Menu
Search
Jeudi 25 Avril 2024
S'abonner
close
Jeudi 25 Avril 2024
Menu
Search
Accueil next Emploi

Le bonheur au travail ne serait qu’une comédie !

Les entreprises sont prêtes à expérimenter toutes les recettes pour faire fructifier leur business. Leur dernier cheval de bataille : faire des collaborateurs heureux. Le bonheur au travail est ainsi passé d’une simple tendance à la mode à une certitude adossée à des mesures concrètes et diversifiées que les entreprises déploient avec la conviction que des employés heureux sont des employés plus productifs. Et si le bonheur au travail n’était qu’une comédie ?

«Que les salariés aient droit à un cadre de travail plus agréable est une chose formidable, mais que l'entreprise prétende pouvoir gérer le bien-être des salariés en est une autre», s’indigne Julia de Funès, docteure en philosophie, qui confirme ainsi que le sujet du bonheur au travail, à l’instar de beaucoup d’autres, a également ses détracteurs !
Julia de Funès ira même plus loin en affirmant que «le management actuel ressemble parfois à une tragicomédie, avec tout ce que cela suppose comme normes langagières et codes comportementaux qui, bien souvent, tendent à déshumaniser les esprits et les relations entre individus».
Nicolas Bouzou, essayiste spécialisé dans l'économie, confirme que l’idée relève de la comédie du fait que l’entreprise est avant tout un lieu de travail. «Certes, il faut travailler dans de bonnes conditions, mais l’entreprise n’est pas là pour apporter le bonheur aux salariés», a-t-il relevé.

Julia de Funès et Nicolas Bouzou ont rédigé tout un ouvrage sur le sujet, intitulé «La comédie (in)humaine : comment les entreprises font fuir les meilleurs», dont le message principal est le suivant : à force de parler de bonheur ou de mettre en place des outils de management non adaptés aux besoins des collaborateurs, les entreprises risquent de faire fuir les meilleurs éléments.
Ce qui est sûr, c’est que ce livre donne à réfléchir, car il bouscule les idées qui se sont, lentement mais surement, installées autour d’un «mythe» appelé bonheur au travail.
«Ce que Julia de Funès et moi essayons de montrer dans ce livre, c’est qu’à force de parler du bonheur ou de mettre en place des outils de management non adaptés aux besoins des collaborateurs, les entreprises risquent de faire fuir les meilleurs éléments», assure Nicolas Bouzou dans une déclaration au Matin qui a rencontré les deux auteurs durant leur passage au Maroc.
«La logique de l'entreprise consiste à penser que des salariés qui se sentent mieux au travail seront plus performants. Je pense exactement l'inverse», affirme Julia de Funès. Et d’expliquer : «des collaborateurs qui ont la possibilité d’agir au quotidien, d'être performants et actifs et d’avoir plus de sens et d’autonomie au travail se sentiront mieux en entreprise».
Pour résumer, les collaborateurs heureux sont ceux qui peuvent travailler dans des structures plus souples et plus libres.
Cette conviction est également partagée par Meryem Benslimane, consultante en développement des compétences et en ressources humaines. Interrogée par «Le Matin», celle-ci a confirmé à son tour que «la présence de la hiérarchie avec des procédures de contrôle strictes a démontré ses limites» et que «pour fidéliser les meilleurs, il faut leur accorder plus d’autonomie dans leurs actions et les libérer des procédures souvent qualifiées de lourdes et qui empêchent la prise d’initiative en interne».   

