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«Le bonheur est moins une condition de performance que la conséquence d'une performance possible»

Management & Carrière : Vous avez choisi de vous pencher sur la comédie inhumaine en entreprise. De quoi s’agit-il concrètement ? 
Julia de Funès
: Il s'agit de montrer à quel point le management actuel ressemble parfois à une tragi-comédie, avec tout ce que cela suppose de normes langagières et de codes comportementaux, qui bien souvent tendent à déshumaniser les esprits et les relations entre individus. En effet, Nicolas Bouzou et moi avons remarqué que dans les entreprises, il y a une comédie qui se joue et que les managers suivent un mode comportemental bien précis. Concrètement, cela se traduit, notamment par des formations ludiques souvent très infantilisantes pour les collaborateurs. C’est dire que l’entreprise devient de plus en plus un petit théâtre où on voit clairement qu’on applique des procédures au lieu d’agir véritablement et qu’on déshumanise les collaborateurs. Ces derniers finissent par perdre le sens dans leur travail et deviennent moins autonomes et moins actifs. À cela s’ajoute le fait que les métiers perdent de plus en plus de sens et deviennent plus techniques, ce qui risque d’impacter négativement la performance individuelle 
et collective.

Aussi paradoxal que cela puisse paraître, vous soutenez que le bonheur au travail constitue aujourd’hui une difficulté pour l’entreprise pour ce qui est de la fidélisation des talents. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?
Le bonheur au travail constitue une nouvelle mode qui se concrétise par la mise en place de CHO (Chief Happiness Officer) c'est-à-dire des directeurs de bonheur et de QVT (Qualité de vie au travail). Que les salariés aient droit à un cadre de travail plus agréable est une chose formidable, mais que l'entreprise prétende pouvoir gérer le bien-être des salariés en est une autre. En effet, le bonheur est une affaire personnelle. Par ailleurs, la logique de l'entreprise consiste à penser que des salariés qui se sentent mieux au travail seront plus performants. Je pense exactement l'inverse. Des salariés
qui ont la possibilité d’agir au quotidien, d'être performants et actifs et d’avoir plus de sens et d’autonomie au travail se sentiront mieux en entreprise. C’est dire que le bonheur est moins une condition de performance que la conséquence d'une performance possible. Donc, laissons les gens travailler, penser et exprimer ce qu’ils pensent, cela les rendra sans doute plus heureux en entreprise. Certes, c’est super d’avoir un cadre de travail sympa, mais cela ne va pas contribuer de façon essentielle au bien-être des salariés.

Pourquoi et comment les entreprises font-elles fuir les meilleurs alors que leur principal objectif devrait être d’attirer les talents ? 
Dans notre livre «La comédie (in)humaine, comment les entreprises font fuir les meilleurs», nous entendons par «meilleurs» les personnes les plus actives, les plus engagées et les plus impliquées dans et pour l'entreprise. Ces profils sont d’ailleurs plus actifs et trouvent donc du mal à travailler dans des structures qui imposent des procédures et des normes strictes engourdissant les intelligences. En effet, une entreprise qui ne laisse pas de place à l'autonomie de ses salariés, qui ne donne pas un sens, mais qui croule sous les process, les réunions interminables, les formations débilisantes, engourdit les esprits et fait fuir ses meilleurs éléments : ceux qui pensent ce qu'ils font et qui souhaitent agir et transformer les choses. Les meilleurs cherchent justement à travailler dans des structures plus souples et plus libres. 

Quelle place pour le manque de reconnaissance dans la fuite des talents ?
Il faut savoir que le manque de reconnaissance constitue une source de mal-être énorme en entreprise. Aujourd'hui, la reconnaissance passe principalement par deux axes principaux : une augmentation de salaire ou une promotion managériale. Cette dernière constitue un sujet problématique du fait que certains collaborateurs ont des compétences certes techniques, mais ne souhaitent pas vraiment devenir managers. De même, ce n’est pas parce qu’on est bon techniquement qu’on peut devenir manager. Pour être un manager, il faut avoir des compétences spécifiques. La reconnaissance est donc un champ à repenser. Soulignons aussi que les collaborateurs souhaitent également des signes plus chaleureux et encourageants, des gestes et des mots qui touchent. 

Quel type de management recommandez-vous aujourd’hui face à un environnement très compétitif et marqué par la guerre des talents ?
Pour répondre à votre question, je dirai que Nicolas et moi allons dans le sens de la simplification de la façon de manager. Autrement dit, nous œuvrons pour un management plus simple, moins procédural et beaucoup plus humain, c'est-à-dire qui utilise des mots qui parlent et non une novlangue toute faite, qui laisse de l'autonomie à ses équipes, qui donne un cap général, qui responsabilise ceux qui le souhaitent, et qui fasse confiance. Nous avons 15 propositions très concrètes à la fin de notre livre qui concrétisent ce que pourrait être un management plus efficace. 

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