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Le développement dans la stabilité

Nabil Adel est Chef d'entreprise, chroniqueur, essayiste et enseignant-chercheur à l'ESCA - École de Management.

Le développement dans la stabilité
L’État garantit que l’activité économique se déroule dans les conditions de stabilité qui lui sont nécessaires.

Pour éclore, l’activité économique a besoin de sécurité et de stabilité. Qu’il s’agisse de la relation entre agents économiques d’un pays ou entre ces agents et le reste du monde, il est nécessaire d’avoir une entité qui impose par la loi de la force, la force de la loi. Ainsi, en monopolisant l’autorité légitime et en l’ôtant aux autres agents, l’État assure un équilibre entre toutes les parties et garantit que l’activité économique se déroule dans les conditions de stabilité qui lui sont nécessaires. Sans un État fort, l’économie ne peut être que faible.

L’autorité définit l’essence de l’État

Les économistes ont l’habitude de classer les agents économiques en cinq grandes catégories : les ménages, les entreprises non financières, les institutions financières, l’État et les administrations privées (associations, syndicats, coopératives, etc.) et le reste du monde. Et même si l’activité économique au sens premier du terme (consommer, épargner et échanger) a commencé bien avant l’apparition de toute forme d’organisation collective, l’économie ne doit son essor qu’à la structuration de l’État. Certains historiens n’hésitent pas à associer la révolution industrielle à la disparition des cités-États et à l’émergence des États-Nations en Europe occidentale et dans les nouveaux États-Unis fraichement indépendants d’Amérique. Aujourd’hui, cette forme d’organisation collective est centrale dans la vie d’un pays moderne, car c’est elle qui permet aux autres agents d’accomplir leurs actes économiques. Les économistes et philosophes peuvent diverger sur le degré d’implication de l’État dans la vie économique, mais très rares sont ceux qui en remettent en cause l’existence même (à part les anarchistes). La fonction première de l’État, est ce que le sociologue allemand Max Weber appelle le monopole de l’autorité légitime, à travers l’armée, la police et la justice. En s’adjugeant l’usage exclusif de la force, l’État assure l’équilibre de la faiblesse entre les autres agents, et leur permet, par conséquent, de réaliser des actes économiques sur le même pied d’égalité. Le point de départ de toute activité économique est l’existence d’une force qui la protège. Cette force peut être assurée par le pays lui-même ou par un puissant allié. Dans ce dernier cas, l’autorité devient non seulement un moyen de défense d’une activité économique, mais devient elle-même une activité lucrative à part entière et une finalité de l’action d’un État. Ainsi, le parapluie de défense assuré par les États-Unis à beaucoup de pays dans un cadre multilatéral (OTAN) ou unilatéral (Accords de Qunicy avec l’Arabie saoudite) procure au pays de l’Oncle Sam moult avantages, en termes d’accès privilégié aux matières premières, aux marchés, aux investissements et même à des avantages géopolitiques (participation de ces «alliés» aux guerres américaines, votes à l’ONU, etc.). L’autorité est, par conséquent, consubstantielle à toute action d’un État moderne. 

L’autorité définit la forme de l’État

L’autorité détermine également la forme de l’État et son degré d’implication dans l’économie. Ainsi, la nature d’un État minimaliste, interventionniste ou totalitaire est toujours l’issue d’un conflit armé remporté par une classe contre une autre. La classe victorieuse impose sa philosophie de la forme de l’État. La Révolution française de 1789 a mis fin aux privilèges de l’ancien régime féodal ; et la bourgeoisie triomphante sur l’aristocratie et le clergé a imposé sa propre conception de l’État, notamment en matière de primauté du capital physique sur le capital terrien et de séparation entre l’église et l’État (laïcité). Ainsi, l’historien Henri Guillemin réfute l’idée d’une révolution française faite par le peuple pour accéder à ses droits universels. Il préfère parler de «rixe de nantis» entre aristocrates déclinants et bourgeois ascendants. De même, quand les bolchéviques prirent le pouvoir en Russie en 1917, ils instaurèrent la dictature des prolétaires, chassant toute forme de propriété privée, collectivisant l’ensemble des moyens de production et installant un État non pas laïque, mais athée. Ces choix furent imposés au prix d’une forte autorité qui avait coûté la vie à plusieurs millions de personnes. Les États-Unis fournissent également une illustration assez instructive de la nature violente des rapports de force pour instaurer une forme ou une autre de l’État. Qu’il s’agisse de la guerre d’indépendance de l’Angleterre ou de la guerre de sécession, l’autorité fut au cœur des choix de la nature de l’État américain. Dans le cas de la guerre d’indépendance, Benjamin Franklin l’un des pères fondateurs des États-Unis expliqua sa raison : «L’incapacité pour les colons d’obtenir le pouvoir d’émettre leur propre argent à l’écart des mains de Georges III et des banquiers internationaux fut la raison principale de la guerre d’indépendance». Dans le cas de la guerre de sécession, ce fut un conflit sur la nature de l’État entre un nord capitaliste et un sud féodal. Dans les deux cas, le prix en âmes humaines se comptait en millions. Dans les pays dits en voie de développement, ce sont les colonisateurs qui définirent par les armes la nature de l’État et firent évoluer ces pays d’économies traditionnelles vers des économies précapitalistes. Suite aux indépendances, ces pays optèrent soit pour l’économie de marché soit pour l’économie centralisée, en fonction de l’idéologie du mouvement de libération.

En conclusion, il s’agit d’une constante historique pouvant être érigée en loi : C’est par l’autorité que l’État s’établit, c’est par l’autorité qu’il définit sa forme et c’est en monopolisant l’usage de cette autorité qu’il arrive à instaurer une économie où les autres agents accomplissent leurs actes en toute sécurité. Tel est le paradoxe de l’État.

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