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Les Matinales de la fiscalité

Les quatrièmes Matinales de la Fiscalité organisées par Groupe Le Matin le 19 avril à Casablanca, en partenariat avec la Direction générale des impôts et l’Ordre des experts-comptables, ont rassemblé cinq éminents intervenants venus échanger sur la question de la «Fiscalité et nouveau modèle de développement». Ces Matinales interviennent à la veille des Assises nationales de la fiscalité, prévues les 3 et 4 mai 2019. Voici quelques passages marquants des différentes interventions.

Les Matinales de la fiscalité
Ph. Sradni

 

Driss Guerraoui, président du Conseil de la concurrence

«La fiscalité est au cœur de toutes les politiques de développement du Maroc. Il est aussi important de créer un modèle de fiscalité dédié à l’économie verte, au développement durable et aux changements climatiques. Ces trois axes devront être contenus dans la nouvelle réforme fiscale. La problématique du financement est, en fait, au cœur de tous les nouveaux modèles de développement. Aujourd’hui, nous savons que nous avons épuisé les trois ressources essentielles de financement : la dette, la rationalisation des dépenses publiques et la fiscalité, même s’il y a, certes, des marges encore à atteindre grâce à une approche de civisme fiscal. Il nous reste donc une quatrième piste, et c’est là l’avenir du nouveau modèle de développement, c’est réunir les conditions propices et fédérer l’ensemble des acteurs et des pouvoirs publics pour mobiliser le génie et l’intelligence nationale afin de produire de nouvelles richesses.

 C’est cette production de ressources nouvelles qui permettra de financer réellement le nouveau modèle, mais aussi à partir d’une fiscalité qui tient compte de trois dimensions : fiscalité sociale, fiscalité économique et fiscalité environnementale. Mais, il y a également une autre dimension qu’il faut intégrer, c’est la régionalisation avancée. Cette dimension fait que les vrais enjeux de la fiscalité seront liés à des questions de décentralisation fiscale, à la dimension territoriale et à un élément devenu important au niveau de la production de richesse qui est le capital immatériel.  La fiscalité doit être adaptée pour faire de l’éducation un secteur performant, pour faire de l’innovation un levier du développement et pour assurer une meilleure protection sociale, notamment la santé. En plus de ces principes de base, il faut ajouter la dimension internationale. En effet, le Maroc a une feuille de route économique internationale et  des ambitions à l’international, il faut donc que notre modèle fiscal accompagne ces ambitions pour un meilleur positionnement du Royaume dans l’économie mondiale.» 

https://www.youtube.com/watch?v=BFhITZalKBc

Khalid Cheddadi, vice-président de la CGEM et PDG de la CIMR

«La CGEM a un rôle de sensibilisation des entreprises, mais je crois qu’on ne résout pas le problème de l’incivisme fiscal uniquement avec de la communication et de la sensibilisation. Au fond, il y a une responsabilité très importante de l’État, responsable de la collecte des impôts. Il faut que l’État montre son efficacité. D’ailleurs, on a vu dernièrement, vers la fin de l’année précédente, que quand l’État s’est tourné vers les professions libérales pour essayer d’améliorer le recouvrement de l’IR concernant cette catégorie professionnelle, il a réalisé de bons résultats. L’entreprise citoyenne qui paie ses impôts est plutôt victime de l’incivisme fiscal. Le fait que les gens ne paient pas leur IS ou leur TVA bloque le développement de beaucoup de secteurs. Je prends l’exemple de la confection où plus de la moitié de l’activité se fait dans l’informel ou dans la contrebande, ce qui freine le développement de ce secteur. Ce dernier peut être d’ailleurs un moteur important dans le développement du pays. Le secteur agroalimentaire, pour sa part, est freiné parce que le secteur organisé est obligé de mettre une TVA sur les produits, ce qui n’est pas le cas pour l’informel, et donc il y a un manque de compétitivité. Quand on parle de l’efficacité et du recouvrement, il ne s’agit pas d’une question en l’air, mais d’une problématique qui peut avoir des réponses très concrètes et les moyens sont là. 
Aujourd’hui, on est dans l’ère de la digitalisation et du big data et donc l’État a de grands moyens pour améliorer le recouvrement des impôts. Prenant l’exemple de la taxe d’habitation dont normalement tout propriétaire de bien immobilier doit s’acquitter, on constate que peu de gens payent cette taxe. Des chiffres ont d’ailleurs été avancés par la DGI indiquant que, dans un seul quartier de Rabat, plus de 8.000 titres fonciers ne font pas l’objet de taxe d’habitation. Il y a donc un réel effort à fournir à ce niveau-là.» 

