en effet continuer à tolérer que certaines de nos filières nationales n’aient pas évolué en contenu depuis plusieurs années ! Désormais, le taux d'insertion dans le marché du travail des lauréats d’une formation donnée doit être le principal paramètre à prendre en compte dans la ré-accréditation de cette formation.Quels leviers comptez-vous actionner pour satisfaire les besoins affichés en termes de compétences ?
Une récente étude européenne est très révélatrice sur cette question des compétences recherchées. Elle a montré que les employeurs sont 61% à accorder une première place dans leurs exigences à l’adaptabilité, 48% à la positivité et à la créativité contre seulement 19% qui considèrent que les compétences techniques de leurs jeunes recrues sont le critère le plus important. Voilà notre feuille de route ! Acquérir le savoir et le savoir-faire ne suffit plus, nos étudiants ont besoin de savoir-être. Car, comme le dit si bien l’adage «un élève n’est pas un vase que l’on remplit, mais un feu qu’on allume». Ce savoir-être se décline en une multitude de compétences allant de la communication à la culture générale, en passant par l’esprit d’équipe, la créativité ou encore la capacité d’adaptation. C’est ce que l’on a l’habitude de résumer sous l’anglicisme «soft skills», et ce sont ces compétences transversales qui doivent désormais occuper un volume très conséquent au sein des cursus universitaires, disons le tiers du volume horaire par exemple pour le niveau Master, si nous souhaitons réellement que nos lauréats correspondent davantage aux profils recherchés sur le marché du travail et surtout qu’ils puissent y évoluer au fil de leur carrière.Un rapport du Haut Commissariat au Plan (HCP) relève que le taux de chômage des lauréats de la formation professionnelle culmine à 24,5% contre 16% pour ceux de l’enseignement général. Quelle analyse vous inspirent ces chiffres ?C’est là effectivement un constat très préoccupant pour les filières de formation professionnelle, censées justement destiner leurs lauréats immédiatement au marché du travail, d’autant plus que les chiffres du HCP montrent qu’au sein même de ces filières, plus la qualification augmente plus les risques de chômage et de déclassement augmentent également. De même, les diplômés de la formation professionnelle ne représentent que 9,8% des actifs occupés contre 38% de diplômés de l'enseignement général. Il faut savoir que le ministère a déjà lancé, il y a quelques mois, un projet très prometteur intitulé «Kafaat Liljamia», en partenariat avec le British Council et l’Agence espagnole de coopération internationale pour le développement (AECID) pour une durée de trois ans (2017-2020), en partant du principe que les besoins en emplois ne sont pas toujours identiques d’une région à l’autre. Il s’agissait donc de proposer un nouveau modèle de gouvernance du système de formation professionnelle qui soit régional et plus axé sur le marché du travail local. Ce modèle est déjà opérationnel dans les régions de Tanger-Tétouan-Al Hoceïma et de l’Oriental.Lors d’un Workshop abordant la recherche et la valorisation scientifique en Sciences humaines et sociales (SDH) au Maroc, vous avez lancé pour la première fois un appel à projets dédié exclusivement aux SHS. Pourriez-vous nous en dire plus ?
Force est de constater qu’à l’heure où la société marocaine connaît des mutations historiques, avec par exemple des revendications sociales plus marquées et qui revêtent des formes nouvelles articulées autour des réseaux sociaux, les SHS sont devenues déterminantes pour comprendre ces mutations et leur apporter une réponse. Il nous faut donc impérativement repenser la formation et la recherche universitaires en SHS, et je pense par exemple à tout ce que pourrait apporter un rapprochement de la sociologie et du droit avec les neurosciences pour répondre à la problématique de la violence et de la délinquance, ou encore avec les sciences de l’environnement pour trouver des solutions à la question du développement durable et du réchauffement climatique. De même que les enseignants chercheurs auraient tout à gagner à publier davantage dans des revues internationales indexées plutôt que de se contenter de publications dans des revues nationales portant presque exclusivement sur des thématiques marocaines. La recherche en SHS doit s’ouvrir sur le monde, car beaucoup des grandes questions socio-économiques ou politiques contemporaines sont d’envergure internationale et communes à de très nombreux pays. Voilà pourquoi nous avons décidé de donner un véritable coup de pouce à la recherche en SHS en lançant pour la première fois au Maroc un appel à projets national exclusivement dédié aux SHS et financé par une enveloppe conséquente de 30 millions de DH, sachant que les meilleurs projets retenus pourront se voir octroyer jusqu’à 1 million de DH. Les thématiques ciblées par ce programme sont nombreuses et je citerais à titre d’exemple l'identité, les valeurs et le dialogue des civilisations, les relations maroco-africaines, la technologie de l'information et de la communication et les mutations sociales, la compétitivité et la performance des entreprises, ou encore les évolutions juridiques et législatives liées à la famille et l'approche genre.