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«La qualité des ressources et les expertises mobilisées conditionnent la réussite à terme de ce Compact»

Le programme de coopération Compact II, conclu entre le Maroc et les États-Unis d’Amérique, représenté par Millennium Challenge Corporation (MCC), est entré en vigueur le 30 juin 2017. Ce programme, dont la mise en œuvre a été confiée à l’Agence Millennium Challenge Account-Morocco (MCA-Morocco), est à mi-parcours. Trente mois se sont déjà écoulés et il en reste trente autres avant son arrivée à terme. Le directeur général de l’Agence MCA-Morocco,Abdelghni Lakhdar, nous retrace dans cet entretien les grandes lignes du bilan des réalisations de ce programme, les prochains projets à mettre en œuvre en 2020 ainsi que les mécanismes de la pérennisation des nouveaux modèles adoptés dans le cadre du MCC.

«La qualité des ressources et les expertises mobilisées conditionnent la réussite à terme de ce Compact»
Ph KARTOUCH

Le Matin : À mi-parcours de la mise en œuvre du Compact II, quel bilan global en dressez-vous ?

Abdelghni Lakhdar :
L’Agence vient de tenir la septième session de son Conseil d’orientation stratégique sous la présidence du Chef du gouvernement. Ce que je peux vous dire est que nous sommes satisfaits du bilan et de l’état d’avancement de ce programme. La trajectoire du Compact II est bonne, mais la mobilisation doit continuer. Il faut le rappeler, le Compact est fondé sur de deux grands projets d’une portée stratégique, il s’agit de l’éducation et de la formation pour l’employabilité et la productivité du foncier. Ce sont deux axes, deux leviers majeurs de toute politique de développement. Aujourd’hui, tous les projets avancent dans le bon sens, grâce à la mobilisation de toutes les parties prenantes.

Pouvez-vous citer des exemples concrets ?

Par exemple, nous avons un projet de l’éducation secondaire qui est parfaitement ancré dans la vision 2020-2030 adoptée par le gouvernement. Nous avons un projet d’établissement intégré qui est au cœur de cette vision et intégré dans 90 établissements, dans trois régions du Royaume. Ce projet est préparé en concertation avec l’ensemble des acteurs, notamment les élèves, les parents, les enseignants, le staff administratif… Cela constitue un exemple de ce que doit être un établissement performant. Aussi, il y a une quinzaine de centres de formation professionnelle de nouvelle génération, pensés en partenariat entre le public et le privé. Ces centres sont lancés et ont été sélectionnés suite à un appel à projets. Ils concernent six régions du Royaume touchant sept secteurs d’activité, avec une participation accrue du privé, grâce à l’implication de plusieurs fédérations sectorielles dans la conception, la mise en œuvre et la gouvernance de ces centres. Il y a aussi une réforme de la formation professionnelle qui est en marche avec un axe juridique important. Il s’agit d’une nouvelle loi sur la formation professionnelle, avec plusieurs autres dimensions qui concernent aussi bien la formation continue, la formation professionnelle privée que la formation professionnelle dans son ensemble. Nous avons des sites pilotes de zones industrielles qui ont été conçus, choisis et préparés en partenariat entre le public et le privé et qui apportent une valeur ajoutée importante en termes de gouvernance et de gestion des zones, d’autant plus que ce sont des zones qui répondent à la demande. Nous sommes en train de travailler sur la phase hors site et nous allons choisir des partenaires privés qui vont être impliqués dans l’exploitation et la gestion de ces zones.

Nous avons également le chantier du foncier rural, un projet qui illustre parfaitement l’ancrage stratégique de ces projets. S.M. le Roi avait donné Ses orientations, lors des Assises nationales sur la politique foncière en décembre 2015, pour accélérer ce chantier. Il avait donné Ses orientations pour que cela soit fait gracieusement au profit des ayants droit. S.M. le Roi était également revenu à plusieurs reprises dans Ses discours sur ce chantier pour faire du foncier un levier de développement économique et social. Ces orientations ont été déterminantes pour le succès de cette opération. Ainsi, le gouvernement a choisi de mener une expérience pilote dans ce sens dans le cadre du Compact II. De la sorte, ce sont 66.000 hectares qui sont en train d’être «mélkisés» au profit des ayants droit. Mais ce n’est pas cela le plus important. Le plus important, c’est la nouvelle démarche adoptée qui va pouvoir servir pour la généralisation de ce chantier. 

