«Si ça fonctionne, c’est tant mieux. S’il y a erreur, c’est la faute aux autres», cette expression reflète l’attitude de plusieurs collaborateurs qui cherchent, coûte que coûte, à rejeter la faute sur les autres. Le phénomène, qu’on peut aussi appeler la projection psychologique, consiste tout simplement à chercher, en cas d’erreur, un coupable au lieu de se remettre en question. Une attitude qui peut avoir des conséquences néfastes, aussi bien sur le bon fonctionnement du travail, que sur le collaborateur lui-même qui ne se remet pas en question pour évoluer dans carrière.
Et d’ajouter que notre esprit cherche en permanence à déformer la réalité à sa faveur afin de se détacher des problèmes. «Il est très important aussi de signaler que derrière la culpabilité se cache une peur immense : celle de perdre l’amour et de se retrouver seul, ce qui reste inconcevable pour l’être humain», souligne la coach. Ce point de vue a été partagé par Sanae Hanine, formatrice en développement personnel et en communication non violente, qui souligne que le fait de rejeter la faute sur les autres est un signe d’immaturité et de fragilité psychologique. «En rejetant la pierre sur l’autre, il est objecté de se décharger de sa culpabilité et de préserver son estime de soi et celle des autres», explique l’experte. Et de préciser que cette posture peut être consciente ou inconsciente. «Certaines personnes ont recours à la projection comme mécanisme de défense puisqu’elles ont peur du rejet. Elles s’agrippent à préserver, coûte que coûte, l’image idéale qu’elles ont d’elles-mêmes», fait savoir Sanae Hanine. Bien qu’elle soit justifiée, la projection psychologique peut avoir des conséquences néfastes sur le bon fonctionnement du travail. Comme nous pouvons aisément le constater, rejeter souvent la faute sur les autres est une attitude qui détruit les relations professionnelles. «La projection psychologique et beaucoup d’autres phénomènes peuvent détériorer les relations professionnelles et avoir un impact direct sur l’ambiance et la performance au travail», indique Samira Aajlane.
Plus concrètement, face à un collaborateur qui rejette la faute sur eux, «certains collaborateurs s’emportent et ne peuvent s’empêcher de monter au créneau, alors que d’autres, au moindre conflit, rentrent dans leur cocon et réagissent aux conflits par le silence ou la fuite», alerte Samira Aajlane. C’est dire que les conflits relationnels et les problèmes de communication restent les grands impacts de la projection psychologique en entreprise. Qu’en est-il du collaborateur lui-même ? Aussi choquant que cela puisse paraitre, un collaborateur qui se croit intelligent en rejetant la faute sur les autres pour échapper à sa responsabilité risque de finir par se détruire lui-même. En effet, il ne se remet pas en question pour connaître ses limites et, par conséquent, il ne développe pas ses compétences professionnelles et personnelles. Autant dire que la projection psychologique est un facteur qui bloque la performance individuelle et collective en entreprise, d’où l’importance de la gérer.Responsabilisez les collaborateurs, c’est indispensable !
