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L’âme comme archétype du féminin

Plusieurs versets du Coran font référence aux différentes représentations de l’âme humaine (an nafs) en fonction de son degré d’élévation spirituelle. Nous retrouvons dans la pensée soufie de nombreux traités qui classent ces étapes de l’âme comme autant d’états de conscience dans le chemin d’un accomplissement personnel. En l’occurrence les «fuyûdât ar rabbâniya» (Les effusions seigneuriales) du Shaykh Abd el qâdir al Jilânî (m. 1166) dont le mausolée se trouve à Baghdad et selon lequel il y a sept degrés de l’élévation de l’âme, dont le premier est celui de l’âme despotique (an nafs al ammâra).

L’âme comme archétype  du féminin

Parmi les mystiques musulmans, Ibn Arabî est sans doute celui qui a le plus magnifié l’archétype du féminin et reconnu l’élévation et les plus hautes réalisations spirituelles d’un grand nombre de femmes qu’il a rencontrées lors de ses nombreux voyages entre Occident (Andalousie, Maghreb et notamment Fès) et Orient. Pour mieux assoir sur un plan métaphysique la prééminence du symbolisme du féminin, il va faire valoir que si selon une tradition bien établie on considère que Ève est issue d’Adam, les deux sont issus d’une «âme unique», qui est une entité féminine. Comme cela est spécifié dans le verset suivant : «Ô Humains craignez Dieu qui vous a créé d’une âme unique et dont Il a créé son épouse et a engendré des deux de nombreux hommes et femmes...» (Cor. 4/1).
La grande orientaliste allemande Anne Marie Schimmel a publié quelques études remarquables et, très récemment, Eric Geoffroy, universitaire et spécialiste du soufisme, un livre très complet sur les représentations du féminin dans la pensée islamique. Et j’ai bien sûr déjà eu l’occasion de citer l’ouvrage remarquable du Docteur Asma Lamrabet sur «Le Coran et les femmes». Il y a là une matière très riche que nous ne pourrons pas développer ici. Mais il pourrait être intéressant de tenter l’esquisse d’une herméneutique (ta’wîl ou interprétation spirituelle des textes scripturaires) des figures du féminin à partir des différentes représentations de l’âme humaine (an nafs) dans le texte coranique.

Plusieurs versets font référence à ces différentes expressions de l’âme en fonction de son degré d’élévation spirituelle. Nous retrouvons dans la pensée soufie de nombreux traités qui classent ces étapes de l’âme comme autant d’états de conscience dans le chemin d’un accomplissement personnel. En l’occurrence les «fuyûdât ar rabbâniya» (Les effusions seigneuriales) du Shaykh Abd el qâdir al Jilânî (m. 1166), dont le mausolée se trouve à Baghdad et selon lequel il y a sept degrés de l’élévation de l’âme, dont le premier est celui de l’âme despotique (an nafs al ammâra) : «Je ne cherche pas à m’innocenter car c’est le propre de l’âme d’inciter (ammâra)  au mal, à moins qu’elle ne soit touchée par la grâce de Dieu...» (Cor. 12/53).
On peut préciser, même s’il a de fait une portée générale, que ce passage coranique se réfère aux circonstances troubles qui ont entouré l’accusation d’abus portée par la femme d’Al Azîz (selon les source bibliques,  Ra’il ou Putiphar) et ceci au moment même où elle regrettait cet acte et reconnaissait l’innocence de Joseph à cet égard. 