Outre la concertation et la gouvernance, quels sont les principaux facteurs qui ont été déterminants pour la réalisation de ce bilan que vous avez qualifié de satisfaisant ?

La réussite des projets qui sont au cœur du Compact II et, de manière générale, des projets de développement est le résultat d’un dosage subtil de plusieurs ingrédients. Le Compact présente cette opportunité de transformer des stratégies et des visions ambitieuses en des stratégies concrètes. Or ce passage n’est jamais facile.

À la base, il y a d’abord le choix de ces projets. Ils ont été choisis sur la base d’une étude, d’une analyse détaillée des contraintes liées à la croissance économique avec l’implication de toutes les parties prenantes. En plus, ce sont des projets du gouvernement et non pas de MCA. L’Agence a un mandat pour mettre en œuvre ces projets. Ce sont des chantiers portés par les acteurs concernés. Ce qui est de nature à contribuer à leur succès. Ce sont également des projets qui font partie des priorités nationales. Mais les facteurs de réussite ne s’arrêtent pas à ce niveau-là. Il y a l’Agence, avec des équipes qui sont dédiées, des ressources humaines de qualité, mais aussi une gouvernance qui est spécifique. Nous avons un Conseil d’orientation stratégique qui est présidé par le Chef du gouvernement et auquel participent les ministres concernés et d’autres parties prenantes. Ainsi, chaque fois que nous avons besoin d’un arbitrage ou d’une décision, le Conseil exerce son rôle de supervision et de suivi auprès de l’Agence. D’autre part, il soutient et aide l’Agence à faire avancer les projets. Il y a également des outils de planification, de suivi et d’évaluation, le respect des normes sociales et environnementales… Cela fait partie non seulement des facteurs de réussite, mais aussi des facteurs de qualité des projets. 

Dans le cadre du Compact II, il y a plusieurs chantiers qui sont lancés, avancent-ils au même rythme ?

Non. Les projets n’avancent pas au même rythme. les projets sont différents les uns des autres et n’ont pas les mêmes types de difficultés. Il y a des projets qui impliquent une seule partie prenante et d’autres qui en impliquent plusieurs. Nous avons choisi avec le fonds du MCC et avec les départements concernés de mener les projets avec une nouvelle modalité qui s’appelle l’appel à projets. C’est le cas des projets «Charaka» de la formation professionnelle. C’est le cas de «Fonzid», c’est le cas aussi des financements basés sur les résultats en matière d’inclusion des jeunes. Cette modalité prend évidemment plus de temps, car on a fait appel aux idées, puis un appel à projets, ensuite on accompagne les porteurs de projets pour améliorer la qualité de leurs projets jusqu’à la sélection finale. Donc, naturellement, ces projets avancent moins vite que les autres. Mais lors du dernier Conseil, nous avons présenté un calendrier de mise en œuvre d’ici la fin du Compact. Ainsi, même s’ils avancent moins vite, tous les projets entrent dans le cadre du Compact grâce à un suivi très rapproché, une grande vigilance et de l’anticipation.

Quelles sont justement les échéances qui vont marquer à court terme la mise en œuvre de ce programme d’envergure, notamment au début de l’année 2020 ?

En fait, tous les projets avancent. Mais au cours de l’année 2020, on va démarrer, au mois de janvier, les travaux hors site en ce qui concerne l’électricité, l’eau potable, la STEP, un pont, la voirie… au sein des trois zones industrielles pilotes à Had Soualem, Sahel Lakhyayta et Bouznika. En 2020 également, on commence la mise en œuvre des projets de Fonzid (fonds des zones industrielles durables) qu’on va sélectionner définitivement au début du prochain mois, ensuite on commencera la mise en œuvre. En 2020, on va également finaliser les études architecturales, d’infrastructure et assistance technique des centres de formation professionnelle, ainsi que l’ingénierie pédagogique et le contenu de la formation pour lancer effectivement les travaux de ces centres. On vient de sélectionner 9 prestataires pour les financements basés sur les résultats, en termes d’inclusion des jeunes. Leurs opérations vont commencer en janvier 2020. 

