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Qualité de l’enseignement : Le Maroc peut mieux faire

L’évaluation des performances scolaires permet d’orienter les politiques publiques en matière d’éducation. La participation du Maroc aux enquêtes internationales TIMSS et PIRLS ainsi que la mise en place du Programme national d’évaluation des acquis (PNEA) en 2008, s’inscrivent dans cette lignée. En effet, l’adoption d’évaluations standardisées permet de suivre l’évolution des nouvelles fonctions de l’éducation et de nouvelles attentes envers l’école.

Qualité de l’enseignement : Le Maroc peut  mieux faire
Ph. shutterstock

Conscient de l’importance de positionner l’école au centre du projet sociétal de notre pays, le Conseil supérieur de l'éducation, de la formation et de la recherche scientifique (CSEFRS) a élaboré une nouvelle vision stratégique de la réforme du système éducatif basée sur l’équité et l’égalité des chances, la qualité pour tous et la promotion de l’individu et de la société. 
La vision stratégique 2015-2030 s’est ainsi penchée sur l’une des problématiques majeures de notre système éducatif : la qualité. L’enjeu étant de dresser l’état des lieux afin de mettre en lumière les déficits enregistrés et d’apporter une réponse appropriée aux besoins des élèves en matière d’enseignement. Pour ce faire, les enquêtes internationales auxquelles le Maroc participe régulièrement, notamment les études «Trends in Mathematics and Science Study» et «Progress In Reading and Literacy Study» (PIRLS), constituent le moyen d’évaluer la qualité de notre système éducatif en le comparant avec ceux d’autres pays.
L’étude internationale sur le progrès en littératie classe les élèves marocains parmi les moins performants en matière d’aptitude à lire, à comprendre et à utiliser l'information écrite dans la vie quotidienne. Selon les résultats de l’étude réalisée en 2016, rendus publics lors de la 15e session du CSEFRS en janvier dernier, le taux des élèves marocains ne maitrisant pas les compétences de base est de 64% contre 79% cinq années plus tôt. Le Royaume arrive ainsi à la 47e place sur un total de 50 pays ayant participé à l’étude. 
Concernant l’étude internationale sur les mathématiques et les sciences, qui cible les niveaux correspondant à la quatrième année du primaire et la deuxième année du secondaire collégial, le constat est le même. Au niveau des élèves de la quatrième année primaire, le Maroc fait partie des trois derniers pays en mathématiques, avec un score de 377 et occupe l’avant-dernière place en sciences avec un score de 352. Du côté des élèves de la deuxième année de collège, le Maroc figure parmi les trois derniers pays en mathématiques avec un score de 384, le plaçant ainsi avant l’Afrique du Sud et l’Arabie saoudite. En sciences, il est classé avant le Botswana, l’Égypte et l’Afrique du Sud, avec un score de 393. 
Certes, le Maroc a enregistré une évolution positive par rapport aux éditions précédentes de ces classements, mais le chemin est encore long pour atteindre le niveau des pays les plus avancés. Remédier au déficit qui existe en matière de qualité de l’enseignement nécessite d’appréhender toutes les facettes de ce concept en tenant compte à la fois de la qualité des programmes, du personnel, des élèves, mais aussi de leur 
environnement.

Questions à Hicham Lahlou, directeur général de l’École La Prairie

«Il faut sortir définitivement de la logique de “compétition” et se tourner radicalement vers la logique de “l'émulation”»

Les résultats du Maroc dans les classements PIRLS et TIMSS révèlent que le niveau d'apprentissage des élèves reste faible. Comment expliquez-vous cette situation ?
La prise de conscience est souvent la 1re étape d'un processus d'évolution. Accepter de se comparer avec des critères «extra-nationaux» n'est pas anodin, car c'est aussi accepter que l'on prépare des élèves destinés à des enjeux mondiaux plutôt qu'à des enjeux uniquement locaux ou nationaux. Par ailleurs, un certain passé et même certains vestiges ont pu freiner l'acceptation du constat que le système d'enseignement ne produit pas les effets souhaitables pour la Nation. À mon sens, il faut sortir définitivement de la tradition de la logique de «compétition» et se tourner radicalement vers la logique de «l'émulation». En effet, dans la logique traditionnelle et compétitive, quelques réussites, qu'il est légitime de saluer, masquent la masse des difficultés et des échecs. Inconsciemment, il est souvent accepté que puisque certains s'en sortent ou réussissent c'est que le problème est chez les autres. Du coup, cela se traduit immanquablement par des exigences moindres pour ne pas trop stigmatiser ou un fatalisme inapproprié et inopportun. Dans la logique de l'émulation, la variable «Tous» est omniprésente et il y a même un effet «boule de neige», car la réussite de l'un amène la réussite de l'autre et tout le monde est globalement tiré vers le haut. Ainsi, le niveau moyen des élèves ne peut donc qu'augmenter et cela doit être une ambition forte.

Quelles sont, selon vous, les difficultés qui expliquent le taux élevé des élèves marocains ne maîtrisant pas les compétences de base ?
C'est une question vraiment complexe qui amènerait une réponse multifactorielle. Mais pour mettre 2 éléments qui me semblent vraiment importants, je dirai le manque de professionnalisme et la disparité des situations.
Le premier élément contient surtout un manque d'exigence dans un sens professionnel et est souvent lié à un manque de formation pédagogique pour se convaincre que même si des moyens manquent il faut pousser, convaincre, relancer les élèves et leurs parents dans une émancipation par les savoirs plutôt que par «la débrouille».
Le deuxième élément à mettre en relief est qu'il n'y aura pas une même réponse pour toutes les situations du territoire national, mais qu'il faut inventer une solution pour chaque cas. En ce point, cela rejoint l'idée qu'il faut que les enseignants ne soient plus considérés seulement comme des «instits» ou des «profs», mais plutôt comme des artisans de l’ingénierie éducative.

Quelles sont les mesures à prendre pour remédier à ce constat ?
En premier lieu, il faut revoir les échéances des évaluations. Avoir une organisation semestrielle uniformisée est un atout pour le ministère et peut s'expliquer dans certains niveaux ou cycles d'enseignement, mais elle semble déconnectée et inopérante pour le suivi des apprentissages et ne me semble pas pouvoir convenir à toutes les étapes de développement de l'enfant ou du jeune. D'ailleurs, dans notre établissement, nous avons mis un système d'évaluation basé sur 3 trimestres et compatible sur les 2 semestres demandés par le ministère et cela d'avoir un suivi plus fréquent et plus qualitatif pour ne pas devenir «une usine à notes».
En second lieu et en conséquence, il faut se poser la question des compétences plutôt que des contenus qui seront attendus et évalués. Il y a une méthodologie du travail en équipe et de la menée de réflexion pédagogique collective qui peut et qui doit être menée. Cela pourrait se traduire par «Comment respecter la diversité en ayant les mêmes objectifs ?». Là aussi, au niveau de notre établissement, les mêmes évaluations sont menées dans toutes les classes du même niveau, ce n'est pas parce que c'est la direction qui les prépare, mais parce que les objectifs et les contenus sont préparés ensemble. Toutefois, cela prend du temps. Bref, le pilotage par l'évaluation est une piste sérieuse, car elle peut faire rapidement consensus avec tous les acteurs du système scolaire sans négliger les objectifs pédagogiques si on y inclut un grand volet de formation et d'information des acteurs. 

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