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Les deux capitaux qui comptent

Après plus d’un demi-siècle d’observation, les pays émergents ont fourni aux économistes une matière assez riche en leçons précieuses sur ce qu’il faut faire et surtout sur ce qu’il faut éviter pour un pays en quête de développement. La croissance rapide de ces pays et leur rattrapage industriel et technologique ont désormais plusieurs explications dont on gagnerait à s’inspirer. Si aux premières heures des révolutions industrielles, c’était surtout l’accumulation du capital physique qui faisait la croissance, c’est désormais la bonne utilisation du capital humain et institutionnel qui constitue le principal levier du développement. Autrement dit, au lieu de faire «plus», il faut faire «mieux». Mais cela est bien plus facile à dire qu’à faire.

Les deux capitaux qui comptent
La dynamique de croissance des pays émergents reconfigure fondamentalement les rapports de puissance économique.

Une nouvelle redistribution des cartes de la puissance économique
La fin du 20e siècle et le début du 21e siècle ont été marqués par le début de la fin de la domination des pays de la Triade (États-Unis, Europe occidentale et Japon) sur l’économie mondiale. Les pays leader de cette Triade regroupés au sein du fameux G7 (États-Unis, Japon, Allemagne, Grande-Bretagne, France, Canada et Italie) ont été pendant près d’un siècle et demi la locomotive de l’économie mondiale grâce notamment à une fabuleuse capacité d’innovation (nouveaux produits et/ou nouveaux procédés de fabrication de ces mêmes produits) et une surexploitation sans vergogne des pays pauvres. Alors qu’ils ne représentaient que 14,6% de la population mondiale en 1984, ces pays industrialisés pour la plupart depuis la fin du 19e siècle généraient 65,7% de la production mondiale. Trente ans plus tard, l’image a considérablement évolué. Ces mêmes pays ont vu leur part dans la production mondiale chuter de 22,3 points à 45,4% en 2014. Cette perte d’influence économique s’est faite à la faveur de la montée en puissance de ces pays dits émergents et plus particulièrement des pays que l’économiste Jim O’Neill rangeait sous l’acronyme BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine). Ces quatre pays ont réalisé 21,7% de la production mondiale en 2014 contre moins de 5% en 1984. Mieux encore, alors qu’en 1984 seules la Chine et l’Inde faisaient partie des dix premières économies mondiales, en 2014 les quatre pays du BRIC font partie de ce peloton de tête. Cette dynamique de croissance des pays émergents reconfigure fondamentalement les rapports de puissance économique comme le montre l’évolution du classement des 10 premières économies depuis 1984 (voir tableau).
En dépit des stratégies différentes adoptées par les pays dits émergents dans leur processus de décollage économique, il semble que le point commun entre eux serait une forte capacité d’internalisation des processus productifs. Ainsi, ils investissent dans l’acquisition du savoir-faire scientifique qui transforme la fabrication de n’importe quel produit ou service en une question de volonté et non en un problème de capacité. En d’autres termes, ils cherchent à pouvoir «tout produire», mais ne produisent effectivement que ce qui est économiquement viable (rapport qualité/prix compétitif) ou stratégiquement nécessaire (sécurité nationale ou indépendance de la décision politique). Cette capacité d’internalisation des processus productifs tient à deux facteurs fondamentaux. 

Un capital humain bien formé et discipliné
Le premier facteur d’internalisation est la mise à la disposition des entreprises et des administrations du pays candidat au développement des talents bien formés (système d’enseignement) et surtout fortement disciplinés (éducation et valeurs dispensées par la famille et la société). 
Si notre gouvernement ne peut assurer que cette mission, il se sera largement acquitté de sa tâche vis-à-vis de la Nation. Certes, le chemin à parcourir est long et difficile, mais aucun développement ne peut être envisagé à minima sans avoir réglé définitivement ce problème. C’est aussi simple que cela et toutes les expériences de développement confirment cette loi. Un pays ne peut internaliser efficacement des processus productifs que s’il dispose de bons scientifiques pour concevoir, de bons ingénieurs pour fabriquer et de bons managers pour gérer et commercialiser. Les solutions à notre problème de système d’enseignement existent, mais elles requièrent de l’ingéniosité dans la conception et surtout du courage dans la mise en œuvre.

Des institutions organiques fortes et intégrées
Le capital institutionnel est désormais érigé comme une composante essentielle du capital immatériel d’un pays (aux côtés du capital humain et du capital social). Pour que les institutions (l’école, la famille, l'entreprise, le syndicat, l'État, la mosquée, etc.) contribuent efficacement au développement et à la puissance d’un pays, il faut qu’elles respectent deux conditions. D’abord, il faut qu’elles fonctionnent d’une manière optimale, c'est-à-dire qu’elles doivent veiller à la réalisation leur objet à moindre coût pour la société. Ensuite, il faut qu’elles puissent communiquer entre elles d’une manière fluide, autrement dit les informations entre elles doivent circuler sans déformation, à temps et à moindre coût également. Toute distorsion dans le fonctionnement interne d’une institution ou dans sa relation avec les autres conduit à une utilisation non optimale des ressources d’un pays et donc à son retard de développement par rapport aux autres pays.
À l’instar du corps humain, chaque organe du pays doit fonctionner proprement et bien communiquer avec les autres organes. Sans cela, c’est toute la machine qui cale. 

Nabil Adel est Chef d'entreprise, chroniqueur, essayiste et enseignant-chercheur à l'ESCA - École de Management.

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