Conseil : À partir de quel moment peut-on parler d’une souffrance professionnelle ?
Quelles sont les astuces que vous recommandez pour y faire face ?
Tout d’abord, il faut comprendre le plus objectivement possible ce qui se passe, nommer clairement ce que l’on vit ou que l’on subit, lister des faits indiscutables en prenant garde à ne pas les confondre avec les ressentis. Si l’on est en stress, il faut en localiser la source ; si l’on est en conflit, il faut prendre le temps d’analyser comment on est arrivé là. Ensuite, il est nécessaire d’évaluer si ce que l’on vit professionnellement est encore acceptable au regard des contraintes et des souffrances que l’on ressent. Après cela, on doit identifier comment l’on peut introduire du mieux-être dans le quotidien : éviter la personne avec qui l’on a de mauvaises relations, ne pas en rajouter dans les tensions, savoir s’accorder de petits plaisirs quotidiens, aller prendre un café avec des amis, sortir du lieu de travail pendant la pause déjeuner, se relaxer au moins une ou deux minutes chaque heure à son poste de travail, etc. Et surtout, il ne faut pas s’isoler, se replier sur soi mais au contraire parler de ce que l’on vit. Pratiquer un sport, des activités collectives est également important pour rester connecté dans la vraie vie !Vous avez souligné l’importance de parler de ce que l’on vit. Faut-il en discuter avec son N+1 ?
Il est délicat de répondre de manière définitive à cette question, car cela dépend tout à fait de la taille de l’entreprise, de son activité, du climat social qui y règne, de la culture managériale. Cela dépend aussi de l’origine de la souffrance. Si c’est dû au harcèlement du N+1, on sait déjà que la réponse est non ! Si c’est un conflit avec un collègue, l’initiative peut être efficace, comme elle peut aggraver la situation. Si c’est lié aux conditions de travail, le manager peut se trouver en porte à faux et ne pas «entendre» ce que vous ressentez. En tous les cas, lorsque vous évoquez votre situation, évitez les affirmations définitives, du type «c’est à cause de X ou Y que je vais mal», «depuis que je travaille avec Z, rien ne va plus». Les accusations maladroites et les revendications agressives sont à bannir. Préparez l’entretien, soyez posé, et sachez distinguer le factuel et le ressenti, donc veillez au vocabulaire que vous allez employer. Et si vous sentez que vous n’êtes pas vraiment écouté, n’insistez pas, ne vous mettez pas en colère. Cela ne servira à rien, et pourra même se retourner contre vous ! Éventuellement, avec les mêmes réserves, vous pourrez solliciter votre N+2, mais encore une fois, pesez bien le pour et le contre, car le remède peut être pire que le mal !En cas de grande souffrance, sans solutions apparente, est-il préférable pour le salarié de quitter son entreprise ?
C’est une décision difficile à prendre, et on peut imaginer une évolution plus graduelle. Il faut consulter le médecin du travail et éventuellement, si on est dans une grande entreprise, échanger avec un représentant du personnel. Il est aussi possible d’en parler au médecin généraliste et de se faire prescrire un congé avec éventuellement des anxiolytiques si la souffrance est trop importante. Enfin, il faut aussi préparer son départ, car on sait que parfois le temps de chômage peut être long, et qu’à la souffrance au travail peut succéder la souffrance de ne pas retrouver un travail. Quelques entretiens avec un professionnel de l’accompagnement ou un thérapeute peuvent aider à réussir cette transition sans trop de dégâts. Mais clairement, il faut agir avant la dépression et le burn-out, car lorsque l’on est tombé au fond du puits, il faut beaucoup de temps pour remonter à la surface.Propos recueillis par Nabila Bakkass