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«Nos deux pays sont des puissances d’équilibre qui assument leur rôle avec fermeté et de façon maîtrisée»

La France voit dans le Maroc un pays moderne et un pôle de stabilité dans un monde de plus en plus dangereux, a affirmé le général d’Armée François Lecointre, chef d’état-major des Armées françaises (CEMA) à l’occasion de sa visite au Royaume du 9 au 12 septembre 2020. Dans une interview exclusive accordée au «Matin», le haut responsable français est revenu sur la coopération militaire «équilibrée et de niveau élevé» avec le Maroc ainsi que sur ses objectifs. «J’ai évoqué une relance de la coopération opérationnelle pour l’adapter aux nouveaux enjeux et aux conflictualités modernes», a -t-il souligné. S’agissant de la situation au Sahel, M. Lecointre a rappelé que l’action de la France visait à réduire la menace des groupes armés terroristes, tout en insistant sur l’importance de la coopération entre États. «Le Maroc, qui connaît bien la sous-région, apporte une importante contribution, en particulier en matière de formation. Je suis venu au Maroc notamment pour développer la coordination et la complémentarité de nos efforts dans ce domaine».

Le Matin : Pouvez-vous nous situer le cadre de votre visite au Maroc ?
François Lecointre : Le Maroc et la France sont des partenaires stratégiques de longue date. Il existe une amitié solide et profonde entre nos deux pays. Elle vient des liens forts de l’histoire, des liens humains, culturels, linguistiques, économiques et bien 
sûr militaires. Aujourd’hui, la France voit dans le Maroc un pays moderne et un pôle de stabilité dans un monde de plus en plus dangereux. Nos deux pays sont des puissances d’équilibre qui assument leur rôle avec fermeté et de façon maîtrisée. Ma visite de quatre jours au Maroc s’inscrit dans ce cadre. Je remercie les autorités marocaines pour leur accueil 
exceptionnel.

Vous avez rencontré de hauts responsables civils et militaires marocains et vous avez abordé le renforcement de la coopération entre les armées des deux pays. Quelles sont les plus importantes facettes de la coopération militaire entre la France et le Maroc ?
La stabilité du Maroc et sa situation géostratégique en font un partenaire privilégié. Notre coopération vise à renforcer les capacités du Maroc. Ancienne, elle s’inscrit dans un accord intergouvernemental de coopération militaire. Elle est équilibrée et se situe déjà à un niveau élevé. Elle vise trois objectifs : la formation, l’amélioration capacitaire des Forces Armées Royales – c’est en particulier le cas dans le domaine naval, et dans une moindre mesure la préparation opérationnelle. Comme l’avait souhaité la ministre des Armées française lors de sa visite en février 2020, j’ai effectivement évoqué une relance de la coopération opérationnelle pour l’adapter aux nouveaux enjeux et aux conflictualités modernes. Aussi, nous nous engagerons dans un renforcement de notre coopération dans les nouveaux champs d’action.
Parmi les moments forts de votre déplacement figurent la visite de l’Académie Royale militaire et votre intervention devant les officiers du CREMS. Pourquoi le choix de ces deux institutions et quel message peut-on délivrer aux élèves officiers dans cette conjoncture ?
Les champs, domaines et espaces de la conflictualité évoluent significativement. L’histoire, contrairement à ce qui avait été cru un temps, n’est pas finie. Le droit international est ouvertement remis en cause. J’ai une certitude : dans un environnement qui devient toujours plus instable et où la violence se banalise, nos armées auront un rôle important à jouer. Dans ce cadre, la formation des futurs chefs militaires de très haut niveau est une nécessité évidente pour nos États. Il s’agit donc de les préparer, donner des clefs de lecture du monde dans lequel ils évoluent et leur rappeler les fondements de la singularité militaire. Nous agissons sur ordre de l’autorité de l’État, en prolongeant la volonté politique en ce qu’elle a de plus extrême, pour atteindre un objectif supérieur, ayant valeur de bien commun. C’est une éthique de responsabilité.

