Conscient de l’importance de positionner l’école au centre du projet sociétal de notre pays, le Conseil supérieur de l'éducation, de la formation et de la recherche scientifique (CSEFRS) a élaboré une nouvelle vision stratégique de la réforme du système éducatif basée sur l’équité et l’égalité des chances, la qualité pour tous et la promotion de l’individu et de la société.
Questions à Hicham Lahlou, directeur général de l’École La Prairie
«Il faut sortir définitivement de la logique de “compétition” et se tourner radicalement vers la logique de “l'émulation”»
Les résultats du Maroc dans les classements PIRLS et TIMSS révèlent que le niveau d'apprentissage des élèves reste faible. Comment expliquez-vous cette situation ?
La prise de conscience est souvent la 1re étape d'un processus d'évolution. Accepter de se comparer avec des critères «extra-nationaux» n'est pas anodin, car c'est aussi accepter que l'on prépare des élèves destinés à des enjeux mondiaux plutôt qu'à des enjeux uniquement locaux ou nationaux. Par ailleurs, un certain passé et même certains vestiges ont pu freiner l'acceptation du constat que le système d'enseignement ne produit pas les effets souhaitables pour la Nation. À mon sens, il faut sortir définitivement de la tradition de la logique de «compétition» et se tourner radicalement vers la logique de «l'émulation». En effet, dans la logique traditionnelle et compétitive, quelques réussites, qu'il est légitime de saluer, masquent la masse des difficultés et des échecs. Inconsciemment, il est souvent accepté que puisque certains s'en sortent ou réussissent c'est que le problème est chez les autres. Du coup, cela se traduit immanquablement par des exigences moindres pour ne pas trop stigmatiser ou un fatalisme inapproprié et inopportun. Dans la logique de l'émulation, la variable «Tous» est omniprésente et il y a même un effet «boule de neige», car la réussite de l'un amène la réussite de l'autre et tout le monde est globalement tiré vers le haut. Ainsi, le niveau moyen des élèves ne peut donc qu'augmenter et cela doit être une ambition forte.Quelles sont, selon vous, les difficultés qui expliquent le taux élevé des élèves marocains ne maîtrisant pas les compétences de base ?
C'est une question vraiment complexe qui amènerait une réponse multifactorielle. Mais pour mettre 2 éléments qui me semblent vraiment importants, je dirai le manque de professionnalisme et la disparité des situations.Le premier élément contient surtout un manque d'exigence dans un sens professionnel et est souvent lié à un manque de formation pédagogique pour se convaincre que même si des moyens manquent il faut pousser, convaincre, relancer les élèves et leurs parents dans une émancipation par les savoirs plutôt que par «la débrouille».Le deuxième élément à mettre en relief est qu'il n'y aura pas une même réponse pour toutes les situations du territoire national, mais qu'il faut inventer une solution pour chaque cas. En ce point, cela rejoint l'idée qu'il faut que les enseignants ne soient plus considérés seulement comme des «instits» ou des «profs», mais plutôt comme des artisans de l’ingénierie éducative.Quelles sont les mesures à prendre pour remédier à ce constat ?
En premier lieu, il faut revoir les échéances des évaluations. Avoir une organisation semestrielle uniformisée est un atout pour le ministère et peut s'expliquer dans certains niveaux ou cycles d'enseignement, mais elle semble déconnectée et inopérante pour le suivi des apprentissages et ne me semble pas pouvoir convenir à toutes les étapes de développement de l'enfant ou du jeune. D'ailleurs, dans notre établissement, nous avons mis un système d'évaluation basé sur 3 trimestres et compatible sur les 2 semestres demandés par le ministère et cela d'avoir un suivi plus fréquent et plus qualitatif pour ne pas devenir «une usine à notes».En second lieu et en conséquence, il faut se poser la question des compétences plutôt que des contenus qui seront attendus et évalués. Il y a une méthodologie du travail en équipe et de la menée de réflexion pédagogique collective qui peut et qui doit être menée. Cela pourrait se traduire par «Comment respecter la diversité en ayant les mêmes objectifs ?». Là aussi, au niveau de notre établissement, les mêmes évaluations sont menées dans toutes les classes du même niveau, ce n'est pas parce que c'est la direction qui les prépare, mais parce que les objectifs et les contenus sont préparés ensemble. Toutefois, cela prend du temps. Bref, le pilotage par l'évaluation est une piste sérieuse, car elle peut faire rapidement consensus avec tous les acteurs du système scolaire sans négliger les objectifs pédagogiques si on y inclut un grand volet de formation et d'information des acteurs.