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RSE : Quelles voies pour assurer la pérennité ?

Opérant dans un environnement complexe et incertain, les entreprises doivent veiller à l’équilibre entre les dimensions économique, sociale et environnementale afin de s’inscrire dans une logique de développement durable et pérenniser leurs activités. La prise de conscience des préoccupations sociales et environnementales demeure essentielle pour leur avenir. Mais qu’en est-il des entreprises marocaines ? Quelle place la RSE occupe-t-elle dans leurs stratégies ? Quels moyens pour institutionnaliser cette démarche ?

RSE : Quelles voies pour assurer la pérennité ?
Ph. Shutterstoc

La responsabilité sociale des entreprises (RSE) est une démarche consistant à créer de la valeur partagée avec la communauté de manière équitable, dans le respect des ressources de la planète. L’idée étant d’intégrer les préoccupations sociales, environnementales et économiques dans leurs activités et dans leurs interactions avec leurs parties prenantes sur une base volontaire. Il s’agit non seulement de sensibiliser les entreprises de leur responsabilité vis-à-vis des effets qu’elles exercent sur la société et l’environnement, mais aussi d’attirer leur attention sur les risques endogènes et exogènes menaçant leur développement. En maîtrisant l’ensemble de ces aspects, les entreprises sont outillées pour anticiper les aléas et, ainsi, les gérer de façon efficace.
Ces paramètres sont, d’ailleurs, définis par la norme internationale 
ISO 26.000, qui identifie sept lignes directrices à placer au cœur de la gouvernance de l’organisation: les droits de l’Homme, les relations et conditions de travail, l’environnement, la loyauté des pratiques, les questions relatives aux consommateurs, les communautés et le développement local. Toutes ces composantes qui constituent des opportunités peuvent également présenter des risques pour leur survie.

La RSE, parent pauvre des pratiques en entreprise
Au Maroc, bien que les entreprises soient de plus en plus sensibles à ces enjeux, la mise en place d’une vraie politique RSE reste limitée aux grandes entreprises et filiales des multinationales opérant dans le Royaume. «Les entreprises marocaines réalisent quelques progrès en matière de RSE, mais restent encore à la traîne. En effet, notre étude empirique menée auprès de 230 entreprises marocaines (dont les PME) fait ressortir qu’en dehors des filiales de multinationales ou de quelques entreprises contraintes de se mettre à niveau pour travailler à l’export, très peu d’entreprises ont véritablement une politique RSE formalisée et imbriquée à leur business model», affirme Adil Cherkaoui, qui vient de publier son deuxième ouvrage portant sur «La Responsabilité sociétale des entreprises Au Maroc : Facteurs déterminants, analyses perceptuelles et typologies comportementales» chez les éditions L’Harmattan.
Pour le professeur universitaire à la Faculté des sciences juridiques, économiques et sociales – Aïn Chock de l’Université Hassan II de Casablanca, le principal défi de la RSE dans le contexte marocain est de fonder une telle responsabilité sur la légalité. Entre engagement volontaire et contrainte du contexte d’affaires, la diffusion de la RSE dans les entreprises, quelle que soit leur taille, manque de dynamisme et de soutien. En effet, les déclarations des entreprises au sujet de leurs pratiques RSE montrent que la conformité aux lois n’est pas encore un acquis.

