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Archétypes du féminin

Les passages concernant des femmes dans le texte coranique sont nombreux et la Sourate 19 porte le nom de Marie (Maryem), qui en est l’une des figures les plus emblématiques. Il serait du plus grand intérêt de prendre en compte l’ensemble de ces récits pour appréhender les valeurs qui sont attachées à la représentation du féminin, dans toute sa complexité, mais aussi sa grandeur qui sera magnifiée par leur interprétation dans la culture soufie.

Archétypes du féminin

Par Faouzi Skali

Dans les différentes aires de la civilisation musulmane, il a souvent été question, et en particulier dans les époques les plus récentes, du statut des femmes au sein de celles-ci, et de quelle manière ce statut pourrait et devrait être revisité et revalorisé. Il s’agit là d’approches juridiques et socio-politiques d’une grande importance, et le Maroc a joué, on le sait, un rôle éminent en la matière.

La plupart des interprétations relativement récentes des textes scripturaires se font dans une telle optique, y compris d’ailleurs lorsque celles-ci émanent de lectures idéologiques qui s’opposent à l’évolution d’un tel statut, sans vouloir prendre en considération que la jurisprudence (al fiqh) n’a en principe d’autres vocations que d’adapter en permanence les principes fondamentaux de la loi religieuse aux circonstances des temps et des lieux.

Il est cependant assez rare que tout en maintenant cette dynamique de débat, qui de par sa nature même se renouvelle sans cesse sur le plan juridique, cette question soit également élargie à d’autres dimensions, en l’occurrence culturelles et spirituelles. Les représentations culturelles que l’on peut avoir des femmes et du féminin ont nécessairement un impact direct sur la façon dont celles-ci s’incarnent dans des valeurs sociétales.

En l’occurrence, il est assez rare de trouver des études sur le symbolisme ou les archétypes du féminin dans les textes scripturaires et plus généralement dans la pensée et la littérature musulmanes. Des travaux et essais remarquables ont été produits par Mme Asma Lamrabet et précédemment par la regrettée Mme Anne-Marie Schimmel, et je voudrais ici leur rendre hommage.

Cette approche peut s’exprimer d’une façon multiple et en l’occurrence par une méditation – étude sur les figures du féminin dans le texte coranique et en l’occurrence les interprétations qui en ont été données par la littérature et la poésie soufies à travers les âges, jusqu’à aujourd’hui. Les passages concernant des femmes dans le texte coranique sont nombreux et la Sourate 19 porte le nom de Marie (Maryem), qui en est l’une des figures les plus emblématiques. 

D’autres figures comme la reine de Saba (dont certaines traditions nous rapportent son nom,  Belqis), la femme d’Al Azîz (appelée aussi dans ces mêmes traditions Zulaykha), Sâra la femme d’Abraham, Hâjar sa concubine, la mère et la sœur de Moïse ou encore Assia, l’une des quatre femmes parfaites selon le Prophète (PLS), qui était épouse du Pharaon, la fille de Shu’ayb (identifié dans la Bible à Jéthro)  qui deviendra l’épouse de Moïse, les femmes des Prophètes Noé et Loth... et d’autres épisodes concernant des femmes sans que celles-ci ne soient nommées. Il serait du plus grand intérêt de prendre en compte l’ensemble de ces récits pour appréhender les valeurs qui sont attachées à la représentation du féminin, dans toute sa complexité, mais aussi sa grandeur qui sera magnifiée par leur interprétation dans la culture soufie.

Cette représentation va s’enrichir des grandes figures féminines qui ont vécu auprès du Prophète (PLS), parmi ses épouses et compagnonnes, comme Umm Salâma, Nusayba Bint Ka’ab ou encore ar Rûmisâ’ Umm Salîm. Puis ensuite par une grande présence spirituelle des figures féminines à différentes époques de l’histoire, dont la plus emblématique est celle qui a été appelée par Louis Massignon la «Marie Madeleine de l’Islam», Rabi’a al Adawiya, grande poétesse mystique.

Outre ces premiers siècles dans le berceau oriental, l’expression féminine de la spiritualité apparaîtra avec force en Andalousie. C’est sans doute Ibn Arabî qui saura le mieux en expliciter toute la potentialité symbolique. La façon dont Ibn Arabî a déployé cette conception magnifiée du féminin, en l’occurrence dans son œuvre poétique «turjumân al ashâq» (L’interprète des désirs) est d’une grande conséquence sur le plan social. Elle transcende l’approche juridique pour évoquer chez une femme sa dimension personnelle et spirituelle.

Cette approche, liée à d’autre influences, a institué en Andalousie une culture et une littérature courtoises dont les valeurs se sont transmises ensuite, selon Denis de Rougemont, un spécialiste en la matière, à travers la poésie et les chants des trouvères et troubadours en Europe. Ce statut spirituel et non pas seulement juridique des femmes a un rôle majeur dans la transformation des perceptions des valeurs qui lui sont attachées. Il s’est non seulement propagé par les interprétations des textes fondateurs, mais aussi à travers l’art et la culture. Ibn Arabî rapporte dans ses rûh al quds et al durra al fâkhira les notices biographiques de quatre femmes qu’il considéraient parmi ses maîtres, dont Fâtima de Cordoue.

Plusieurs femmes ont entrepris depuis peu cette approche spirituelle dont l’enjeu n’est pas seulement social mais aussi, pour l’ensemble du monde musulman, civilisationnel. Après une approche sociale et juridique donnée en exemple comme un modèle de réussite, notre pays pourrait entamer ce vaste chantier de réinterprétation de nos représentations culturelles et spirituelles qui peuvent être fondatrices d’un nouveau modèle sociétal. Nous y reviendrons. 

 

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