À ce titre, elle recommande de «recourir aux principes d’une entreprise libérée qui favorise une culture managériale basée plutôt sur le collectif et le travail en équipe». Pour elle, il s’agit d’une question fondamentale, notamment avec l’arrivée des générations Y et Z qui ont un mode de fonctionnement très différent des séniors.
Mais pour ce qui est de la question du bonheur au travail, et s’il s’agissait d’un mythe ou d’une réalité, la consultante ne s’est pas avancée, contrairement à Leila Naim, coach consultante senior et responsable du master RH à ESCA École de Management.
«Ce n’est pas un mythe !», déclare-t-elle avec force. «La notion du bien-être au travail est un atout organisationnel qui peut se traduire par des procédures et des structures managériales. C’est bel et bien une réalité managériale mesurable et dont l’impact peut-être mesurable également», poursuit-elle. «Faire atténuer le stress, éviter l’épuisement, mettre en place des actions de reconnaissance qui s’appuient sur des valeurs de respect et d’appréciation... Tels sont, entre autres, les principes de la justice organisationnelle, déterminants de la santé psychologique au travail. À cela s’ajoute l’importance d’instaurer le précieux collectif de travail et le sentiment d’affiliation», a-t-elle ensuite précisé
Ne s'arrêtant pas en si bon chemin, la coach a plaidé pour que les organisations aménagent des espaces de travail appropriés pour que leurs collaborateurs puissent échanger. «Ceci est le rôle de la hiérarchie pour le soutien des salariés, et un vecteur de bien-être au travail permettant de supporter la charge et d’atténuer les tensions de la compétition», a-t-elle conclu. 
Julia De Funès, elle, plaide pour une autre cause : «laissons les gens travailler, penser et exprimer ce qu’ils pensent, cela les rendra sans doute plus heureux en entreprise. Certes, c’est bien d’avoir un cadre de travail sympathique, mais cela ne va pas contribuer de façon essentielle au bien-être des salariés», car, renchérit Nicolas Bouzou, «il faut savoir que les collaborateurs brillants veulent aujourd’hui de l’autonomie et du sens au travail et ne veulent pas de “gadgets” managériaux».
Les team-building, les compétitions sportives, les formations ludiques seraient donc à jeter à la poubelle ? 
Pas vraiment. Mais croire que cela servira à faire des collaborateurs heureux est une conviction dont il faudra se défaire et remplacer par celle-ci : «le bonheur est moins une condition de performance que la conséquence d'une performance possible». Dixit Julia de Funès.
Une performance que n’arrivera certainement pas à atteindre «une entreprise qui ne laisse pas de place à l'autonomie de ses salariés, qui ne donne pas un sens, mais qui croule sous les process, les réunions interminables, les formations débilitantes, qui engourdit les esprits et fait fuir ses meilleurs éléments».
Et la reconnaissance dans tout cela ? «Une source de mal-être énorme en entreprise», répond la philosophe. Elle serait un champ à repenser, car, explique-t-elle, la reconnaissance en entreprise se traduit souvent soit par une augmentation de salaire, soit par une promotion managériale, et le deuxième cas poserait problème. «Certains collaborateurs ont des compétences techniques, mais ne souhaitent pas vraiment devenir managers. De même, ce n’est pas parce qu’on est bon techniquement qu’on peut devenir manager. Il faut avoir des compétences spécifiques». 
Dans ce cas-là, on choisit l’augmentation de salaire ? Julia de Funès ne nous le dit pas, mais souligne que «les collaborateurs souhaitent également des signes plus chaleureux et encourageants, des gestes et des mots qui touchent».

Mais si la philosophe «reconnaît» que la reconnaissance est une source de mal-être en entreprise, d’autres la lient directement au bonheur au travail et à la productivité.
«La reconnaissance est un outil de gestion des ressources humaines. C’est un processus qui commence par la valorisation de l’individu en tant que personne en passant par la façon dont il exerce et s’investit dans son travail jusqu’à la reconnaissance de ses résultats. Le but essentiel c’est cultiver l’optimisme et de valoriser le capital humain. Les entreprises, qui adopteront cette stratégie gagnante, auront plus de chances d’exceller, garder leurs talents et de pouvoir travailler dans la joie et la bonne humeur», soutient Hanane Anguer, responsable Pôle recrutement au Groupe Solano-Chrono Interim Filiale Maroc.
Pour elle, ce qui fait fuir les talents, ce serait plutôt le manque de communication au sein de l’entreprise, le déficit de reconnaissance, d’écoute active et d’empathie, ainsi que la rémunération non adéquate et la démotivation.
Mais hormis Meryem Benslimane qui évoque la défaillance de leadership qui risque de faire fuir les meilleurs collaborateurs, personne à part les deux auteurs ne parle d’une erreur de management qui change l’entreprise en «un petit théâtre» où on se contente «d’appliquer des procédures au lieu d’agir véritablement». 
Résultat : des collaborateurs déshumanisés qui «finissent pas perdre le sens dans leur travail et deviennent moins autonomes et moins actifs. À cela s’ajoute le fait que les métiers perdent de plus en plus de sens et deviennent plus techniques, ce qui risque d’impacter négativement la performance individuelle et collective». 

 

 

Lisez nos e-Papers