Une responsabilité à tous les niveaux
«L’institutionnalisation de la RSE demeure indispensable. Elle consisterait à intégrer la dimension sociétale au niveau des stratégies sectorielles et programmes gouvernementaux de développement socioéconomique du pays. Et notamment par la mise en œuvre de la stratégie nationale du développement durable. Dans ce sens, les entreprises, les administrations et les établissements publics doivent donner de l’exemple en la matière afin d’instaurer des leviers d’actions en faveur des PME, représentant environ 95% de notre tissu économique», souligne Adil Cherkaoui. L’adoption des pratiques RSE au Maroc est tributaire d’une conjugaison des déterminants à la fois contextuels, organisationnels et individuels. C’est l’affaire de tout un chacun, à commencer par le top management, qui doit veiller à l’adhésion et l’engagement du capital humain de l’entreprise. Pour ce faire, la mise en place d’une politique RSE doit être le fruit d’une co-construction avec les collaborateurs. Elle doit également intégrer l’ensemble des parties prenantes (associations, ONG, syndicats, clients, fournisseurs…). Ainsi, en développant des relations win-win avec les différents partenaires, l’entreprise reste à l’écoute de son environnement et s’inscrit dans une dynamique d’amélioration continue à même de lui permettre d’évoluer dans un climat serein et de pérenniser son développement.

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Entretien avec Adil Cherkaoui, professeur universitaire à la FSJES – Aïn Chock, consultant en RSE et membre permanent du Laboratoire de recherche GECIAS

«La RSE est une véritable opportunité pour améliorer la gouvernance de l’entreprise, renforcer son engagement sociétal et limiter ses impacts sociaux et environnementaux»

Management & Carrière : Quel état des lieux de la responsabilité sociétale des entreprises au Maroc ?
Adil Cherkaoui :
À l’heure actuelle, le creusement des inégalités et la multiplication des crises sociales, sociétales et environnementales frappant la société marocaine interpellent, fortement, les entreprises sur leurs responsabilités (voire leurs redevabilités). Désormais, le rôle attendu de l’entreprise n’est plus à coloration exclusivement économique. De plus en plus, l’entrepreneur marocain se voit récuser sur ses engagements sociaux, sociétaux, environnementaux et de gouvernance par la communauté à l’ère des réseaux sociaux. Au Maroc, les entreprises réalisent quelques progrès en matière de RSE, mais restent encore à la traîne. En effet, notre étude empirique menée auprès de 230 entreprises marocaines (dont les PME) fait ressortir qu’en dehors des filiales de multinationales ou de quelques entreprises contraintes de se mettre à niveau pour travailler à l’export, très peu d’entreprises ont véritablement une politique RSE formalisée et imbriquée à leur business model. 
Dès lors, l’engagement RSE des entreprises marocaines n’est plus à appréhender dans sa forme philanthropique et/ou solidaire. Les actions d’œuvres sociales et environnementales déployées au cœur du business – et parfois non matérielles au business – ne sont pas parvenues à produire un impact social et sociétal durable.
Enfin, entre engagement volontaire et contrainte du contexte d’affaires, la diffusion de la RSE au Maroc manque de dynamisme et de soutien. Considérée souvent comme un argument commercial et de réputation, la RSE gagnerait à être intégrée dans la stratégie et le business model des entreprises.

Quels apports de la RSE sur le développement des entreprises ?
Tout d’abord, rappelons que la RSE représente une dynamique d’amélioration continue qui amène l’entreprise à se remettre en cause en se posant les bonnes questions. Elle l’a fait progresser sans cesse en l’amenant à réduire ses externalités négatives et accroître celles positives. En effet, plusieurs études ont montré empiriquement que les entreprises, qui mettent en œuvre des stratégies de durabilité (sustainability) matérielles au business et directement liées à celui-ci, sont susceptibles de s’inscrire plus efficacement et plus longtemps dans un processus de création de valeur sociétale et de performance durable. Il s’agit de créer de la valeur économique d’une manière qui profite aussi à la société, en répondant à ses besoins et ses défis. Dans ce sens, les travaux de Porter et Kramer (2006 et 2011) confirment la relation tant attendue entre l’engagement RSE et la compétitivité durable des entreprises. Par conséquent, la RSE est une véritable opportunité d’améliorer la gouvernance de l’entreprise, de renforcer son engagement sociétal et de limiter ses impacts sociaux et environnementaux. 
Dans le même ordre d’idées, le mouvement récent de boycott atypique contre des marques de grande consommation au Maroc interpelle les entreprises sur l’apparition d’un nouveau risque inhérent à la RSE, qui désormais doit être pris au sérieux. Dès lors, la RSE constitue un nouveau dispositif de prévention et de gestion des risques environnementaux, sociaux, sociétaux et de gouvernance (ESG).

