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L’inéluctable reparamétrage des relations Maroc-UE

C’est comme dans un couple. Pour durer, une relation a toujours besoin de réinvention. La crise sanitaire que traverse le monde actuellement ravive l’orientation du Vieux Continent vers un eurocentrisme économique et commercial. Le cadre juridique régissant les relations Maroc-UE est appelé à évoluer, à l’aune des nouvelles donnes géopolitiques et économiques. Après un quart de siècle, il était d’ailleurs devenu obsolète !

L’inéluctable reparamétrage des relations Maroc-UE
Les experts sont unanimes à l’idée que le cadre institutionnel des relations Maroc-UE est vieillissant et nécessite une refonte.

C’est une certitude dans un contexte mondial «contaminé» d’incertitudes. Les relations internationales ne seront plus les mêmes en post-crise sanitaire. C’est un postulat, désormais soutenu par des milliers d’experts dans le monde et qui puise son sens et son essence dans des transformations empiriques, vécues et appréhendées pendant la crise sanitaire. Dans ce scénario inéluctable, le Maroc de l’après-crise est appelé à revoir de fond en comble le socle même de ses relations économiques et commerciales avec l’Union européenne (UE). Et c’est d’autant plus vrai quand ce sont des experts et des ex-diplomates qui le recommandent.
Pour l’ex-secrétaire général de l’Union pour la Méditerranée, Fathallah Sijilmassi, le Royaume et l’UE sont appelés aujourd’hui plus que jamais à réinventer leurs relations et se projeter sur l’avenir commun qui correspond mieux à leurs ambitions respectives. Pour l’ex-diplomate, qui s’exprimait lors d’un webinaire organisé le 19 mai par l’Université Euromed de Fès, le reparamétrage des relations devra passer par une révision du cadre juridique les régissant. «C’est un cadre qui remonte à 1996, c’est-à-dire il y a 24 ans. Or ni le Maroc, ni l’UE, ni la Méditerranée, encore moins l’Afrique, ni même le monde ne sont les mêmes en 2020. Le besoin d’actualiser le logiciel de la relation Maroc-UE est donc bien là. Et c’est précisément ce qu’avait relevé le dernier Conseil d’association Maroc-UE qui a eu lieu à Bruxelles en juin 2019»,  détaille Sijilmassi. Ce dernier rappelle que l’UE est pour le Maroc le premier partenaire économique, avec 66% de ses exportations, 55% de ses importations, 71% de ses investissements directs étrangers (IDE) et 74% de ses recettes touristiques. Pour l’UE, le Royaume est le 25e partenaire commercial. D’où un déficit grandissant pour le Maroc qui doit agir dans le sens d’une montée en puissance sur le marché communautaire.
Ghita Lahlou, vice-présidente de la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM), elle, conçoit ce changement inévitable dans les rapports du Maroc à l’UE sous le prisme de plusieurs facteurs déterminants. D’abord, la structure démographique du Royaume (une population majoritairement jeune) qui pourrait constituer un atout indéniable à mettre à profit vis-à-vis d’une communauté européenne vieillissante. Mais attention ! avertit Lahlou, la donne démographique actuelle n’est pas éternelle. La vice-présidente de la CGEM jure, en outre, que ce même facteur comporte en lui-même un risque : la migration des compétences marocaines vers l’Europe. Ce qui corroderait, selon elle, les capacités de compétitivité du pays. Autre facteur, la transformation digitale, en pleine expansion en Europe. Cet élan de digitalisation crée ainsi des opportunités en or pour les entreprises technologiques du Royaume. Lahlou conclut, enfin, que dans le mouvement de relocalisation des industries vitales qui ressurgit dans le Vieux Continent, le Maroc est appelé à se repositionner en procédant à un portage institutionnel très fort.

