Abdelmounaïm Madani, directeur général de l’Anapec
«L’université publique est le principal fournisseur du marché en compétences»
Le directeur général de l’Agence nationale de la promotion de l’emploi et des compétences (Anapec), Abdelmounaïm Madani, s’est positionné en tant que défenseur de l’enseignement supérieur public lors de la quatrième rencontre organisée par le Groupe le Matin au sujet du nouveau modèle de développement. «C’est l’université publique qui sert le marché économique en compétences et le reste vient en complément», affirme-t-il, tout en appelant à ce que l’éduction et la formation ne soient pas séparées. Selon lui, il faut bien former pour prévenir le cumul des stocks de chômage que le pays est contraint de gérer. «Nous avons des dizaines d’années de stock de chômage que nous trainons. Malheureusement, cela est dû à une grande difficulté et des dysfonctionnements liés au manque de cohérence et de convergence des politiques publiques. Il faut chercher la cohérence de l’action publique au niveau territorial. Il faut aussi préparer les jeunes qui prétendent au marché du travail», soutient-il. M. Madani a mis en avant le principe de la «redevabilité» par l’insertion économique, c’est-à-dire «le fait de mettre sur pied un dispositif d’éducation dont la légitimité est basée sur les droits de l’être humain. Sur le plan opérationnel, tout doit être agencé pour permettre à la société et tout un chacun de pouvoir contribuer à la société. Un commun où l’épanouissement se réalise par la participation à cette charge. Il faut envisager les choses qu’on a les moyens de réaliser», défend-il. Le directeur général de l’Anapec a appelé, dans ce sens, à prendre la situation des jeunes filles nées dans le rural qui n’ont pas la chance de suivre le même itinéraire d’intégration économique que celles nées à Casablanca, par exemple. «Il faut penser à cette équité territoriale et aux capacités nécessaires pour la réaliser. Il faut aussi que l’entreprise exprime son avis et puisse baser ses modalités de mobilisation des ressources humaines sur les vraies réalités du système éducatif. L’université fait de son mieux aujourd’hui grâce à son mode de gouvernance, mais toute seule, elle ne peut pas supporter tous les écarts que nous vivons», a-t-il déclaré. Par ailleurs, pour arriver à un meilleur nouveau modèle de développement, il considère qu’il faut capitaliser sur ce qu’on a de mieux et pointer du doigt ce qui ne marche pas. «Il faut aussi des mécanismes de reddition de comptes et écarter ce qui traîne par rapport à la convergence», a-t-il conclu.
Aziz Nahya, directeur de la coopération et de la promotion de l’enseignement scolaire au ministère de l’Éducation nationale
«On ne communique pas assez sur les différents chantiers du ministère»
Aziz Nahya, directeur de la coopération et de la promotion au ministère de l’Éducation nationale, a assuré que le département de l’Enseignement «ne fait pas de distinction entre le public et le privé». Il a affirmé que ce département fait de nombreuses réalisations, mais le problème consiste dans le manque de communication. «On ne communique pas assez sur les différents chantiers du ministère», explique-t-il. Il a saisi cette occasion pour défendre la vision stratégique de la réforme de l’enseignement 2015-2030. «Les gens disent qu’il n’y a pas une vision. Qu’en est-il de la vision 2015-2030 ? Il y a aussi la loi-cadre de l’enseignement publiée en août 2019. Cela veut dire donc que les Marocains ne connaissent pas les contours de cette vision parce qu’il n’y a pas assez de communication autour. J’interpelle les médias à ce niveau pour faire savoir ce qui est en train de se faire», appelle-t-il.
