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Les décisions catastrophiques, c’est plus grave que les guerres

Par Nabil Adel Nabil Adel est Chef d'entreprise, chroniqueur, essayiste et enseignant-chercheur à l'ESCA - École de Management.

Les décisions catastrophiques, c’est plus grave que les guerres
L’exportation de matières premières en grande quantité se traduit par une appréciation du taux de change réel du pays par rapport à ses concurrents, détériorant ainsi sa compétitivité et conduisant à sa désindustrialisation.

De l’effondrement des régimes communistes à la crise grecque, des chocs (et contre-chocs) pétroliers aux programmes d’ajustement structurels, en passant par les crises économiques, l’instabilité est au cœur de l’économie mondiale. Ces déséquilibres économiques ne sont que le produit de mauvaises prises de décision par les agents économiques eux-mêmes et à leur tête, les États. Ces erreurs peuvent aller d’un endettement excessif pour financer un train de vie élevé, à la manipulation des changes ou encore au saccage des tissus productifs par une réglementation lourde et inutilement compliquée. Mais l’une des décisions économiques les plus catastrophiques est sans doute de penser qu’une rente produite par l’abondance d’une ressource suffit à créer des conditions favorables de développement.

Avant de développer la suite de l’article, nous commencerons par définir les concepts de catastrophes en économie et d’économie de la catastrophe. Par catastrophes en économie, nous entendons les choix en politique économique qui, par idéologie, incompétence ou contrainte, conduisent à des résultats aux conséquences sociales (explosion du chômage, effondrement du pouvoir d’achat, perte des patrimoines…) et politiques (guerre, révolution…) fort coûteuses pour un pays. Quant à l’économie de catastrophe, elle désigne l’ensemble des mesures et la manière avec laquelle les gouvernants gèrent des situations économiques d’une extrême dureté pour prévenir les conséquences des catastrophes en économie. Dans un cas comme dans l’autre, il faut considérer l’économie comme une grosse machine aux multiples leviers de commande et dont la performance dépend de la compétence et l’expertise du pilote. S’il y a défaillance, ce n’est pas la faute à la machine, mais bel et bien au pilote.

Le paradoxe de l’abondance ou la malédiction des matières premières
En économie, la «malédiction des ressources naturelles» appelée en anglais «resource curse» décrit une théorie qui explique pourquoi certains pays qui bénéficient de matières premières abondantes, en particulier le pétrole, adoptent les mêmes politiques qui les conduisent à des résultats économiques décevants. Elle a été décrite pour la première fois en 1990, dans un livre de Richard Auty. Cette thèse part d’une observation empirique, à laquelle elle fournit un cadre conceptuel d’analyse et d’interprétation.
Au niveau de l’observation, la croissance économique de ces pays est inférieure à celle d’autres pays moins favorisés par la nature. Plusieurs études, dont celle de Jeffrey Sachs and Andrew Warner, ont montré un lien négatif entre la proportion des exportations de matières premières dans le produit intérieur brut et le taux de croissance de pays, tels que la Libye, l’Algérie, le Nigeria, le Congo ou l’Angola. Sacks et Warner ont effectué des régressions du taux de croissance de 95 pays par rapport à la proportion des exportations de ressources naturelles dans le produit intérieur produit et en tenant compte d’autres variables pouvant influencer la croissance (la protection juridique des entreprises, l’investissement ou le degré d’ouverture d’une économie nationale). Dans toutes ces régressions, la proportion des exportations de ressources naturelles a un effet négatif (environ deux points de pourcentage) sur le taux de croissance des pays. À titre d’illustration, entre 1965 et 1998, le produit national brut par habitant des pays de l’OPEP a baissé en moyenne de 1,3% contre une croissance pour les pays développés de 2,2%.
La volatilité des prix des matières premières qui ne dépendent pas de la politique du gouvernement explique également les faibles résultats en termes de croissance, car elle entraîne des incertitudes et des risques sur les revenus du pays et le financement de son développement. Selon certains économistes (van der Ploeg et Poelhekke), c’est la principale explication de la malédiction des ressources naturelles.
Une autre explication nous est fournie par le phénomène dit de la maladie hollandaise. Selon cette observation, l’exportation de matières premières en grande quantité se traduit par une appréciation du taux de change réel du pays par rapport à ses concurrents, détériorant ainsi sa compétitivité et conduisant à sa désindustrialisation. On parle de la maladie hollandaise, car dans les années 1960 l’exploitation de gisements de gaz avait conduit à une appréciation du florin et à un déclin de l’industrie des Pays bas.
Dans le cas libyen, cette malédiction est due à l’effet de l’abondance du pétrole sur les institutions politiques du pays. Celle-ci a, en effet, créé des conditions propices à la corruption, aux gaspillages et à la mauvaise gestion. Ce sont ces conditions qui ont causé un effet négatif sur la croissance et non pas les ressources naturelles en tant que telles. Ainsi, l’importante accumulation des richesses dont ont joui les pays pétroliers a bénéficié essentiellement aux dignitaires et non à la population. Les ressources naturelles sont devenues, dans ce cas, une malédiction pour les citoyens qui ne comprenaient plus le paradoxe d’un pays riche et d’un peuple pauvre.
Dans ce genre de configuration, l’État ne dépend plus de la fiscalité et, donc du pouvoir de contrôle des citoyens, pour fonctionner. Les recettes de la vente des matières premières qu’il contrôle d’une main de fer suffisent. La relation entre gouvernants et gouvernés s’en trouve donc fortement déséquilibrée, au profit des premiers qui ne dépendant plus des seconds. En cas de contestation, ils recourent, dans une attitude paternaliste, à la distribution d’une partie de la rente ou à la répression grâce aux moyens importants ils disposent, jusqu’au jour où ce n’est plus la quantité distribuée qui est contestée, mais les règles mêmes de cette distribution. Trop sûr d’eux, les régimes rentiers ne voient pas cela venir avant que le ciel ne leur tombe sur la tête. 

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