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Foi et Raison

L’Islam, tout comme le Judaïsme et le Christianisme, va devoir se confronter à la question de la relation ente foi et raison par l’héritage de la pensée aristotélicienne et plus globalement de plusieurs courants au sein de la philosophie hellénistique qui se basent sur un usage méthodologique de la rationalité dans la recherche de la vérité.

Foi et Raison

Par Faouzi Skali

La question de la relation ente foi et raison a toujours été au cœur de toute religion et a déterminé à travers  les âges différentes théologies et spiritualités plus ou moins disposées à trouver une certaine forme d’harmonie ou au contraire d’exclusion entre ces deux termes. L’Islam, comme d’ailleurs le Judaïsme et le Christianisme,  va devoir se confronter à cette question par l’héritage de la pensée aristotélicienne et plus globalement de plusieurs courants au sein de la  philosophie hellénistique qui se basent sur un usage méthodologique de la rationalité dans la recherche de la vérité.

En Islam, cette question va surtout s’exprimer dans un premier temps par le mouvement des mu’atazilite (huitième siècle) qui vont développer une théodicée (une théologie qui s’interroge sur l’origine du mal et la question de la justice divine) basée sur l’usage de la raison. Ils vont connaître leurs heures de gloire à l’époque du Calife Abbasside al Ma’mun, avant de perdre leur influence,  sous l’effet d’une attitude devenue systématique et intolérante où la recherche rationnelle finit par se figer dans une idéologie rationalisante. Un autre mouvement toujours influencé  par la pensée grecque, mais plus indépendant des considérations théologiques sera celui des falâsifa (philosophes), comme al Kindî ou al Fârâbî.

Cette question de la relation de la vérité établie par la foi à celle de la recherche rationnelle est au cœur de l’œuvre et de la réflexion d’Ibn Rushd (Averroès) et l’objet aussi de discussions philosophiques célèbres de ce dernier avec deux grands mystiques, al Ghazâlî, à travers son œuvre, et Ibn Arabî, qu’il a rencontré. Ce dernier rapporte dans ses «al futûhât al makkiyya»  (Les illuminations mecquoises)  cette entrevue  à Cordoue, étonnante et pleine d’enseignements, alors qu’il était  encore jeune adolescent, avec Ibn Rushd qui avait déjà atteint la soixantaine.

Le but n’est pas ici tant d’appréhender ces aspects philosophiques qui demanderaient de longs développements, mais de souligner comment le Coran sollicite à la fois ces deux dimensions, de la foi et de la raison,  d’une manière complémentaire. Ce qui a parfois conduit certaines personnes à vouloir prouver, dans un mouvement de pensée «concordiste», la religion par la science ou inversement. Les excès de ce concordisme ont voilé pour un temps, pour certains penseurs, l’intérêt qu’il peut y avoir à lire ces versets coraniques avec la double lunette, et sans confusion ni amalgame, de la science et de la spiritualité.

Une question qui traverse toutes les religions et qui semble créer une sorte d’incompatibilité entre ces deux dimensions est celle de l’origine de l’homme et de son évolution. Citons ici des versets concernant l’origine de l’homme et plus généralement de la vie et de l’univers : Sourate 21, verset 30 : «Ceux qui ne croient point n’ont-ils pas vu que les cieux et la Terre étaient joints et que nous les avons séparés, et de l’eau nous avons fait toute chose vivante ? Ne croiront ils donc pas ?» Ce verset fait référence au fait qu’à l’origine l’univers constituait une seule masse qui s’est par la suite fragmentée et que ce processus a abouti à la production de l’eau qui est la source et le constituant de toute chose vivante.

