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Le management humain survivra-t-il au digital ?

Le management a toujours été associé à l’humain, mettant en avant des pratiques fédératrices qui impliquent un abord collectif de la performance de l’entreprise et de ses salariés et donnent de l’importance à l’environnement socio-économique et culturel. Ses principes clés sont l’écoute, la proximité, le partage la compréhension… Or à l’heure de la transformation digitale et de l’hyper-connectivité, impliquant des contraintes nouvelles, est-il toujours possible de parler de ce type de management ?

Le management humain survivra-t-il au digital ?

Personne ne peut nier l’importance du management humain en tant que facteur de performance individuelle et collective. Dans un contexte complexe et très changeant, ce type de management permet de gagner la motivation, l’engagement et l’adhésion des collaborateurs. Il est basé sur des principes plutôt humains tels que l’écoute active, la compréhension de l’autre, l’empathie et la confiance mutuelle. C’est aussi un style de management qui favorise l’autonomie du collaborateur tout en lui attribuant «des challenges et des défis à relever afin d’évoluer tout en étant épanoui», explique Hassan Charraf, vice-du président Centre international pour le développement et la coopération (CIDEC). Partant de ces principes, nous pouvons aisément constater que le management humain peut désormais être considéré comme un avantage compétitif puisqu’il permet aussi la rétention des talents. Or, peut-on toujours l’appliquer à l’ère de la transformation digitale ? La question a le mérite d’être posée vu que le digital passe à la vitesse supérieure avec son lot de changements et de contraintes. 

Avant de tenter d’y répondre, définissons tout d’abord les enjeux du digital. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, la transformation digitale ne se réduit pas aux outils, mais concerne plutôt toute la stratégie, y compris humaines, de l’entreprise. En effet, le digital modifie en profondeur notre mode de fonctionnement au quotidien. Il facilite et accélère le travail, certes, mais exige aussi plus d’interactivité, de réactivité et de dynamisme au point que le retard d’une réponse à un mail important peut être source de problèmes et de reproches. C’est dire qu’une «nouvelle révolution technologique est en marche dont la particularité tient tout autant à la rapide mise en œuvre de ses efforts qu’à la transformation brutale des rapports de travail», souligne Karim Amara, Consultant RH et Professeur-Expert EMLyon- Campus Casablanca. Et d’ajouter que les pratiques managériales, en l’occurrence le management humain, subiront de plein fouet l’impact de la transformation digitale. Ainsi, le chef d’équipe qui veut adopter le management humain se verra tirailler entre les principes de base de ce type de management et les contraintes du digital. Ce manager sera aussi «pris au piège entre, d’un,e part les exigences de la performance et les bénéfices qu’il peut tirer de la transformation digitale et d’autre part, le respect des collaborateurs et de leur droit à assurer l’équilibre entre leur vie personnelle et leur vie professionnelle», alerte Hassan Charraf. C’est tout un chantier ! Pour relever ce défi, «il faut réfléchir sur les réponses les plus adéquates en termes de pratiques RH vers un accompagnement entièrement repensé et renouvelé», recommande Karim Amara. Et d’ajouter : «Les grandes tendances qu’on évoque de plus en plus telles que le bien-être, le bonheur et le leadership sont des formes de réponses indirectes se voulant rassurantes face à ce changement de paradigme».
Tout est question d’organisation ! 
Relever des défis, faire ses preuves, se dépasser… le digital impose un nouveau mode de fonctionnement offrant une opportunité à tous ceux qui veulent avancer dans leur carrière. «Grâce au digital, les rapports au travail deviennent plus flexibles, moins rigides et plus transparentes», souligne Karim Amara. Toutefois, en l’absence d’une organisation de travail et d’un accompagnement RH, le collaborateur risque de courir vers le burn-out, la contre-performance ou même la faute professionnelle. D’ailleurs, les professionnels RH ne cessent de le répéter : une stratégie digitale ne peut pas fonctionner sans l’accompagnement RH et l’organisation du travail. Dans ce sens, Hassan Charraf propose certains ingrédients à prévoir pour bien prendre le virage digital tout en s’inscrivant dans un management humain. 


Il s’agit, entre autres, des horaires plus flexibles, des process de travail qui autorisent le mode du télétravail ainsi qu’une équité basée sur la performance individuelle. Il faut dire aussi que la responsabilité est partagée entre le manager et son collaborateur : si le premier est interpellé pour tous les principes du management humain, le deuxième doit travailler sur lui-même et faire preuve de sa capacité à s’organiser au quotidien. Nous vivons à l’époque d’accélération certes, mais c’est à nous-mêmes de moduler cette vitesse et à décider en toute clairvoyance de la façon la mieux adaptée de faire un job.

