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«Le Maroc a maintenu une ligne constante de progrès, de réformes et de stabilité, dans un contexte difficile»

«Le Maroc a maintenu une ligne constante de progrès, de réformes et de stabilité, dans un contexte difficile»

À l’issue de ces 20 dernières années, le Maroc a dévoilé un nouveau visage. Comment l’évaluez-vous ?
Ces dernières 20 années, le Maroc a entrepris de manière définitive sa modernisation. Lorsque le Roi Mohammed VI a accédé au Trône, le Maroc était une énigme, son avenir était un mystère. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Justement, j’ai été Président du gouvernement espagnol pendant 7 ans en parallèle avec le règne de Mohammed VI et j’ai pu être témoin des changements et de l’évolution. Lors de nos conversations, les deux grands sujets étaient les relations Maroc-Espagne et la condition de la femme. Aujourd’hui, on remarque que grâce à la Volonté Royale, la condition de la femme a évolué durant cette décennie plus qu’elle ne l’avait fait durant un siècle auparavant !

Un des défis majeurs du Royaume est sans doute la jeunesse. Le Roi a émancipé nos jeunes et les a mis au cœur des priorités. Une des initiatives pour encadrer la jeunesse était l’instauration du service militaire obligatoire. Qu’en pensez-vous ?
Le fait d’avoir une population tellement jeune est une grande opportunité. La clé aujourd’hui est de profiter de la révolution technologique dans laquelle les jeunes sont parfaitement installés. N’importe quel jeune marocain de 18 ans a maintenant accès à beaucoup plus d’informations à travers Internet que n’avait le Président des États-Unis il y a 30 ans ! Avec cette révolution technologique, il faut miser sur l’éducation, au sens large. L’éducation pas avec des matières spécifiques et académiques, mais l’éducation de caractère. Un Maroc jeune doit être un Maroc éduqué et cultivé. Le service militaire est un débat qui renaît régulièrement dans plusieurs pays. Je pense que ce pourrait être positif si l’approche est différente du service militaire classique. Il faudra attendre pour voir les premières retombées.

Le Roi a parié sur l’Afrique. Pensez-vous qu’il réussira à faire entendre davantage la voix de l’Afrique, notamment à travers l’intégration de l’Union africaine ?
L’intégration de l’Union africaine me semble décisive. Le récent accord d’établir enfin un marché commun est très important. Le développement de l’Afrique dépendra de deux grands facteurs : le premier est le degré d’intégration de l’Union africaine et le second l’éducation, au sens large du terme.
Le Maroc est un des quatre pays les plus importants du continent de par son leadership en Afrique du Nord et par sa vocation et relation avec l’Union européenne. Le Maroc et l’Espagne se doivent d’être les deux grands «paquebots» dans la relation UE et UA. Avec le temps et compte tenu de nos relations bilatérales, je pense que l’on devrait constituer une commission mixte permanente pour les affaires Europe-Afrique en tant que grand laboratoire, centre d’idées, de plans de développement.

Un sujet important et qui a toujours impacté la relation entre nos deux pays, c’est l’immigration. Le Roi Mohammed VI a régularisé la situation de dizaines de milliers d’Africains. Comment évaluez-vous cette démarche ?
Durant mon mandat, j’ai également régularisé la situation de 500.000 immigrants, donc je comprends parfaitement la décision de Sa Majesté. Les victimes de la migration sont les personnes. Il faut souligner que le Maroc et l’Espagne la subissent. Ils ne la génèrent pas, mais la reçoivent et doivent la gérer. Il s’agit là de droits de l’Homme et c’est très sensible. L’Europe et la communauté internationale doivent fournir plus d’efforts dans ce sens, notamment en investissant afin que les personnes issues de l’Afrique subsaharienne puissent trouver des opportunités de travail chez elles.
La clé est l’investissement, le développement et la stabilité de l’Afrique subsaharienne. Ceci devrait être un grand engagement de l’Union européenne. Cette dernière ne peut pas oublier que l’histoire nous a appris que l’Europe était grande quand la Méditerranée était grande et quand la relation avec la Méditerranée a été une priorité. Le Maroc a beaucoup fait pour freiner l’immigration illégale vers l’Espagne et nous devons lui en être reconnaissants.

Le Roi est le premier promoteur de l’Islam du juste milieu et de la tolérance. Est-il perçu ainsi en Europe ?
Il n’y a aucun doute que s’il y a un leader politique et religieux qui fait une interprétation aimable, ouverte et cultivée de l’Islam, c’est bien Mohammed VI. C’est très important, car tous les conflits naissent des préjugés et de l’ignorance. L’Islam qui a baigné l’histoire de l’Espagne et de l’Europe a eu des moments de splendeur comme toutes les civilisations. Il est essentiel que l’Espagne et le Maroc unissent leurs systèmes d’intelligence en ce qui concerne l’Islam et ce qu’il représente. Je pense que toutes les religions sont des religions, toutes les cultures sont des cultures, toutes les races sont des races. Il suffit de regarder un peu loin en arrière pour s’apercevoir que la diversité humaine a une origine commune et un avenir commun. C’est une construction complètement fictive celle de rentrer en conflit sur la base de religions, de drapeaux, de couleurs de peau ou de sexe. C’est en contradiction avec la caractéristique essentielle de l’espèce humaine qui est la socialisation.