Éviter le divorce 
La relocalisation. Voilà qui fait tiquer le directeur du cabinet du ministre de l’Industrie, Ryad Mezzour. «Il faut absolument éviter le divorce entre le Maroc et l’UE. Nous constatons aujourd’hui, pendant cette crise sanitaire, une remontée en surface du populisme revendiquant une souveraineté beaucoup plus prononcée de l’Europe, assorti d’un mouvement de relocalisation industrielle. Le Maroc doit être exclu de cette tendance de relocalisation puisqu’il constitue un partenaire fiable, sérieux et proche de l’UE. Car si ces mécanismes de relocalisation en préparation en Europe intègrent le Maroc, ce serait une énorme erreur, le Royaume étant un véritable relai de compétitivité de l’UE», développe Mezzour. Ce dernier rejoint, par ailleurs, Sijilmassi sur l’idée d’une mise à jour urgente du «logiciel» des relations Maroc-UE, à l’aune des changements profonds en gestation. 
Michaela Dodini, chef de la section commerciale de la délégation de l’UE à Rabat, confirme ces nouvelles orientations, qui germent en Europe. Pour la diplomate, ces grandes orientations, essentiellement «euro-centriques», s’incarnent à travers la nouvelle politique commerciale de l’UE, laquelle coule dorénavant vers un seul objectif : la régulation de la mondialisation. «Ce mouvement de régulation se matérialisera par un durcissement du système normatif régissant les importations. D’où l’intérêt pour le Maroc de faire converger son dispositif de normes avec celui de l’UE», analyse Dodini.

Industrialisons le Maroc !
La responsable européenne estime, en outre, que la crise sanitaire accélère le débat sur la souveraineté économique de l’UE. Une souveraineté qui devra se décliner à travers une diversification très accentuée des partenaires extérieurs et un soutien à l’émergence de champions européens. Loin du langage diplomatique, plus souvent prudent dans ses articulations, Abdelmalek Alaoui, président de l’Institut marocain d’intelligence stratégique, opte pour un «verbe» beaucoup plus direct. Le jeune expert estime que l’UE doit sortir de son ambivalence dans ses rapports avec le Maroc. Son explication : c’est contreproductif pour les deux parties. Contrairement à Mezzour, du ministère de l’Industrie, qui alerte sur les risques d’un divorce entre le Maroc et l’UE, Alaoui appelle carrément à la séparation. «Il faut qu’on aille vers ce divorce afin que l’UE prenne conscience de l’importance du Maroc comme partenaire. Le Vieux Continent doit aujourd’hui partager une partie de sa richesse avec l’Afrique pour stopper des phénomènes comme l’immigration clandestine», résume Alaoui. Mostapha Bousmina, président de l’Université Euromed de Fès, lui, appréhende la question de la «souveraineté» sous un angle différent. L’universitaire est convaincu de l’idée de consolider le socle des relations entre les deux parties, mais appelle tout de même à bétonner l’industrialisation du Maroc. Seul manière, selon lui, d’assurer la souveraineté économique du Royaume face à une remontée du populisme en Europe. Un phénomène, poursuit Bousmina, qui pourrait accélérer le mouvement des relocalisations et partant peser sur l’économie du Maroc.

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Ils ont dit…

Fathallah Sijilmassi, ancien ambassadeur et modérateur  du webinaire 
«Les relations entre le Maroc et l’Union européenne (UE) sont anciennes, riches et denses. Pour le Maroc, l’UE c’est le premier partenaire économique avec 66% de ses exportations, 55% de ses importations, 71% de ses IDE, 74% de ses recettes touristiques et 70% des transferts des MRE. Pour l’UE, le Maroc est le 25e partenaire commercial avec un peu moins de 1%. Il y a globalement une montée en puissance des relations économiques entre les deux parties, mais celles-ci demeurent marquées par un déficit commercial grandissant et par un flux d’IDE qui reste modeste. Je pense que les relations maroco-européennes sont appelées aujourd’hui à se réinventer et se projeter sur un avenir commun qui correspond mieux à leurs ambitions respectives. Il s’agira aussi de créer un espace commun de co-production qui serait pionnier et structurant dans le cadre de l’axe Europe-Méditerranée-Afrique.»