M. Nahya a également interpellé les parents des élèves scolarisés dans le public en les appelant à aller s’assurer des conditions dans lesquels étudient leurs enfants et à s’impliquer davantage. Il estime ainsi qu’il y a une vision d’ensemble pour tout le secteur (du primaire jusqu’au supérieur). Il considère qu’au niveau du nouveau modèle de développement, il est difficile de se poser la question à nouveau, puisqu’il y a une réforme qui est déjà lancée. «Il faut participer à cette dynamique. L’idée est d’ancrer cette démarche de projets à tous les niveaux. Ainsi, il s’agit du projet personnel à partir du collège, les projets des établissements scolaires, des projets des académies… Car il n’y a plus cette vision qui veut que tout se décide à Rabat, puisque les académies développent des visions régionales avec toutes les forces vives, étant donné que le conseil d’administration de l’académie comporte tous les acteurs. Il faut que les gens participent au lieu de rester à l’extérieur», explique-t-il.En réponse à des propositions pour réfléchir à des modèles d’enseignement «qui sortent du cadre», Aziz Nahya a affirmé que des actions de benchmark ont été faites et de nombreux modèles ont été questionnés. Il a également rassuré en affirmant que le département de l’Éducation n’agit pas seulement pour la diffusion de l’enseignement, mais également pour ancrer les valeurs et les meilleurs comportements. «On travaille sur les valeurs en exploitant les nouvelles technologies», précise-t-il.Sana Griguer, experte en RH et coach professionnelle
«La relation formation-emploi n’est pas une relation client-fournisseur»
Lors de la quatrième Matinale, Sana Griguer, membre de l’Association des femmes-chefs d’entreprises du Maroc (AFEM), experte en ressources humaines et coach professionnelle, a insisté sur le décalage existant entre la formation et les besoins des entreprises en mains qualifiées. «Il y a un décalage entre la formation professionnelle et le besoin réel. Il faut faire un effort en termes de formation interne pour accompagner les jeunes et les mettre en phase avec la vie en entreprise. Car ils sont techniquement forts, mais il y a un problème au niveau transversal», affirme-t-elle. L’experte assure que ce décalage existe entre ce qui est dispensé au niveau du programme théorique et ce qui se passe réellement dans le monde de travail. «Ce qui est considérable quand on sait que les jeunes n’ont jamais eu l’occasion d’avoir un stage en entreprise. Ainsi, quand ils intègrent l’entreprise, ils ont des difficultés pour s’y adapter. C’est vrai, il y a des efforts qui sont faits, mais le décalage est toujours là. Il me semble que la relation formation-emploi est compliquée, car ce n’est pas une relation client-fournisseur, puisqu’il y a l’élément humain qui entre en jeu», affirme-t-elle. En s’exprimant sur le rôle à jouer par l’université et les écoles en matière de formation, elle s’est interrogée si «l’université et l’école marocaine sont en train de fournir la connaissance ? Est-ce ce que cherche l’entreprise ? Quelle est la relation élève-professeur ? Est-ce que le transfert des connaissances se fait de manière productive ?», s’est-elle demandé. Selon elle, le problème ne consiste pas à avoir des compétences, mais à agir avec compétence. «Comment agir en étant compétent et interpeller l’intelligence émotionnelle, l’esprit d’analyse et la manière de traiter les conflits au travail ? Des atouts qu’il faut dispenser aux apprenants au niveau primaire et secondaire en permettant aux élèves de préparer des exposés et de prendre la parole en public… En tant que recruteur, on essaye de voir si la personne est techniquement compétente, mais on a besoin d’autres compétences transversales», affirme cette experte en RH.
