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L’hypocrisie, ce vice qui coûte cher à l’entreprise

Si certains collaborateurs cherchent à développer leurs compétences professionnelles pour évoluer en entreprise, d’autres misent plutôt sur l’hypocrisie. Ils adoptent des comportements pour plaire aux autres et adhèrent à des points de vue même s’ils pensent tout à fait le contraire. «Malheureusement, il faut bien le reconnaître : c’est une technique qui marche», regrette Sanae Hanine, PhD, experte en communication, coach et formatrice en développement personnel, tout en précisant que cela peut avoir des coûts, entre autres, psychologiques au travail. Le point.

L’hypocrisie, ce vice qui coûte cher à l’entreprise
Un homme malhonnête trompe et un hypocrite trahit et arnaque. Ph. Shutterstock

Conseil : L’hypocrisie en milieu professionnel, qu’est-ce que vous en pensez ?
Sanae Hanine :
Je commence ma réponse par un vieil adage qui implique que «Toute vérité n’est pas bonne à dire». Cela s’applique en milieu professionnel où toute vérité n’est pas bonne à partager et où l’hypocrisie vit et prospère. On est bien loin de la cité idéale de Platon. En effet, l’hypocrisie y est normalisée et canonisée. C’est un milieu où les masques y sont tellement nombreux que l’on se croirait dans un bal masqué. Entre le marteau de la lutte acharnée pour réussir et l’enclume de garder une certaine intégrité, l’employé se trouve assez souvent déchiré entre ses valeurs et une réalité bien différente. Comme disait Coward : «Il est décourageant de penser combien de personnes sont choquées par l’honnêteté et combien peu par la tromperie». Ainsi, par l’hypocrisie je désigne les cas de certaines personnes qui se trouvent forcées d’agir contre leurs propres convictions ou valeurs morales pour ne pas être en porte à faux avec celles de l’entreprise, pour éviter les conflits ou simplement pour ne pas perdre leur emploi. Comme on ne choisit pas ses collègues et ses supérieurs, la socialisation forcée en milieu professionnel incite certaines personnes à éviter de paraitre sous leur vrai visage et dévoiler leurs propres visions des choses. Il est exigé d’eux de parfaire avec la réalité pour ne pas être étiqueté d’outsider ou d’être marqué du sceau de la brebis galeuse, celui par «qui le scandale arrive». Dans la foulée, ils oublient qui ils sont véritablement. 

Justement, certains collaborateurs avancent qu’il faut être hypocrite pour réussir en milieu professionnel. Êtes-vous du même avis ?
Malheureusement, il faut bien le reconnaître : c’est une technique qui marche. La réalité et même les études démontrent que les personnes qui expriment ouvertement leurs points de vue sont généralement perçues comme négatives et trouvent beaucoup de difficultés à gravir les échelons. L’hypocrisie au travail est instaurée comme une compétence de plus à acquérir. Les gens préfèrent parfois qu’on leur mente plutôt que de les affronter avec des réalités qu’ils sont dans l’impossibilité d’assumer ou d’admettre. L’égotisme ambiant pousse certaines personnes à l’humilité  face aux sons de cloche qui ne sont pas les leur. D’autres personnes se murent dans le silence et la passivité due à une fatigue simple et absolue pour se prémunir du Léviathan de l’hypocrisie ambiante. Mon avis personnel est le suivant : l’intégrité fait l’homme, le franc-parler est une vertu, mais dans la mesure où cela ne doit pas blesser ou offenser les autres. Pour moi, un certain dosage entre sa propre réalité et un peu du politiquement correct doivent être savamment agencés pour s’assurer un meilleur bien-être dans l’entreprise. Bien entendu, l’hypocrite invétéré qui blâme son vice secret dans les autres et qui use de ses stratagèmes pour nuire est à bannir. Un hypocrite véritable est plus dangereux qu’un homme malhonnête. Un homme malhonnête trompe et un hypocrite trahit et arnaque. Un hypocrite méprise ceux qu’il trompe, mais n’a aucun respect pour lui-même. Néanmoins, il existe toujours la médaille et le revers de la médaille. Les hypocrites tombent toujours dans des contradictions avec eux-mêmes et finissent par se sentir «sales» dans tous les sens du terme.

Ce phénomène peut-il avoir des impacts sur l’engagement des collaborateurs ?
L’hypocrisie a un coût et même très lourd : c’est celui de renforcer la médiocrité et de la maintenir. C’est également un facteur qui engendre et approfondit la souffrance. Je cite l’exemple d’un conflit de valeurs qui peut survenir entre deux personnes de niveaux hiérarchiques identiques ou différents et pourrait découler sur un litige interpersonnel. Le conflit de valeurs occasionne une souffrance due à dissonance cognitive et émotionnelle. La perte d’estime de soi, l’insomnie et divers troubles physiologiques sont occasionnés par cette dissonance tels que l’anxiété, la frustration, la colère ou la culpabilité, voire la dépression. En outre de la souffrance psychologique, le désengagement et la perte de sens sont également une résultante de l’hypocrisie sur le moyen ou le long terme. Cela signifie qu’à force de jouer un rôle qui n’est pas le nôtre et d’affirmer des réalités qui ne sont pas les nôtres, ou prônons des valeurs qui ne correspondent pas à notre idéal, nous devenons moins impliqués et nous nous désengageons pour alléger notre conscience. 

Quelles sont vos recommandations pour assurer le respect des valeurs morales en entreprise ?
ne certaine sagesse par rapport à cette question. Une certaine clairvoyance vis-à-vis de soi-même est requise pour assurer un équilibre mental. De même, il est important de maintenir un dialogue intérieur avec soi-même afin de se rappeler qui on est réellement et là où on veut aller et à quel prix. Il faut garder à l’esprit les valeurs véritables auxquelles on doit s’arrimer contre vents et marées. Parce qu’en fin de compte, les gens méprisent ceux qui sont connus comme étant hypocrites bien qu’ils leur soient utiles pour une durée déterminée.  Vivre conformément à notre éthique est une condition sine qua non pour notre santé mentale contre l’aliénation et la désintégration. Sinon tout cela ne rimerait à rien. Pour l’entreprise, elle doit garantir une cohérence entre sa charte de valeurs et ses véritables pratiques. En effet, les études sur le terrain ont démontré que l’honnêteté paye toujours plus que la tromperie. L’entreprise doit encourager à l’ouverture du dialogue pour canaliser les tensions, et donc la souffrance qui en découle et pour rapprocher les visions divergentes. 

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