Il faut mentionner que dans certaines exégèses  Zulaykha, la femme de Putiphar, va après cette aventure devenir effectivement l’épouse  de Joseph. Ce qui va donner lieu à plusieurs récits et commentaires mystiques selon lesquels Zulaykha est le symbole de l’âme humaine qui, éprise de la Beauté divine, va entreprendre ce voyage vers la source divine, en traversant de nombreuses épreuves et étapes. «L’amour est comme un océan, dira la grand poète mystique Rûmî, sur lequel les cieux ne sont qu’écume ardente, comme Zulaykha dans son amour pour Yûsuf». Il faut mentionner que dans le Coran ainsi que dans la Bible (Le Cantique des Cantiques), la relation du Roi Salomon avec Belqis, reine de Saba, se prête à une interprétation symbolique et spirituelle similaire.
L’étape qui va suivre l’âme despotique est selon la terminologie coranique l’âme admonestatrice, ou l’âme qui se blâme (an nafs alawwâma) : «Non !... Je jure par l’âme qui admoneste» (Cor. 75/2). Le troisième degré de l’âme, décrit dans le Coran, est celui de l’âme inspirée (al nafs al mulhama) : «Par une âme ! – Comme Il l’a modelée en lui inspirant [ce qu’est] son libertinage et sa piété» (Cor.91/7). Il est remarquable que ce degré de conscience de l’âme inspirée est mis en relation dans le Coran de manière différente avec plusieurs figures féminines. C’est en l’occurrence le cas de Sâra (Sarah) qui a eu un échange avec des émissaires angéliques qui sont venus trouver Abraham et leur annoncer la naissance d’un fils, Ishâq (Isaac), malgré leur âge avancé (Cor. 11/69-73).
C’est celui aussi de la mère de Moïse (Yokheved dans la Bible) qui sous l’effet de cette inspiration (révélation selon le texte coranique) va mettre son enfant dans un coffret et abandonner son destin à la Providence divine : «Et Nous fîmes la révélation suivante à la mère de Moïse : “Allaite ton fils et si tu as peur pour lui dépose le dans le fleuve et n’éprouve ni crainte ni chagrin à son égard, car Nous allons te le rendre et en faire l’un de nos messagers”» (Cor. 28/7). Ou encore : «Et le cœur de la mère de Moïse devint vide. Et peu s’en fallut qu’elle n’en divulgue la raison, si Nous n’avions pas raffermi son cœur afin qu’elle soit parmi ceux qui [persistent] dans la foi» (Cor. 28/10).
Cette dernière mention du «raffermissement (rabatnâ) du cœur» annonce déjà le quatrième degré de l’âme qui est celui de l’apaisement ou de la paix intérieure, 

l’âme pacifiée (al nafs al mutm’inna). Le verset coranique qui en fait mention détermine également deux autres expressions de l’âme, agréante (râdiya) et agréée (mardiya) : «Ô toi ! âme apaisée ! retourne vers ton Seigneur agréante et agréée» (Cor. 59/27-28).
Dans le Coran, Marie traverse plusieurs de ces étapes pour parvenir à un accomplissement, telle qu’elle est décrite par le Prophète Muhammed (PLS), en résonance avec la révélation coranique, comme l’une des quatre femmes parfaites de l’univers : «Et quand les anges dirent : “Ô Marie ! Dieu t’a élue, t’a purifiée, Il t’a élue sur toutes les femmes de l’univers ! Ô Marie prosterne-toi pour L’adorer et incline toi avec ceux qui s’inclinent”» (Cor. 3/42-43). Marie a dû cependant passer par des étapes et de grandes épreuves : «Elle devient donc enceinte de l’enfant et se retira avec lui dans un lieu éloigné. Les douleurs la surprirent au tronc d’un palmier et elle dit : «Malheur à moi ! Que ne sois déjà morte et oubliée d’un grand oubli !» (Cor. 19/22-23). Avant que la réponse ne lui parvienne sous la forme d’un miracle exprimant toute la Miséricorde de Dieu à son égard : «Il (l’enfant) l’appela de dessous d’elle : “Ne t’attriste pas ! Ton Seigneur à fait jaillir un ruisseau à tes pieds. Secoue vers toi le tronc du palmier, il fera tomber sur toi des dattes fraîches et mûres. Mange, bois et rafraichis tes yeux !”...» (Cor. 19/24-26). Selon cette terminologie des sept degrés mentionnée plus haut, Marie symbolise l’âme apaisée, agréante, agréée et finalement accomplie.  (an nafs al kâmila). 

PAR Faouzi Skali

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