La référence à cette masse gazeuse originelle est donnée également dans cet autre passage du Coran (41/11) : «Puis [Dieu] s’est établi vers le ciel alors qu’il était fumée et lui dit ainsi qu’à la terre venez de plein gré ou de force, ils dirent nous venons de plein gré !» L’origine aquatique du monde animal est mentionnée dans le passage suivant (Cor. 24/45) : «Et Dieu créa tout animal d’eau, certains se déplacent sur leur ventres, d’autres sur deux pieds et d’autres sur quatre, Dieu crée ce qu’Il veut, Il est Omnipotent».

Par ailleurs, un autre verset mentionne l’origine aquatique de l’homme (Cor. 25/54) : «C’est Lui qui a créé d’eau un humain et lui a attribué une parentèle [par les hommes] et une alliance [ par les femmes ]». Cette origine aquatique de l’humanité va bien sûr de pair et complète les nombreuses références que l’homme a été créé d’argile (Cor.15/28)) : «Et lorsque ton Seigneur dit aux Anges Je vais créer un humain d’une argile sèche, extraite d’une boue modelable» pour ajouter au verset suivant (29) : «Lorsque Je l’aurai formé et insufflé en lui de mon Esprit prosternez-vous devant lui !»

Par ces derniers versets nous parvenons à la mention des éléments essentiels de notre humanité : sa forme extérieure est constituée de matière, d’eau et d’argile,  et sa réalité intérieure par l’esprit divin qui est insufflé en lui et qui lui vaut que les Anges eux-mêmes, sur ordre divin, se prosternent devant lui. L’homme a donc une double origine, l’une animale et principalement aquatique et une source spirituelle et divine.

Quand nous mentionnons l’homme c’est une façon de parler, car à l’origine il s’agit d’une âme unique à la fois masculine et féminine, comme cela est attesté dans le verset suivant (4/1) : «Ô Humains craignez Dieu qui vous a créé d’une âme unique et dont Il a créé son épouse et a engendré des deux  de nombreux hommes et femmes...» Si donc d’un point de vue extérieur l’homme peut sembler avoir un certain cousinage avec certaines lignées du monde animal, du point de vue intérieur son origine véritable est le souffle et donc l’esprit divin qui en fonde la noblesse et en fait le représentant (khalifa) de Dieu sur terre. C’est en ce sens qu’un hadîth rapporte que «Le Miséricordieux a créé Adam à son image».

À un autre niveau un verset fait référence au fait que la filiation humaine s’accomplit selon un processus biologique précis (Cor. 53/45-46) : «C’est Lui (Dieu) qui a formé les deux éléments du couple, le masculin et le féminin, d’une goutte (de sperme) lorsqu’elle est répandue». Certains commentateurs contemporains font ici remarquer que la détermination des deux sexes, masculin et féminin, tient en effet son origine du seul système chromosomique XY du liquide spermatique. 

Un certain nombre de versets indiquent que l’homme (l’humain) a pu prendre depuis sa création des formes diverses à travers le temps (Cor. 82/7-8) : «C’est Lui (Dieu) qui t’a créé, formé harmonieusement et donné un équilibre. Il t’a composé en toute forme qu’Il a voulue». Ou encore en référence au fait que notre humanité a été créée selon des cycles différents (Cor. 71/13-14) : «Et Il (Dieu) vous a certainement formés par étapes (ou phases)». 

Deux autres versets mentionnent le fait que les généalogies humaines peuvent être issues de filières différentes (Cor. 76/28) : «Nous les avons créés et nous avons renforcé leur constitution. Quand Nous avons voulu Nous les avons remplacés complètement par des êtres qui leur ressemblent». Puis (Cor. 6/133) : «Ton Seigneur est Celui qui se suffit à Lui-même, Seigneur de Miséricorde, s’Il veut, Il vous supprime et fait que vous succède qui Il veut, comme Il vous a suscité de la descendance d’un autre peuple». Des versets qui suscitent notre médiation,  et un appel à mieux connaître et pénétrer les lois de l’univers, de la nature et de notre humanité par l’exercice  d’une raison tournée vers leurs finalités dernières. 

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