La France est engagée dans le Sahel pour renforcer la stabilité dans cette région et faire face aux menaces qui y sévissent. Quelles sont à votre avis les conditions pour mettre fin à cette instabilité et quel rôle peuvent jouer ensemble la France et le Maroc dans cette région ?
Vous l’avez dit, la France est engagée au Sahel pour renforcer la stabilité. Il ne peut y avoir de développement sans un minimum de sécurité. Au plan militaire, notre action vise à réduire la menace des groupes armés terroristes afin de la mettre à la portée des forces de sécurité des pays du Sahel. Depuis le sommet de Pau, une nouvelle dynamique a été donnée. Des résultats ont été atteints sur le terrain. Le nombre d’attaques terroristes a ainsi été considérablement réduit par rapport à l’an dernier. Mais il faut intensifier les efforts. Nous cherchons à faire venir davantage de pays européens à nos côtés. Le Maroc, qui connait bien la sous-région, apporte une importante contribution, en particulier en matière de formation. Je suis venu au Maroc notamment pour développer la coordination et la complémentarité de nos efforts dans ce domaine. C’est ce que j’ai proposé à mon homologue l’inspecteur général des Forces Armées Royales et aux ministres que j’ai rencontrés. Plus globalement, au Sahel, le but est de rendre les États capables d’assumer eux-mêmes davantage leur sécurité. Cela prendra du temps et le Maroc peut jouer un rôle important.

Lors de votre rencontre avec le général de corps d’armée IGFAR, l’accent a été mis sur la promotion de l’interopérabilité entre les Armées de deux pays. En quoi cette interopérabilité est importante et quelles doivent être ses manifestations ?
C’est exact et vous touchez du doigt une question qui est au cœur de notre relation militaire bilatérale. Deux forces sont considérées comme interopérables lorsqu’elles savent et qu’elles peuvent combattre ensemble, côte à côte, en toute confiance et avec la fluidité nécessaire à leur efficacité commune. Je crois qu’avec la très grande proximité qui lie les Forces Armées Royales et les Armées françaises, elles sont naturellement interopérables. Nous sommes, en effet, interopérables car de grandes similitudes existent entre les doctrines d’emploi de nos forces, notre organisation militaire, nos équipements, la formation de nos cadres et de nos soldats, ainsi que la préparation opérationnelle de nos unités interarmées. À titre d’exemple, nos marines disposent d’un type de bâtiment commun, les frégates multimissions (FREMM). Participant ensemble à des exercices, elles échangent aussi très régulièrement leurs retours d’expérience. Ce que j’ai par ailleurs vu au CREMS et à l’Académie Royale militaire, écoles modernes de formation des élites militaires marocaines, me conforte également dans cette appréciation de ce qui nous rapproche. Nous illustrons également notre interopérabilité sur les théâtres d’opérations, hier dans les Balkans ou en Somalie, aujourd’hui encore en République centrafricaine où nous contribuons ensemble à la mission des Nations unies.
L’interopérabilité s’entretient toutefois. Nous continuons donc à mener des exercices ensemble dans les trois dimensions et nous nous appuyons sur nos matériels communs pour renforcer cette interopérabilité. Les armées française et marocaine ont également à cœur de partager cette interopérabilité avec d’autres partenaires, tout particulièrement en Afrique subsaharienne. Nous continuerons donc à explorer les voies de renforcement de la complémentarité des actions de formation et préparation opérationnelle que nous prodiguons principalement en Afrique de l’Ouest.

Quelle évaluation faites-vous de la coordination entre les pays concernés de la sous-région et les différentes parties prenantes dans ce qui se passe dans cette région ? Est-il possible d’espérer vaincre définitivement le terrorisme ?
La crise au Sahel est complexe, globale et transnationale. Notre réponse commune ne peut donc qu’être globale et multilatérale. C’est le sens de la coalition pour le Sahel lancée au sommet de Pau par les pays du G5 Sahel et leurs partenaires internationaux. Elle vise à faire converger l’ensemble des initiatives existant ou naissant pour lutter contre le terrorisme, renforcer les capacités des forces de défense et de sécurité, redéployer les services de l’État et la gouvernance, faciliter les projets de développement. Elle fédère donc les énergies locales, nationales, régionales et internationales. L’action militaire visant à réduire les capacités des groupes terroristes est nécessaire mais pas suffisante. Il faut libérer les populations du joug de ces groupes et de leur violence en leur permettant de bénéficier de la protection de leurs forces de défense et de sécurité, d’avoir accès aux services publics fondamentaux et de bénéficier de perspectives de développement. C’est une tâche immense à laquelle beaucoup d’États se sont attelés avec les pays du G5. La France est résolument engagée dans cette coalition qui a moins d’un an. Cette démarche doit encore se consolider avec l’appui de toutes les bonnes volontés internationales car elle ouvre des perspectives pour les populations du Sahel pour qu’elles n’aient plus à souffrir de l’emprise de groupes ayant choisi l’action terroriste.

Propos recueillis par Abdelwahed Rmiche

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