Contrairement à ce qu’on pourrait croire, le collaborateur peut ne pas être le seul responsable de ce phénomène. En effet, l’entreprise a aussi une part de responsabilité vu qu’elle peut créer un terrain favorable pour que la projection psychologique devienne un vrai fléau. Interrogée sur ce volet, Samira Aajlane cite quelques défaillances dans l’entreprise pouvant renforcer la projection psychologique. Il s’agit notamment du favoritisme, du manque de reconnaissance, de l’absence du rôle de la fonction RH, mais aussi de la défaillance ou de l’absence des instances de communication interne, ce qui peut favoriser l’attitude individualiste des collaborateurs. Autre facteur et non des moindres : la sur-implication des managers dans le travail. En effet, «un manager trop impliqué risque de tuer la confiance et l’ambiance au travail, ce qui influencera indéniablement le climat social de l’entreprise», souligne Samira Aajlane. Et d’ajouter que la responsabilisation des collaborateurs reste l’un des facteurs clés pour faire face à ce fléau. Toutefois, il y a lieu de souligner que responsabiliser ne signifie pas délaisser ou punir. C’est tout simplement un style de management qui consiste à favoriser et à promouvoir la prise d’initiative et l’autonomie des collaborateurs tout en leur accordant le droit à l’erreur. Responsabiliser les collaborateurs, c’est aussi les motiver et les aider à créer et à grandir sans avoir peur d’être sévèrement punis en cas d’échec. Ainsi, face à une erreur, ils auront le réflexe de l’avouer et de l’expliquer pour en tirer des conclusions. Ce type de management est important si l’on veut gagner l’adhésion et l’engagement de chaque collaborateur. D’ailleurs, «il est aujourd’hui important, voire vital pour le collaborateur de se sentir respecté, reconnu et surtout responsabilisé dans l’atteinte de ses propres objectifs», estime Hanane Oubidar, coach professionnelle, experte en ressources humaines et DG du cabinet Seiton Consulting. Et d’ajouter que si nous faisons beaucoup d’efforts pour recruter des collaborateurs compétents, c’est qu’il faut leur donner une responsabilité sur les tâches qui leur incombent. C’est ainsi qu’ils vont être une source de proposition et faire preuve d’un esprit de créativité ce qui va servir l’ensemble de l’organisation», révèle l’experte en RH. Soulignons, en guise de conclusion, que la projection psychologique ou l’art de rejeter la faute sur les autres est un phénomène qui existe, bel et bien, en entreprise et que pour y faire face la responsabilité est partagée : D’une part, l’entreprise doit revoir son style de management en responsabilisant les autres et en accordant le droit à l’erreur et, d’autre part, le collaborateur doit faire preuve d’envie de changer pour développer ses compétences. C’est ainsi qu’on espère avoir une performance individuelle et collective.Entretien avec Samira Aajlane, directrice recrutement, développement et transformation RH dans une multinationale
«La fragilité de la confiance et la défaillance de la communication constituent des impacts majeurs de la projection psychologique»
Management & Carrière : La projection psychologique constitue l’un des freins majeurs à l’évolution individuelle et collective. De quoi parle-t-on ?
Samira Aajlane : La projection psychologique consiste tout simplement à se faire des films, avec des scénarios que nous avons rédigés nous-mêmes et tout en attribuant à notre entourage des scènes. Nous sommes à la fois le scénariste et le metteur en scène. Plus concrètement, la projection psychologique consiste à rejeter la faute sur les autres, de façon consciente ou inconsciente. Autrement dit, le collaborateur en entreprise ou l’être humain de façon générale commet la grande erreur de chercher un coupable pour justifier tous ses problèmes. Si nous faisons bien les choses, c’est tant mieux et nous en sommes fiers. Si au contraire le travail ne fonctionne pas, c’est toujours la faute aux autres. Cela s’explique par le fait que notre esprit cherche en permanence à déformer la réalité à sa faveur et à se détacher des problèmes. Généralement, ce phénomène émane d’un sentiment inconscient d’insécurité. Accuser l’autre est beaucoup plus facile que de se remettre en question.Plus concrètement, quels sont les facteurs qui expliquent cette attitude ?
Dans la vie personnelle comme dans la vie active, il y a toujours des moments et des situations qui bousculent nos besoins de reconnaissance, d’appartenance, de sécurité, mais aussi nos convictions et nos incompétences. Les émotions et les sensations sont alors décuplées et inconsciemment nous les refusons et nous les rejetons avec force. D’ailleurs, ce n’est jamais agréable de recevoir une remarque ou une critique. Ce n’est pas, non plus, agréable de reconnaître que l’on a une part de responsabilité dans la situation. C’est intenable de se sentir jugé. La culpabilité nous fragilise, car tout d’un coup, nous sommes pris en défaut et l’image de soi est touchée aux yeux des autres et de nous-mêmes. Nous avons tous une représentation idéalisée de nous-mêmes. Il est très important de signaler que derrière la culpabilité, se cache une peur immense : celle de perdre l’amour et de se retrouver seul, ce qui reste inconcevable pour l’être humain, partant du principe que le lien est pour l’individu une question de survie. Ceci dit, et si je me focalise sur l’entreprise, le collaborateur peut ne pas être le seul responsable de ce phénomène, certes dit naturel, mais l’environnement au travail pourrait en créer un terrain favorable pour que cela devienne un vrai fléau.Quels peuvent être les effets de cette attitude sur le bon fonctionnement du travail ?
