Le Matin : Comment la Clinique juridique Hijra va-t-elle célébrer cette Journée mondiale des réfugiés ?
Une procédure conjointe entre le HCR et le BRA marocain a été mise en place, quels en sont les principaux aspects ?
La procédure d’asile débute par la phase d’enregistrement auprès de bureau du Haut Commissariat aux réfugiés (HCR) à Rabat. À la suite de l’enregistrement, le demandeur d’asile est reçu en entretien par un officier d’éligibilité du HCR pour la détermination du statut de réfugié (DSR). Si la personne est reconnue comme ayant le statut de réfugié, le HCR fait suivre le dossier au BRA qui est chargé de la régularisation des réfugiés reconnus par le HCR. Cependant, le BRA a suspendu à plusieurs reprises son activité sans communiquer aucune raison. Dans les cas où le demandeur d’asile n’est pas reconnu par le HCR, il reçoit une lettre de notification qui reprend brièvement les éléments de la décision de rejet. Suite à cette notification, le demandeur d’asile a 4 semaines pour soumettre un recours auprès de même bureau du HCR. Le demandeur peut former son recours par lui-même ou à l’aide de la CJH qui joue le rôle de représentant légal dans trois villes (Tanger, Rabat et Agadir). Ce rôle est institutionnalisé dans la procédure d’asile actuelle : le flyer «Assistance légale asile» de la CJH est effectivement distribué d’une façon standard aux demandeurs d’asile qui approchent le HCR. À la suite du recours, la réponse du HCR est définitive. En cas de rejet de recours, la décision du HCR ne peut pas être contestée devant un juge, vu que sa décision n’est pas administrative. Le dossier devient donc fermé.Vous êtes actuellement en train de finaliser un rapport sur la procédure d’asile au Maroc qui devrait être publié à la fin du mois, quelles sont les grandes lignes de ce rapport ?
Le rapport évalue quelques aspects de cette procédure à la lumière du droit national et international. Le rapport est basé sur des données collectées par la Clinique Juridique Hijra dans le cadre de son travail d’assistance légale aux demandeurs d’asile dans 3 villes marocaines (Rabat, Tanger et Agadir). Le rapport présente trois déficits principaux dans la procédure actuelle. Il s’agit de l’accès limité à la procédure. En effet, le HCR effectue la détermination de statut de réfugié (DSR) uniquement au niveau de Rabat. Cette situation a des conséquences pour les demandeurs d’asile qui se trouvent loin de Rabat et qui n’ont pas les moyens ou la possibilité de se rendre à la capitale. C’est par exemple le cas de nombreux demandeurs d’asile arrivant récemment à Agadir. Depuis mars 2019, la CJH d’Agadir a envoyé 81 demandes d’asile au HCR. Plus de la moitié n’ont toujours pas été contactés par le HCR pour accéder à la procédure. Cette situation n’est pas en ligne avec la Convention de Genève qui incite les États à ouvrir de multiples bureaux, afin de faciliter le travail du HCR et de rendre plus accessible la procédure d’asile. Le deuxième point est l’accès limité aux décisions du HCR. Quand le demandeur d’asile est rejeté par le HCR, il reçoit une lettre de notification qui reprend brièvement les éléments pour lesquels sa demande a été refusée. Cette lettre de notification ne reprend pas toute l’argumentation derrière la décision de refus. Bien que le HCR réfère dans cette lettre aux informations du pays d’origine, le document ne contient pas toute l’analyse du refus. Il est donc difficile de savoir les réelles motivations derrière le refus. Le droit à l’aide légale, prescrit par différents textes nationaux et internationaux, est donc restreint. Et le rapport pointe l’absence d’accès à la justice. En l’absence d’une procédure nationale d’asile, la voie vers le juge est fermée pour les demandeurs d’asile rejetés par le HCR en deuxième instance. Quand le recours est rejeté par le HCR, le demandeur d’asile n’a aucune autre option pour se défendre, car la décision du HCR n’est pas une décision administrative. Sans cette possibilité de recours au juge, la procédure d’asile actuelle n’est pas en harmonie avec l’esprit de la Convention de Genève et d’autres textes internationaux qui garantissent le droit d’avoir accès à la justice pour se défendre contre l’administration.Le Maroc a énoncé sa volonté de mettre en place une procédure d’asile nationale à travers une loi sur l’asile, mais celle-ci n’est toujours pas introduite. Qu’est-ce qui bloque d’après vous ?
Le projet de loi 66-17 relative à l’asile et aux conditions de son octroi est prêt depuis 2017. Le ministère chargé des Affaires de la migration a soumis le projet au secrétariat général du gouvernement qui l’a présenté en septembre 2018 au Conseil du gouvernement. La CJH ne voit aucune raison concrète pour ce retard et recommande au gouvernement d’accélérer l’adoption de ladite loi. Souvent, les États pensent qu’en adoptant une loi sur l’asile, il y aura une invasion des demandeurs d’asile. C’est une pensée inhérente aux politiques migratoires partout dans le monde. Il s’agit d’un mythe, car la définition de réfugié, incluse dans le projet de loi, contient des critères qui limitent le risque d’invasion. On oublie donc souvent qu’une loi sur l’asile aidera, au contraire, le Maroc à contrôler l’entrée et le séjour sur son territoire.Selon vous, que faut-il faire pour mieux protéger les droits des demandeurs d’asile ?
Le meilleur scénario est que le Maroc introduise la loi relative à l’asile. Cette loi ouvrira le chemin de la transition vers une procédure nationale d’asile et enlèvera les déficits mentionnés ci-dessus. En attendant, il est urgent que ces déficits soient enlevés. Dans ce sens, la CJH recommande au HCR et au BRA de mettre en place d’autres bureaux de dépôt et traitement des demandes d’asile. Les bureaux des étrangers qui se situent aux wilayas peuvent servir dans ce sens et mettre à disposition des demandeurs d’asile la décision intégrale du HCR en première et deuxième instances afin de pouvoir se défendre. Il faut également ouvrir une possibilité de soumettre une deuxième demande d’asile auprès du BRA après un rejet de recours par le HCR. Cette possibilité permettra aux demandeurs d’asile d’avoir une décision administrative du BRA afin de pouvoir, par la suite, se défendre devant le tribunal administratif si le BRA et la Commission des recours rejettent de nouveau la demande d’asile en question.Propos recueillis par Hajjar El Haiti