Malgré ce bilan positif, est-ce qu’il n’y a pas eu des difficultés au cours de la mise en place de ces projets ? Des réajustements ont-ils été nécessaires au niveau de leur exécution ?

Naturellement, le propre de ce genre de programme est d’être en ajustement permanent et de faire qu’on soit dans l’apprentissage. Nous avons beaucoup appris du Compact I, nous apprenons du Compact II et nous comptons mener la deuxième moitié du Compact II d’une manière différente de la première. Dans ce cadre, je peux citer des cas concrets où des réajustements ont été apportés. Par exemple, dans le projet de gouvernance du foncier, rappelons que le gouvernement avait décidé de préparer cette stratégie en s’appuyant sur l’Agence MCA-Morocco dans le cadre du Compact. C’est un projet lourd, mais également très stratégique, avec l’implication de plusieurs parties prenantes. Ainsi, chemin faisant, le gouvernement a dû apporter des réajustements à ce projet. Le gouvernement a saisi le Conseil économique, social et environnemental (CESE) pour faire une étude sur la stratégie foncière nationale et la vision en ce qui concerne la réforme foncière. Le CESE est sur le point de rendre son livrable. Le Chef du gouvernement a également choisi de confier l’élaboration et la préparation de cette stratégie à un coordinateur national qu’il a désigné et qui travaille en concertation avec les parties prenantes, c’est l’Agence nationale de la conservation foncière, du cadastre et de la cartographie (ANCFCC). Elle travaille actuellement en concertation étroite avec les différentes parties prenantes pour préparer ce projet. L’Agence MCA-Morocco a été impliquée dans ce travail avec le CESE et avec le coordinateur national et elle sera davantage impliquée dans la mise en œuvre des axes prioritaires qui sortiront de la préparation de cette stratégie foncière nationale.

Outre ce volet, dans le foncier rural, on avait commencé par un projet sur 46.000 hectares dans la zone du Gharb. C’est un projet extrêmement important, mais chemin faisant, le gouvernement a souhaité l’expérimenter dans deux zones et non pas seulement dans le Gharb. Ainsi, aujourd’hui on travaille sur 51.000 hectares dans le Gharb et 15.000 hectares dans le Haouz, et ce pour donner une vision d’ensemble et une expérience qui peut être menée dans des conditions différentes.

De même, on n’avait pas prévu au départ de travailler sur des mesures d’accompagnement de la «mélkisation», puisqu’on avait au départ opté uniquement pour l’action consistant à «mélkiser». Mais on a pensé que pour que cette opération puisse profiter aux ayants droit, il était important de les accompagner, de les former, de les sensibiliser, de les aider à accéder au crédit et de les former à la meilleure façon de valoriser leur foncier. C’est dans ce cadre que nous avons conclu des accords avec le Groupe Crédit Agricole, avec l’Agence nationale de lutte contre l’analphabétisme et avec l’Office national du Conseil agricole qui vont intervenir auprès de cette population avec le soutien de MCA-Morocco. Ce sont donc des ajustements concrets au cas par cas, suivant les évaluations opérées à mi-parcours. À chaque fois qu’il y a besoin d’ajustement, on y procède.

Le Compact prend fin le 30 juin 2022, quels sont les challenges que vous devrez relever pour réussir la mise en œuvre de l’ensemble des projets dans le délai fixé ?