Le règne du Roi Mohammed VI symbolise cette «exception marocaine», notamment suite au printemps arabe. Le Maroc est-il perçu comme «une exception» en Espagne ?
Absolument ! Le Maroc, dans un contexte et un moment difficile de l’Afrique du Nord, a maintenu une ligne constante de progrès, de réformes et de stabilité. La preuve est dans les relations internationales et les accords avec l’Union européenne. Le Maroc est sans doute un modèle fiable. Le Roi Mohammed VI représente l’unité nationale. L’Espagne doit soutenir l’unité nationale du Maroc, de même que nous voulons que le Maroc appuie notre unité.

On a pendant longtemps parlé du tunnel Maroc-Espagne. Pensez-vous que cette infrastructure permettrait aux entreprises espagnoles d’investir davantage au Maroc ?
Je constate qu’il y a de plus en plus d’intérêt de la part des entreprises espagnoles, notamment dans les biens et services. C’est grâce à l’amélioration du climat des affaires et aux grands pôles de développement comme Tanger Med. Pour le fameux tunnel, c’était un des sujets pendant mon mandat et qui refait surface souvent. Avec les grands avancements dans le monde des transports comme les ferries rapides qui traversent le détroit et les vols lowcost, je pense que le tunnel n’est plus à l’ordre du jour. Je ne pense pas qu’aujourd’hui il serait judicieux d’investir de l’argent public dans ce projet. J’opterais plutôt pour investir dans de grands centres hospitaliers ou d’enseignement.

Le modèle de développement du Maroc a été remis en question, car il a opté pour la modernisation du pays, alors qu’il y a d’autres priorités d’ordre sociétal ? Qu’en pensez-vous ?
Un pays doit marcher sur ses deux pieds : progrès économique et développement social. Les politiques sociales sont essentielles, mais on ne peut pas en faire si on a un pays que l’on ne renforce pas économiquement. Le plus grand défi pour le Maroc est sans doute le défi social des régions dans lesquelles le développement économique est difficile. On voit de grands développements dans le Nord, à Tanger spécialement, et d’autres régions, mais certaines restent en retard. L’équilibre territorial et social est très important.
La révolution technologique que nous vivons nous offre beaucoup d’opportunités. Beaucoup de pays africains ont pu se passer de téléphonie fixe et sont passés directement à la téléphonie mobile, ce qui a permis de grandes économies en termes d’infrastructures très coûteuses. Il me semble très important que la politique sociale du Maroc, en termes de santé et d’éducation, adopte ce genre d’approche. Les nouvelles technologies sont un important outil de développement économique, mais elles peuvent aussi être un grand instrument de politiques sociales.

Vous êtes arrivé à la Présidence du gouvernement dans un moment un peu «délicat» des relations bilatérales, mais vous avez rapidement réussi à retrouver l’équilibre et à consolider les relations qui se maintiennent aujourd’hui. Quel est votre bilan ?
Il est très important, en tant que leader politique en Espagne, de comprendre et de faire comprendre que la relation entre l’Espagne et le Maroc est plus qu’une relation de voisins. C’est une relation de continents et de cultures. Nous sommes de cultures mixtes, et en tant qu’Espagnols nous pouvons comprendre d’autres cultures et les Marocains comprennent la culture espagnole mieux que quiconque. N’oublions pas qu’il y a près d’un million de Marocains en Espagne. Ce sont de bons citoyens et travailleurs et je souhaite qu’ils soient le mieux intégrés possible. La relation Maroc-Espagne doit être un exemple dans le monde, pour l’histoire et pour le futur. Depuis 2004, nous avons eu une période de plus de stabilité dans nos relations. Elle a démarré avec mon mandat puis a continué sous Rajoy et va évidemment se maintenir avec le Président Sanchez.
Le Roi du Maroc a toujours eu des mots très positifs à l’égard de l’Espagne, et a toujours montré son affection pour le pays. Quand j’ai rencontré S.M. lors de ma première visite en tant que Président, on s’est serré la main, et ce pour toujours. J’ai eu la chance d’être le Chef de gouvernement qui a été en mandat le plus long durant le règne de S.M. Mohammed VI. J’ai aussi été honoré par la décoration du Wissam Al Alaoui de classe exceptionnelle. Cette reconnaissance de S.M. vient décorer mon grand attachement pour le Maroc et d’ici, célébrant ses 20 années de règne, je lui transmets ma grande estime, mon affection et le plus grand respect. 

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