Autre point important et non des moindres : l’impact de la transformation digitale sur la frontière entre la vie privée et la vie professionnelle. En effet, avec le digital, «nous sommes censés être disponibles, joignables et réactifs à tout moment, même au-delà des horaires de travail et pendant les weekends», rappelle Imane Hadouche, consultante RH et coach. Et d’ajouter que la frontière entre vie professionnelle et vie privée s’est rétractée de manière effrayante. Sur ce volet, Imane Hadouche souligne qu’il est temps d’installer dans toutes les entreprises, une sorte de charte ou d’éthique qui régule les relations virtuelles affichant clairement ce qui est permis et ce qui ne l’est pas. En attendant, il est important de replacer le bien-être de l’humain au sein des stratégies de l’entreprise. Notons, en guise de conclusion, que ce sont des collaborateurs épanouis et engagés qui permettent à l’entreprise d’assurer son développement et sa croissance quelque soit le contexte. La transformation digitale est un fait. Nous devons nous y engager, autant le faire intelligemment pour plus de performance individuelle et collective. 

Déclaration de Imane Hadouche, consultante RH et coach

«Aujourd’hui, nous souffrons de ce qu’on pourrait désigner comme “hyper-connexion”. Tout le monde est présent sur les réseaux internet et ce n’est même plus un choix, l’identité électronique ou virtuelle est devenue aussi importante que l’identité réelle, sinon plus importante, dans le sens où notre identité réelle n’est validée que par notre identité virtuelle. Une personne absente de tous les réseaux, existe-t-elle vraiment ? Mis à part le stress que cela provoque dans notre vie privée : notifications, flux trop important d’informations souvent inutiles ou déprimantes, distractions, liens sociaux effrités… Au travail, cela peut carrément basculer vers une sorte de harcèlement moral, insidieux, intangible, et totalement destructible. Puisque l’hyper-connexion et l’omniprésence sur les réseaux ont installé de mauvaises habitudes chez les collègues et chez la hiérarchie : nous sommes censés être disponibles, joignables, et réactifs à tout moment, même au-delà des horaires de travail et pendant les week-ends.

La frontière entre vie professionnelle et vie privée s’est rétractée de manière effrayante, entraînant des comportements socialement et éthiquement inadmissibles : des appels et messages tardifs, des appels vidéo professionnels sans rendez-vous préalable et en dehors des horaires de bureau, une exigence de réactivité à tout moment, surtout avec les options offertes par certains réseaux, qui laissent la possibilité de surveiller la présence des personnes concernées “en ligne”. C’est totalement inadmissible, puisque ça relève de l’intrusion pure et simple dans la vie privée et constitue une violation de la liberté individuelle. Il suffit d’imaginer ce genre de comportements “hors connexion” pour en constater la violence : si vous n’oserez jamais appeler une personne à 23 h sur son téléphone, il est aujourd’hui normal de lui envoyer un message sur différents réseaux, surtout si vous constatez qu’elle est “en ligne” alors qu’elle est libre de naviguer sans obligation de réponse, puisqu’elle peut être en train de lire un article, ou de suivre une formation en ligne, ou en webinar. Il est temps d’installer dans toutes les entreprises une sorte de charte ou d’éthique qui régule les relations virtuelles, affichant clairement ce qui est permis et ce qui ne l’est pas. J’ai personnellement la certitude que, dans les années à venir, de nouvelles lois viendront organiser les relations virtuelles au travail, puisque certains abus relèvent clairement du harcèlement moral.»

Sanae Hanine, formatrice en communication non violente

«Censé faciliter les interactions entre l’ensemble du personnel de l’entreprise, le digital comme toute technologie a son revers de la médaille. En effet, la collaboration digitale transforme les rapports professionnels notamment sur le plan humain. En virtualisant les échanges, le digital déshumanise les rapports sociaux. Le lien social est de plus en plus érodé. Il est plus facile de transmettre un mail pour éviter d’échanger avec un collègue, on préfère organiser une visioconférence au lieu d’être physiquement sur place, etc. Dans la même perspective, un manager peut transmettre une directive 7j/7 et 24 h/24 ce qui est souvent une source de frustration pour le collaborateur qui a le sentiment que son espace intime est violé. La digitalisation accélère les occasions de contacts en quantité, mais pas en qualité. L’absence de feedback verbal et non verbal est susceptible de nourrir les rancœurs et de créer les conflits. Si le digital a réussi à briser la barrière physique, la barrière psychologique d’accéder humainement à l’autre persiste toujours.»

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Entretien avec hassan Charraf, vice-président du Centre international pour le développement et la coopération

«Un management humain doit être un mode de fonctionnement où on va tirer profit de la technologie au service d’un mieux-être des collaborateurs et non pas l’inverse»

Management & On entend très souvent parler de management humain. Quelles sont ses spécificités par rapport au management au sens large ?
Hassan Charraf :
Dès lors qu’on parle de management humain, c’est une invitation aux entreprises pour s’améliorer et grandir. Les principes fondamentaux du management humain sont nombreux. Je cite notamment le fait d’offrir au collaborateur la liberté du choix, la capacité d’exprimer ses talents, l’autonomie, mais aussi la reconnaissance de ses efforts et de ses compétences. 
De même, chaque collaborateur qui travaille au sein d’une entreprise, dont le management est basé sur une approche humaine, doit avoir des challenges et des défis à relever, ce qui va lui permettre d’évoluer tout en étant épanoui. Autre principe et non des moindres : le respect de la singularité et de la subjectivité de chacun. C’est dire qu’une entreprise, qui opte pour un management humain, se doit d’être inclusive et apprenante tout en permettant à chacun d’avoir du sens dans son travail et de se réaliser de façon individuelle et collective. 
J’insiste sur ces deux derniers axes du développement à savoir l’individuel et le collectif, car il me semble que l’expérience au niveau de l’entreprise n’est qu’une partie de la vie. De même, il est connu qu’on passe plus de temps en entreprise que dans la vie personnelle, il faut alors avoir les conditions pour mieux vivre ce temps et pour le vivre dans une ambiance favorable à son épanouissement et à son développement profitable à la fois à l’entreprise et à la personne elle-même.