La projection psychologique et beaucoup d’autres phénomènes peuvent détériorer les relations au travail et avoir un impact direct sur l’ambiance et la performance du travail. Des collaborateurs s’emportent et ne peuvent s’empêcher de monter au créneau, alors que d’autres, au moindre conflit, rentrent dans leur cocon et réagissant aux conflits par le silence ou la fuite. Quelles que soient les attitudes adoptées, les deux grands impacts sont les conflits et la fissure de communication en entreprise. La fragilité de la confiance et la défaillance de communication constituent aussi des impacts majeurs de la projection psychologique. Ne pas les résoudre peut causer des dommages comme une perte de temps et d’argent, une baisse de la productivité, un sentiment d’insécurité, une culture de management et d’entreprise fragilisée, un turn-over élevé, mais surtout une détérioration de la marque employeur et une difficulté d’attirer les hauts potentiels, etc.Comment composer avec un collaborateur qui rejette souvent la faute sur les autres ?
L’entreprise a le choix de recadrer elle-même, en l’occurrence à travers le manager direct ou la fonction RH, ou bien d’avoir recours à un professionnel externe compétent en la matière. L’enjeu est d’instaurer un cadre de bienveillance permettant, entre autres, au collaborateur d’expliquer son comportement et au responsable d’exprimer un désaccord en vue d’accompagner le collaborateur à progresser dans son attitude. Ceci dit, personnellement je pense que l’une des clés de réussite des entretiens de recadrage reste le bon équilibre entre bienveillance et exigence : bienveillance pour que l’entretien se déroule de manière positive en évoquant les qualités et les compétences de votre collaborateur ainsi que son avenir dans l’entreprise. Le manager est censé aussi faire preuve d’empathie pour comprendre les raisons de l’écart du collaborateur : problèmes personnels, difficulté à trouver sa place dans l’entreprise, définition trop floue de son poste ou manque de communication face aux attentes, etc. Une autre brique importante de la bienveillance est l’écoute active, qui est non seulement une preuve de respect, mais elle conditionne un échange plus constructif.Quels moyens se donner pour en finir avec ce phénomène en entreprise ?
Il faut s’investir sérieusement en soft skills, en plus des domaines technique et technologique. L’engagement, l’esprit d’équipe, l’autonomie, la gestion du stress sont, entre autres, des compétences chez les candidats. Elles se transmettent moyennant plusieurs canaux : l’éducation, les formations, le mentorat, le coaching individuel et collectif, les activités en groupe (par exemple les team-building), l’auto-formation et l’auto-développement personnel émanant de l’investissement personnel du collaborateur, les projets de cultures d’entreprise, les valeurs d’entreprises, etc. Il est vraiment révolu que l’entreprise ne se focalise que sur les objectifs économiques et financiers. L’entreprise moderne est censée comprendre que l’importance accordée au Capital humain ne pourrait qu’amplifier ses gains et dans de bonnes conditions en plus ! Bâtir une culture d’entreprise basée sur les valeurs indispensables au leadership, l’autonomie, l’acceptation des erreurs, le courage, la communication transparente, la confiance ne pourrait que renforcer l’esprit d’appartenance à l’entreprise, resserrer les liens entre les membres des équipes, et par conséquent maximiser la performance dans une symbiose dynamique de motivation positive.Dans quelle mesure le management basé sur la responsabilisation des collaborateurs permet-il d’atteindre plus de performance au travail ?
La responsabilisation des collaborateurs consiste à favoriser et à promouvoir leur prise d’initiative, mais aussi à susciter et à encourager à agir avec plus d’autonomie, sans avoir peur de la créativité. Dans les organisations, on parle aujourd’hui d’Empowerment dont l’un des objectifs majeurs est de rendre les collaborateurs capables d’analyser les situations, d’identifier les dysfonctionnements et de les résoudre, voire les anticiper. Toutefois, responsabiliser ses collaborateurs constitue une démarche importante et globale qui requiert l’implication de toute l’entreprise, et ce, à tous les niveaux. Responsabiliser les collaborateurs s’avère de plus en plus l’un des meilleurs moyens pour les fidéliser puisqu’il s’agit de valoriser les contributions, d’encourager la prise d’initiative et de stimuler la créativité.