La question de la fin du Compact préoccupe tous les acteurs. Elle préoccupe toutes les parties prenantes et tout d’abord l’Agence MCA-Morocco et les responsables de l’Agence, mais aussi le gouvernement. Il a été question de discuter de ce point particulier lors de la dernière réunion du Conseil d’orientation stratégique et nous faisons tout, bien entendu, pour réussir au 30 juin 2022. Cela ne veut pas dire que c’est facile. Nous avons une planification, un «Project Management Office». Chaque projet est planifié dans les détails avec un système de suivi et de vigilance, avec l’appui des parties prenantes et aussi celui de MCC et ses experts. On essaye aussi de saisir et d’apprendre des leçons du MCC de par le monde. Or je dois dire que le plus difficile est derrière nous. Le plus difficile c’était le design, la conception et les ajustements à apporter. Mais aujourd’hui, le curseur se déplace sur le terrain. Contrôler et superviser des entreprises qui travaillent sur le terrain, c’est beaucoup plus facile que de coordonner est d’assurer la synergie nécessaire pour préparer le contenu d’une réforme. Les réformes, naturellement, elles avancent plus lentement, parce qu’elles exigent un degré de coordination et d’arbitrage très élevé. Mais nous sommes conscients de toutes ces difficultés. Notre ambition aujourd’hui est une ambition réaliste. La qualité des ressources et les expertises mobilisées par MCA conditionnent la réussite à terme de ce Compact.

Mais, rassurez-vous, le respect du délai imparti est quelque chose pour laquelle nous œuvrons tous. C’est une course constante qui a commencé dès le départ, mais qui continue. Bien entendu, au fur et à mesure qu’on avance vers le 30 juin 2022, il y a plus de pression, plus d’attente et nous ne cessons pas d’ajuster nos objectifs et notre façon de faire et de renforcer notre coordination et la collaboration avec l’ensemble des parties pour réussir ce chantier.

Le gouvernement ambitionne de pérenniser les modèles novateurs qui auront été développés et expérimentés durant le Compact II après sa clôture, quels sont d’après vous les leviers de cette pérennisation ?

Cette question de la pérennisation est au cœur du programme et elle est pensée dès le départ. Les projets sont des projets du gouvernement, proposés par lui et dans lesquels il est fortement impliqué. Il n’y a rien qui se fait par l’Agence seule. Tout ce que nous réalisons, nous le faisons avec les ministères concernés et les parties prenantes, avec des équipes dédiées. Il y a donc un transfert de savoir-faire et de modalités de mise en œuvre pour chacun des projets.

Nous avons de nouveaux modèles. Le projet d’établissement intégré, c’est un nouveau modèle, le centre professionnel dans le cadre du partenariat public-privé, c’est un nouveau modèle, les zones industrielles dans le cadre du partenariat public-privé, c’est un autre nouveau modèle. L’opération de «mélkisation» se fait également selon une nouvelle approche. Donc, s’agissant de tous ces chantiers, la pérennisation est déjà en marche. Par exemple, le gouvernement n’aura pas besoin d’un autre Compact pour mener d’autres chantiers de «mélkisation», car il s’en est déjà approprié les démarches.

Pour la formation professionnelle, nous travaillons sur un nouveau modèle de partenariat public-privé. Un manuel a été élaboré avec le département ministériel, pour le choix des projets aussi. De même, il y a une réforme qui pérennise et qui consacre toutes ces approches-là. Cette réforme est menée par le ministère avec l’appui de MCA. Pour les zones industrielles également, nous avons des sites pilotes au cœur desquels la gouvernance occupe une place fondamentale. La gestion des zones aussi occupe une place fondamentale. Nous pilotons ce chantier avec le ministère en charge de l’Industrie, mais nous l’avons également appuyé en matière d’élaboration d’une nouvelle loi sur les zones industrielles qui consacre ces principes de gestion des zones, de respect des normes environnementales, des normes sociales… Il y a donc une dimension réforme qui pérennise, qui rend durable et soutient tous ces nouveaux modèles, ainsi que la valeur ajoutée apportée par ces modèles. Je dirais donc que la pérennisation est en marche, qu’elle est pensée en amont, en cours de réalisation, et qu’elle est appuyée par des réformes. Il y a également un autre aspect : l’évaluation. Le système de suivi et d’évaluation fait partie du Compact. Pour chaque projet, il y a une évaluation en amont, un suivi, des évaluations au cours de la mise en œuvre et des évaluations postérieures. 

Entretien réalisé par Brahim Mokhliss

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