Anna Barone, représentante de la Banque européenne d’investissement au Maroc
«Le Maroc est un pays prioritaire pour la BEI et notre relation date de 40 ans. Il est le deuxième pays bénéficiaire de nos investissements après l’Égypte. Nous avons financé environ 55 projets pour un montant global de 7,8 milliards d’euros dont 300 millions en 2019. Face à la crise, nous avons apporté une réponse immédiate en mobilisant toutes les lignes de crédits existantes afin d’apporter les fonds de roulement et liquidités nécessaires aux entreprises pour poursuivre leur activité. Nous avons aussi effectué des investissements dans le secteur sanitaire à travers l’acquisition du matériel médical, mais aussi pour le renforcement des infrastructures sanitaires. Nous allons maintenir cette mobilisation pour accompagner le Maroc dans sa sortie de crise. Nous avons identifié trois axes d’intervention : le soutien au secteur privé pour augmenter la résilience des TPME, le renforcement du capital humain afin de créer un environnement économique inclusif et la promotion de l’économie verte.»

Michaela Dodini, chef de la section commerciale de la délégation de l’UEau Maroc
«La pandémie a accéléré le débat sur la souveraineté économique. Nous avons remarqué la montée de deux discours, d’un côté il y a ceux qui dénoncent les excès de la globalisation et, de l’autre, nous avons ceux qui disent, comme nous, qu’il est impossible de rapatrier en Europe toute la production délocalisée. Il serait judicieux de diversifier les sources d’approvisionnement pour ne pas dépendre d’une seule. Nous sommes pour une souveraineté économique, mais qu’elle soit ouverte. Les questions qui se posent aujourd’hui sont comment se positionne le Maroc dans cette dynamique, comment pourrait-il participer à cette souveraineté économique européenne mais aussi en faire partie intégrante ? J’estime que le Maroc a un grand rôle à jouer notamment en période post-Covid-19. Parmi les chantiers sur lesquels nous devrions travailler ensemble en cette période, il y a l’investissement, la convergence réglementaire et l’économie digitale et verte.»

Ryad Mezzour, directeur du cabinet du ministre de l’Industrie, du commerce  et de l’économie numérique et verte
«Malgré les petites crises qui surviennent de temps en temps, je peux dire que le partenariat entre le Maroc et l’UE demeure extrêmement solide à tous les niveaux, sécuritaire, économique et culturel. Actuellement, on observe une énième poussée de fièvre sur tout ce qui est souveraineté industrielle. Demander aux entreprises européennes installées au Maroc de revenir sur le sol européen serait une énorme erreur pour l’Europe, car le Maroc représente pour le Vieux Continent un vrai relais de compétitivité. Aujourd’hui, ce partenariat solide doit aussi être revu à travers un nouveau paradigme, notamment via une recherche de compétitivité partagée où l’UE jouerait pleinement son rôle dans le partage de l’innovation et du savoir-faire.»

Abdelmalek Alaoui, président de l’Institut marocain d’intelligence stratégique
«L’Europe doit partager une partie de ses richesses, sinon elle fera face à une vague de migration économique, climatique et technique sans précédent. Il faut aussi qu’elle partage une partie de son capital technologique et qu’elle laisse les entreprises, qui cherchent la compétitivité, notamment en termes de main d’œuvre, aller s’installer dans la rive sud de la Méditerranée. Nos partenaires européens n’ont pas aujourd’hui le choix et doivent s’ouvrir davantage sur leurs partenaires du Sud.»

Ghita Lahlou, vice-présidente de la CGEM
«La crise sanitaire a bouleversé le monde, générant un redimensionnement géopolitique qui impacte par conséquent le Maroc. C’est là où les liens solides avec l’UE interviennent, le Maroc devant se repositionner impérativement dans l’échiquier européen. L’innovation et la recherche sont fondamentales dans ce repositionnement. Le Maroc perd des milliers de professeurs-chercheurs qui préfèrent évoluer sous d’autres cieux. Nous devons reconstituer les liens entre les universités marocaines et européennes pour travailler de manière beaucoup plus importante et efficace.»

Mostapha Bousmina,  président de l’Université  Euromed de Fès
«Le Maroc joue un rôle très important et stratégique dans le cadre de relations triangulaires Europe-Maroc-Afrique. Notre pays dispose d’une véritable politique africaine clairvoyante. Cependant, je pense que l’Europe devrait traiter le Maroc à sa juste valeur, car notre pays représente pour le continent européen la proximité, la stabilité, la fiabilité, la compétitivité et surtout la sécurité en régulant les flux migratoires. Le politique doit faire son travail pour consolider les relations maroco-européennes et les inscrire dans cette vision globale d’intégration régionale.» Mohamed Amine Hafidi

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