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Les clubs mauvais payeurs, un mal tellement marocain

Retards dans le versement des salaires et des primes de signature, harcèlement moral, psychologique, insultes et menaces… «Le Matin» va au cœur de la vraie vie des footballeurs au Maroc. L’idée n’était pas de casser l’image d’un sport qui déchaîne les passions, mais de dévoiler au grand jour les pratiques de clubs mauvais payeurs, qui donnent l’impression d’évoluer dans une jungle où le plus fort piétine le plus faible. Il suffit de jeter un petit regard du côté de la Chambre nationale de résolution de litiges (CNRL) pour se rendre compte du côté obscur des clubs mauvais payeurs qui forcent les footballeurs à saisir la CNRL pour faire valoir leurs droits souvent bafoués. Quelque 490 nouveaux dossiers ont été déposés rien qu’au titre de la saison 2017-2018. Et tout ça devant le silence complice de la FRMF qui n’a fait qu’amplifier le problème en se proposant d’indemniser les joueurs en prélevant une partie des droits TV des clubs, qu’elle reverse aux joueurs ayant gagné leurs affaires. Cette solution a encouragé davantage les mauvais payeurs à se soustraire à leurs engagements. Le constat est accablant. Seul le Fath de Rabat s’érige en exemple à suivre.

Les clubs mauvais payeurs, un mal tellement marocain

Derrière les shows de tous les weekends sur les stades du Royaume et les commentaires élogieux des présentateurs TV se cache une réalité que le grand public n’imagine pas. Une réalité que vivent de nombreux footballeurs malheureux incapables de joindre les deux bouts du mois. Des joueurs qui ne reçoivent pas leurs primes à temps et qui touchent leur salaire tous les deux mois. Cette réalité touche à la fois les joueurs de la Botola D1 et D2. Beaucoup d’entre eux portent leurs affaires devant la CNRL. D’après Mohamed Harouane, secrétaire générale de l’Union marocaine des footballeurs professionnels (UMFP), organe qui défend les intérêts des joueurs, environ 490 nouveaux dossiers ont été déposés auprès de ladite Chambre rien qu’au titre de l’exercice 2017-2018.

La même source assure que 1.200 dossiers ont été déjà traités lors des deux dernières années affirmant que tous les clubs, à l’exception du FUS, ont des litiges avec un certain nombre de joueurs. Il n’y aurait pas de problème si les dossiers traités étaient régularisés dans les 45 jours qui suivent le verdict, comme le préconise la FIFA (voir encadré). Or les footballeurs ayant obtenu gain de cause doivent attendre deux à quatre ans avant d’être payés tellement l’indemnisation se fait au compte-goutte. C’est le cas de Mohamed Tssouli, ancien joueur du CODM, qui attend l’exécution de son jugement depuis quatre ans. «J’ai l’impression d’avoir joué gratuitement. Heureusement que ma famille n’a pas besoin de moi pour vivre, sinon ça serait la catastrophe», a-t-il souligné. Même ton chez Saïd Grada, ancien joueur de Chabab Khénifra, dégoûté par son expérience dans le club de Zayane. «Je n’avais jamais imaginé un instant que j’allais rencontrer des dirigeants qui ne respecteraient pas leurs engagements. C’était l’une des plus mauvaises expériences de ma carrière», nous a-t-il confié.

Harcèlement, intimidation et menaces

Le plus grave, c’est qu’avant de monter et de déposer un dossier de réclamation auprès de la CNRL, la majorité des joueurs en litige avec des clubs reconnaissent avoir subi d’énormes pressions de leurs supérieurs hiérarchiques dès qu’ils ont osé réclamer leurs primes de signature ou les arriérés de salaires. Les témoignages recueillis par «Le Matin» auprès de plusieurs d’entre eux, préférant garder l’anonymat, font froid au dos. Tous reconnaissent avoir été victimes d’insultes, de harcèlement moral et de mise à l’écart du groupe professionnel dès qu’ils ont demandé à être payés. Un ancien joueur de la Botola D1 raconte son calvaire : «mon histoire remonte à la saison 2013-2014, j’avais effectué toute la préparation d’avant saison avec un club de D1 que je ne citerai pas parce que j’ai toujours espoir de récupérer mon dû. Mais à quelques jours du coup d’envoi de la Botola, mes dirigeants m'ont informé que l’entraîneur ne comptait plus sur moi. Ils m’ont alors demandé de résilier mon contrat sans la moindre indemnité. J’ai refusé leur demande. Et à partir de ce moment-là, ma vie a complètement basculé. D’abord, j’ai été écarté du groupe professionnel et envoyé à l’équipe espoir avec l’interdiction de m’entraîner ou de toucher au ballon. Je devais juste venir à l’heure aux entraînements et remplir une fiche de présence et attendre la fin de la séance pour m’en aller. S’en sont suivis des convocations à répétition au bureau du président qui à chaque fois me faisait comprendre que je devais résilier mon contrat», se souvient, les larmes aux yeux, notre interlocuteur.