Jamal Belahrach, président de Déco Conseil, président Jobs Africa et de la Fondation Zagoura pour l’éducation
«Outre les savoirs cognitifs, il faut développer les soft skills»
Renforcer les soft skills des élèves et des étudiants et développer chez eux de nouvelles compétences, outre les savoirs cognitifs, était l’une des pistes de réforme proposées par Jamal Belahrach, lors de son intervention à la quatrième matinale du Groupe Le Matin, organisée sous le thème «Éducation, formation, emploi : piliers du nouveau modèle de développement». Pour réaliser cet objectif, le président de «Déco Conseil» propose de renforcer le partenariat entre le secteur public de l’éducation et celui privé et d’instaurer une sorte de transversalité entre tous les secteurs. M. Belahrach estime en outre nécessaire la poursuite des chantiers déjà engagés, notamment la mise en œuvre de la régionalisation avancée et la poursuite des réformes mises sur les rails, notamment la loi-cadre relative à la mise en œuvre de la vision stratégique 2015-2030, tout en réfléchissant au modèle d’éducation de demain. Un modèle qui prend en considération la dimension numérique comme composante essentielle et qui soit capable de former de nouveaux profils capables d’intégrer facilement le marché.
Khaddioui El M’Kaddem, vice-président de l’Université Hassan II de Casablanca
«Les universités étrangères ne sont pas plus performantes que celles marocaines»
Lors de la quatrième phase des rencontres organisées par le Groupe le Matin sur le nouveau modèle de développement (NMD), la relation entre «l’éducation, la formation et l’emploi» en tant que piliers du NMD était au cœur des discussions. Intervenant lors de cette matinale, Khaddioui El M’Kaddem, vice-président de l’Université Hassan II de Casablanca en charge du partenariat, de la coopération et du développement, s’est positionné en tant que défenseur du rôle à jouer par le monde universitaire dans la formation et la préparation des jeunes pour accéder au monde de l’entreprise. Ainsi, il a réfuté l’idée avancée à travers les résultats du sondage d’IPSOS (voir article ci-contre) selon laquelle les universités étrangères sont plus performantes que celles marocaines. «Non, pas du tout. Nos étudiants réussissent et cela doit être analysé dans un contexte plus général», a-t-il défendu.
Par ailleurs, sur un autre registre, selon lui, les secteurs à renforcer dans le futur doivent prendre en considération le volet des ressources humaines, «surtout dans un monde de plus en plus numérique». Il a cité la vision stratégique de la réforme 2015-2030 en appelant «à faire plus d’efforts pour entamer cette nouvelle réforme lancée dans le pays qui mise sur le système du bachelor ainsi que sur les soft skills, ces compétences essentielles à tout métier. Cela s’impose, vu que les métiers évoluent en permanence», estime-t-il.Le vice-président de l’Université de Casablanca a saisi cette occasion pour parler de la réalité universitaire, en donnant l’exemple de celui de la région casablancaise. «Il faut signaler que 47% des étudiants inscrits abandonnent leurs études et 25% des lauréats finissent au chômage», explique-t-il en précisant que ces chiffres concernent Casablanca durant les quatre dernières années. Par ailleurs, il a également cité les réalisations et les actions menées pour améliorer le rendement de la vie universitaire. «Nous réservons, désormais, une grande place aux soft skills et au développement personnel. Nous estimons que l’université doit être une locomotive du développement économique». Il a ainsi évoqué le projet d’action de l’université qui est en train d’être mis en place. «Le tout est piloté par le numérique pour dématérialiser l’administration, ainsi qu’au niveau de la gestion, la formation et la recherche. Ce projet vise l’interaction entre l’université et la ville». Il a cité dans ce sens le lancement d’un partenariat à travers une plateforme dont bénéficient 700 étudiants ayant le statut d’entrepreneurs. Dans le même cadre, il a mentionné les efforts menés sur le plan international en annonçant l’installation d’une antenne de l’université au Qatar.En ce qui concerne l’ouverture de l’université sur la région, Khaddioui El M’Kaddem a indiqué l’installation d’une nouvelle structure universitaire à Benslimane qui va abriter notamment un CHU, un espace pour l’exploitation des ressources médicinales, un espace pour le sport et une sphère technologique. «On s’ouvre aussi sur le monde externe et nous sommes placés dans les zones rurales pour accompagner les agriculteurs. Mais il faut que les opérateurs économiques nous tendent la main et croient aux compétences universitaires. C’est le partenariat public-privé que nous recherchons», a-t-il conclu.