Quelle place pour l’écoute active dans ce type de management ?
À la base, l’écoute constitue une des soft skills indispensables pour réussir en management d’équipe. Or au-delà de l’écoute active, je voudrais ajouter l’importance de l’écoute attentive qui implique que le manager doit être prédisposé à écouter avant de chercher à être écouté et à comprendre avant de chercher à être compris. L’écoute attentive permettrait d’être dans le respect et la reconnaissance de l’autre, partant du principe que ce dernier peut apporter un plus à l’entreprise. Notons dans ce sens qu’on peut avoir au niveau de l’entreprise des collaborateurs compétents et qui peuvent apporter une grande valeur ajoutée, encore faut-il les écouter, les comprendre, les apprécier à leur juste valeur, les fédérer et les orienter. Un autre volet que je souhaite aussi aborder, en guise de réponse à votre question : l’importance du travail collectif. Aujourd’hui, les entreprises évoluent dans un environnement où on parle de plus en plus de la co-construction, du co-développement, de la co-réalisation et donc la gestion de l’entreprise n’est pas l’apanage de son chef, mais c’est plutôt une expérience humaine de tous. Dans ce contexte, il faut pouvoir s’écouter, écouter les autres et les aider à se développer. C’est tout un processus qu’on ne réussirait jamais à faire de manière autoritaire et c’est aussi un exercice qui se construit au quotidien et avec les autres.

À l’ère de la transformation digitale qui implique que le collaborateur doit être plus interactif et plus connecté, peut-on toujours parler de management humain ?
Je pense que c’est le défi du XXIe siècle. L’intelligence artificielle, le big data, le cloud… sont tous des concepts que nous avons connus à l’ère de la transformation digitale. Ils apportent un changement total de paradigme au niveau de l’entreprise : on ne fait plus les mêmes process tels qu’on les faisait auparavant, on digitalise, on externalise et peut-être même on robotise. Dans ce contexte, il faut dire que l’élément humain figure toujours au centre des préoccupations du fait que ce sont les collaborateurs qui vont permettre la réussite de ce changement vital et indispensable. Il faut aussi souligner qu’aujourd’hui le chef d’une entreprise est pris au piège entre, d’une part, les exigences de la performance et les bénéfices qu’il peut tirer de la transformation digitale et, d’autre part, le respect des collaborateurs et de leur droit à assurer l’équilibre entre leur vie personnelle et leur vie professionnelle. Pour relever ce défi, je pense qu’il faut commencer, par exemple, par assurer une certaine flexibilité des horaires. 
À titre d’exemple, on ne peut pas demander à un collaborateur d’être ultra-connecté, de faire des heures supplémentaires ou même de travailler durant les weekends, sans pour autant lui autoriser de sortir un peu tôt, s’il en a besoin, pour régler des affaires personnelles. Autrement dit, le succès de la digitalisation requiert un certain nombre d’ingrédients, notamment la flexibilité des horaires de travail, la mise en place de process qui permettent d’assurer un mode de télétravail ainsi que l’instauration d’une équité basée sur la performance individuelle. C’est dire que le changement organisationnel s’impose pour réussir ce tremplin vers le digital tout en assurant un management humain. Je tiens aussi à préciser qu’aujourd’hui un management humain doit être un mode de fonctionnement où on va tirer profit de la technologie au service d’un mieux-être des collaborateurs et non pas l’inverse. 

Quelle organisation de travail privilégier pour plus de performance individuelle et collective ?
Dans une recherche que j’ai réalisée, j’avais identifié quelques domaines qui peuvent constituer une meilleure conciliation entre le bien-être dans un monde digital et cette quête de performance, il s’agit, entre autres, de :
• Avoir une bonne gouvernance, car il est important d’identifier clairement les objectifs organisationnels à atteindre et les responsabilités de chaque collaborateur en adéquation avec ses potentialités.
• Donner aux collaborateurs les moyens pour leur permettre d’avancer, à défaut on risque de créer des tensions, du stress, du burn-out et d’avoir des équipes en conflit.
• Permettre plus de convivialité et s’inscrire dans une démarche favorisant le respect de l’autre tout en assurant un bon climat de travail.
• Se soucier de l’état de santé des collaborateurs sur les plans physique, psychique et psychologique. Plus on est addict et ultra-connecté, plus on ne sent pas le temps passer et on est, par conséquent, surinformé de tout et peut-être au détriment de l’information sur nous-mêmes. 

Entretien réalisé par N.B.

 

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