Double peine pour les joueurs blessés

La situation est encore plus compliquée pour les joueurs blessés, même s’ils sont encore sous contrat. D’après Mohamed Harouane, si un joueur se blesse et peine à retrouver les terrains, il est privé dans certains clubs de son salaire. Une injustice criante qui n’a aucune explication sauf l’abus de pouvoir. Un joueur blessé a déjà le moral dans les chaussettes et le priver de son salaire est presque un crime. Pis encore, il n’a pas le droit d’aller effectuer des examens supplémentaires dans une clinique spécialisée, sous peine de passer devant le conseil de discipline. Allez consulter chez un spécialiste est généralement interprété comme un affront au service médical du club, sachant que la majorité des clubs n’ont pas de service médical digne de ce nom.

La fausse bonne idée de la FRMF

En se proposant de prélever une partie des droits TV destinés aux clubs pour la verser directement sur les comptes des joueurs avec qui ils ont des litiges et ayant obtenu gain de cause auprès des organes juridictionnels, la Fédération Royale marocaine de football (FRMF) a cru bien faire. Mais il s’est avéré au fil des années que cette solution est défavorable aux joueurs parce qu’ils sont indemnisés au compte-goutte : «C’était une bonne idée au départ, mais aujourd’hui, elle est dépassée parce que les joueurs doivent patienter longtemps avant de voir la couleur de leur argent en raison du nombre élevé de dossiers qu’il faut régulariser. Et comme la FRMF ménage la chèvre et le chou, elle indemnise à chaque fois les deux ou trois premiers inscrits sur la liste. Les autres devront attendre le prochain prélèvement des droits TV, et ainsi de suite», a fait remarquer Mohamed Harouane. En acceptant de se substituer aux clubs dans l’indemnisation des joueurs, l’instance fédérale, certes animée par la bonne volonté, a encouragé les clubs mauvais payeurs à continuer à vivre au-dessus de leurs moyens en poursuivant leur politique de recrutement tous azimuts, sachant qu’ils sont tous insolvables. En outre, cette solution a épargné aux clubs mauvais payeurs les sanctions de la FIFA, en vertu de l’article 24 bis. Ce dernier stipule que le paiement d’un joueur devra se faire dans un délai maximal de 45 jours après le jugement définitif, faute de quoi le club sera exposé à des sanctions comme l’interdiction de recrutement durant plusieurs saisons d’affilée ou le prélèvement de points en championnat, voire la rétrogradation en division inférieure.

Des agents de joueurs fantômes

Logiquement, la relation entre l’agent et le joueur ne se résume pas au simple transfert. L’activité des agents comprend la fourniture de services juridiques et fiscaux complexes, ainsi qu’une assistance pour les problèmes qu’un joueur seul ne pourrait gérer, comme récupérer les primes et salaires impayés. Paradoxalement au Maroc, ces agents on les voit juste lors des cérémonies de signature des contrats, mais jamais au moment des litiges pour défendre les intérêts de leurs clients. Tout cela soulève la question de la connivence qui pourrait exister entre lesdits agents et les clubs au détriment des intérêts des joueurs. Il est absurde que l’Union marocaine des footballeurs professionnels soit la seule à se ranger derrière les joueurs lésés. 

Des litiges sportifs devant le Tribunal administratif

La liste de joueurs victimes des dirigeants est longue. Certains ont vu leurs dossiers rejetés par la Chambre des litiges, et pour des raisons financières n’ont pas pu aller au TAS. Ils ont alors choisi de saisir le Tribunal administratif pour faire valoir leurs droits. C’est le cas de Hicham Mahdoufi. L’ancien joueur du Raja de Casablanca se bat depuis des années pour faire réparer ce qu’il appelle le tort que lui avait fait subir le Raja de Casablanca. Mahdoufi réclame les tranches de sa prime de signature. «J’ai été anéanti moralement et psychologiquement par cette affaire, mais j’ai toujours bon espoir que la justice soit faite», nous a-t-il souligné. Mahdoufi, Houssam Esshaji a aussi choisi la voie de la justice pour faire valoir ses droits.

Article 24 bis du Règlement du Statut et transfert des joueurs

Application des décisions d’ordre financier

1. lorsqu’elles enjoignent à une partie (club ou joueur) de verser à une autre partie (club ou joueur) une somme d’argent (montants impayés ou indemnité), les entités que sont la commission du Statut du joueur, la CRL, le juge unique ou le juge de la CRL (selon le cas) devront aussi décider des conséquences qu’aurait un non-paiement de ladite somme dans le délai imparti.

2. Ces conséquences devront être incluses dans le dispositif de la décision et seront les suivantes :

• Contre un club : une interdiction de recruter de nouveaux joueurs – au niveau national ou international – d’ici à ce que les sommes dues soient payées. La durée totale maximale de cette interdiction d’enregistrement – incluant de possibles sanctions sportives – est de trois périodes d’enregistrement entières et consécutives.

• Contre un joueur : une suspension (de matchs officiels) d’ici à ce que les sommes soient payées. La durée totale maximale de cette restriction – incluant de possibles sanctions sportives – est de six mois.

3. L’interdiction ou la suspension sera levée avant son échéance dès que les sommes dues auront été payées.

4. L’Interdiction ou la suspension sera applicable si les sommes dues ne sont pas payées dans un délai de 45 jours à compter du moment où le créancier a transmis au débiteur les coordonnées bancaires requises pour le paiement et que la décision devient définitive et contraignante. 

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