Abdelmajid Faiz, président de la Commission juridique et fiscale de l’Ordre des experts-comptables

«L’Ordre des experts-comptables a mené une réflexion autour d’un système fiscal qui peut répondre aux aspirations et aux attentes de la majorité des Marocains. Nous avons constaté que les troisièmes Assises nationales sur la Fiscalité, qui auront lieu les 3 et 4 mai 2019 à Rabat, ont suscité un engouement et un intérêt sans précédent des différentes couches et composantes de la société marocaine. Nous avons la conviction que les prochaines Assises vont répondre aux attentes fortes et légitimes exprimées à travers des recommandations qui seront émises en marge de cette rencontre. Notre souhait est que les décideurs (gouvernement et Parlement) puissent considérer ces recommandations comme une plateforme qui pourraient constituer l’ossature de la réforme fiscale et en constituer un pilier du modèle de développement économique. Rappelons que des rapports ont été préparés par différentes institutions qui confirment que notre modèle de développement connait des limites, aujourd’hui, et ne permet pas de créer suffisamment de richesse, vu que nous avons un taux de croissance de 2 ou 3% avec, entre autres, un niveau de disparité sociale qui continue à s’aggraver. Ce qui suscite des interrogations. Il faut engager une réflexion sur un vrai modèle dans lequel le système fiscal doit s’inscrire parfaitement pour pouvoir rendre des services de qualité et augmenter l’adhésion des citoyens. Il faut penser à la concertation dans la prise de décision fiscale, autrement dit une institutionnalisation de la concertation. Le sens du civisme et du civisme fiscal est également un autre point à développer chez le citoyen. En général, le système fiscal doit obéir à un ensemble de règles et principes universels (lisibilité et stabilité) pour donner la sécurité juridique à l’acte d’investir. L’Ordre des experts-comptables s’est réuni et a constitué une commission composée de 15 experts qui ont produit un document reprenant un ensemble de recommandations qui devaient constituer, de notre point de vue, les lignes directrices de ce que devrait être le système fiscal.» 

Youness Idrissi Kaitouni, directeur régional de la DGI

«Aujourd’hui, nous avons tous des attentes. Nous considérons d’abord que nous faisans tous partie du même corps qui est celui de notre État que nous voulons tous voir prospérer. Concernant les pré-requis, il y a une réflexion sur le nouveau modèle de développement et c’est l’ancrage principal sur lequel doivent s’implanter toute nouvelle réforme fiscale et toute nouvelle politique fiscale. C’est d’ailleurs le principal chantier qui nous attend tous. Dans ce chantier là, le volet fiscal est évidemment d’une importance capitale. Le thème des assises de la fiscalité, prévues les 3 et 4 mai prochain, est relatif à l’équité fiscale. Il s’agit d’un pré-requis fondamental. Je pense que le principal apport des ces troisièmes Assises est de définir une sorte de feuille de route pour les cinq prochaines années avec des principes sur lesquels toutes les forces vives de la Nation, notamment les pouvoirs publics, les acteurs économiques et les syndicats, vont se mettre d’accord. L’idée est de mettre en place une loi-cadre qui englobe ces principes nous permettant d’avoir plus de visibilité. Cela permettra ainsi de remédier notamment à l’instabilité fiscale qui cause chaque année des soucis, non pas uniquement aux opérateurs économiques, mais à toutes les parties, y  compris l’Administration fiscale.Notons qu’un système fiscal stable est un système qui donne de la visibilité aux opérateurs et qui permet d’assurer les procédures de l’Administration avec moins de frictions, notamment avec les partenaires.» 

Abla Benabdallah, experte au Conseil économique, social et environnemental

«Le Conseil économique, social et environnemental ‘CESE) a élaboré et adopté, il y a quelques semaines, un rapport sur la fiscalité intitulé “Pour un nouveau système fiscal, pilier du nouveau modèle de développement” qui rejoint la thématique abordée lors de cette 4e matinale. Un rapport qui pourra apporter sa pierre à l’édifice et contribuer à la réflexion nationale autour de la thématique de la fiscalité. Ce rapport a bénéficié de l’approche ancrée dans l’ADN du CESE. Son élaboration a fait état d’un nombre de constats, notamment la prédominance de l’économie de rente et le recours fréquent à des avantages et à des privilèges, une forte concentration économique caractérisée d’une part par un nombre d’entreprises réduit, et d’autre part par une pression fiscale qui se situe autour de 21,15% en 2017, un taux relativement élevé et qui s’inscrit dans une tendance baissière. À cela s’ajoute une instabilité réelle et perçue du système fiscal, du fait que chaque Loi de finances apporte de nouvelles dispositions fiscales. 4e point, une complexité du système fiscal dans sa globalité, car à la fiscalité nationale se juxtapose une fiscalité locale qui est aussi compliquée, qui manque de cohérence et qui souffre d’une gouvernance peu pertinente, pour finir sur un comportement largement répondu marqué par une incivilité fiscale et par une relation contribuable/administration fiscale conflictuelle malgré tous les efforts qui ont été faits, en termes de dématérialisation, de simplification et de clarification. Partant de ces constats, le CESE veut s’inscrire dans une réflexion plus large autour du nouveau modèle de développement en appelant à un changement de paradigme profond dans la manière d’appréhender la matière fiscale tant sur le plan de la conception, de la gouvernance et de la mise en place en se projetant dans un système fiscal plus inclusif, plus juste et plus équitable. Ce rapport propose un certain nombre d’orientations stratégiques au service d’un nouveau modèle de développement.»

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