Quel rôle des différents acteurs pour le développement de la RSE ?
Dans un premier temps, il faut préciser que la RSE n’est pas une simple démarche, il s’agit d’un état d’esprit, voire d’une culture organisationnelle. C’est l’affaire de tout un chacun puisque la RSE n’est nullement l’apanage des seules entreprises. À ce niveau, il faut saluer les efforts entrepris par le secteur privé, notamment la CGEM à travers sa commission chargée de la gestion du label RSE ayant impulsé, depuis 2006, une véritable dynamique autour des valeurs et pratiques de la RSE au Maroc. En revanche, d’autres défis sont encore à relever, visant la génération d’un impact durable des pratiques RSE sur la société et l’environnement. 
Ceci dit et au-delà des initiatives du secteur privé, l’institutionnalisation de la RSE demeure indispensable. Elle consisterait à intégrer la dimension sociétale au niveau des stratégies sectorielles et programmes gouvernementaux de développement socioéconomique du pays. Et notamment par la mise en œuvre de la stratégie nationale du développement durable. Dans ce sens, les entreprises, les administrations et les établissements publics doivent donner de l’exemple en la matière afin d’instaurer des leviers d’actions en faveur des petites et moyennes entreprises (PME) marocaines, représentant environ 95% de notre tissu économique. Enfin, la société civile, les ONG et le monde académique doivent aussi jouer leurs rôles grâce à la sensibilisation, la formation, la recherche scientifique et le plaidoyer pour le développement de la RSE au Maroc.

Quelles sont les pratiques afférentes à la démarche RSE en entreprise ?
Il faut garder à l’esprit que la RSE est une démarche holistique, transversale et multidisciplinaire. Le déploiement d’une telle démarche nécessite l’intégration de principes de développement durable à chaque fonction de l’organisation et couvre l’ensemble de ses aspects, du stratégique à l’opérationnel.
La RSE intègre plusieurs domaines d’actions à savoir : le respect des droits humains en entreprise, les relations professionnelles et l’amélioration des conditions de travail, la protection de l’environnement, la prévention de la corruption, le respect des principes de la saine concurrence, la bonne gouvernance de l’entreprise, la prise en compte des intérêts des consommateurs et la protection de leurs droits, la promotion de ses valeurs auprès des fournisseurs et sous-traitants et l’engagement sociétal envers la communauté et les riverains, en conformité avec les principes universels de la RSE (tels qu’ils sont développés dans les référentiels normatifs internationaux : ISO 26000, GRI…) et en respectant la législation nationale en vigueur.

Comment faire adhérer les collaborateurs pour une appropriation des démarches RSE ?
Nos études empiriques font ressortir que le volet social de la RSE demeure le parent pauvre des pratiques déployées par nos entreprises marocaines. En effet, les collaborateurs constituent l’une de leurs principales parties prenantes qui sont à la source de leur pérennité et compétitivité. De là, la réussite d’une quelconque appropriation des démarches RSE sera conditionnée par l’adhésion et l’engagement du capital humain. Pour cela, l’entreprise s’attachant aux valeurs de la RSE devrait au préalable mettre en place des politiques RH socialement responsables, c’est-à-dire inclusives. Cela consiste à promouvoir l’égalité des chances entre les collaborateurs et de lutter contre toute forme de discrimination en favorisant la «méritocratie» en entreprise. L’adhésion des salariés sera aussi tributaire de leurs consultation et participation à la réflexion et le déploiement des politiques RSE menées.
Des actions de communication interne, des ateliers de sensibilisation et des programmes d’engagement sont à prévoir. La démarche RSE escomptée devrait être bien comprise par les collaborateurs et portée par toutes et tous, aussi bien dans la stratégie que le travail quotidien. Entretien réalisé par M.S.

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