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Entretien avec Ludovic Subran, économiste en chef du groupe Allianz et d’Euler Hermes

Apparu en Chine en décembre dernier, le Covid-19 se propage de plus en plus dans le monde, augmentant le risque sur la santé humaine, mais aussi l’économie planétaire. Aujourd’hui, le niveau d’incertitude avec l’épidémie est tel que la demande mondiale adressée au Maroc en prend un coup. Euler Hermes, du groupe Allianz, vient ainsi de revoir à la baisse les prévisions de croissance du pays. Il table sur une hausse du PIB de 1,8% en 2020, contre 2% prévus initialement, soit le plus bas niveau depuis 2016. Pour Ludovic Subran, l’ensemble des secteurs marocains dépendants de produits en provenance de Chine et d’Italie sont exposés à des perturbations de leurs chaines de production. De même, le risque d’impayés et de défaillances d’entreprises augmente. Et ce n’est pas tout. Dans ce contexte très difficile, les initiatives de libéralisation du compte financier, via l’élargissement des bandes de fluctuation du dirham, gagneraient à être retardées jusqu’à ce que la menace d’instabilité reposant de manière croissante sur les pays émergents se soit atténuée.

Entretien avec Ludovic Subran, économiste en chef du groupe Allianz et d’Euler Hermes
Ludovic Subran.

Le Matin-Éco : Quel est l’impact de l’épidémie du Coronavirus sur l’économie mondiale ?
Ludovic Subran
: À ce stade, il est difficile d’estimer l’impact de l’épidémie sur l’économie mondiale. Comme pour toute crise, on ne connaîtra vraiment son coût que dans quelques années. Ce que l’on sait c’est qu’il y a trois types de chocs qui s’empilent : un choc de production et d’export (vers les zones les plus touchées), un choc financier avec des effets richesses négatifs, et un choc de consommation dans les pays touchés, dû aux mesures de confinement. Les effets varient donc de 0,5 à 1,5 point de croissance en moins pour certains pays au bord de la récession comme la Corée du Sud, le Japon, mais aussi l’Italie et l’Allemagne, et donnent le vertige sur certains marchés comme les actions européennes et certains secteurs comme le transport aérien ou le tourisme. 

L’économie du Maroc dépend largement de la demande mondiale, quelles conséquences sur l’activité économique et la croissance du pays ?
Avant la crise du Covid-19, nous avions déjà un scénario conservateur pour l’économie du Maroc en 2020 avec 2% de croissance attendue. Nous mettions en avant le haut niveau d’incertitude au niveau international qui allait maintenir à un niveau faible la contribution du commerce extérieur à la croissance. Ce niveau d’incertitude a redoublé avec la crise du Covid-19, tandis que l’impact négatif sur les activités touristiques va clairement se faire sentir. Dans ce contexte, nous tablons maintenant sur 1,8% de croissance en 2020, ce qui représente le plus bas niveau depuis 2016.  Le scénario catastrophe serait si le Maroc devenait un foyer secondaire et devait prendre les mesures drastiques que prennent la Chine ou l’Italie pour enrayer la propagation, le risque de récession serait réel, comme toute économie mise à l’arrêt pendant quelques mois. Heureusement, on en est loin ! 

Le Maroc est également de plus en plus intégré aux chaînes de valeur mondiales, quels sont les secteurs les plus exposés dans le pays à la crise mondiale du Coronavirus ?
Les secteurs marocains les plus dépendants de produits en provenance de Chine sont respectivement l’équipement ménager, le textile et l’électronique. Les secteurs les plus dépendants en provenance d’Italie sont le textile ainsi que les biens d’équipement. L’ensemble de ces secteurs est donc exposé à des perturbations de leurs chaines de production à cause des mesures de confinement prises par ces deux pays. Étant donné sa complexité et son importance dans le tissu industriel marocain, il faudra également être attentif à toute perturbation de l’activité dans le secteur de l’automobile. Ce dernier était déjà dans une situation de fragilité avant d’aborder ce début d’année 2020. Un autre choc négatif sur la demande mondiale représente définitivement une autre mauvaise nouvelle pour les manufacturiers de l’automobile. 

En prenant en considération l’épidémie du Covid-19, quelles sont vos prévisions pour les défaillances d’entreprises au Maroc et le risque d’impayés ? 
Nous attendions une augmentation de 5% du niveau des défaillances au Maroc en 2020. À la suite de la crise du Covid-19, il y a clairement un risque haussier sur cette prévision. Dans un contexte de perturbation des flux de commerce, le risque d’impayé va sensiblement s’accroître. Attention notamment aux impayés à l’export alors que de nombreux pays européens frôlent la récession. 

À votre avis, quels sont les leviers à activer par le gouvernement et le secteur privé pour protéger l’économie et les entreprises ?
Le gouvernement, en coordination avec Bank Al-Maghrib, devrait continuer à favoriser le financement bancaire des acteurs économiques les plus fragiles – petites et moyennes entreprises, monde rural – à travers un accès privilégié aux sources de liquidité. Dans un cadre d’incertitude extrêmement élevé, les initiatives de libéralisation du compte financier, via l’élargissement des bandes de fluctuation du dirham, gagneraient certainement à être retardées jusqu’à ce que la menace d’instabilité reposant de manière croissante sur les pays émergents se soit atténuée. Le gouvernement va être probablement amené à se présenter encore plus en soutien de la demande interne. Le point le plus important réside évidemment dans toutes les actions que ce dernier pourrait prendre pour détecter au plus tôt les cas de contamination et contenir toute propagation du virus au niveau domestique. 


L’inquiétude autour d’une récession mondiale monte

«La croissance mondiale en 2020 tombera en dessous de son niveau de l’année dernière, mais il est encore difficile de prévoir jusqu’où tombera cette baisse et combien de temps durera l’impact». C’est le message clé de la directrice générale du FMI, Kristalina Georgieva, face à la propagation de l’épidémie du coronavirus à l’échelle internationale. En janvier, le FMI estimait que la croissance mondiale devrait passer de 2,9% en 2019 à 3,3% en 2020. «Nous travaillons à la mise à jour de nos projections, et nous les présenterons dans les prochaines semaines. Je le répète, quel que soit le scénario, nous voyons la croissance en 2020 tomber en dessous du niveau de 2019», souligne la DG du FMI. Pour La Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED), le choc dit Covid-19 fera baisser la croissance annuelle mondiale en dessous de 2,5%, le seuil de récession de l’économie mondiale. L’OCDE le confirme. La croissance mondiale baisserait globalement à 2,4% en 2020 et pourrait même être négative ce premier trimestre 2020. La crise coronavirus réduirait entre 5 et 15% les flux d’IDE dans le monde cette année. «Avec une croissance inférieure à l’an dernier, rappelons-le, la croissance mondiale était déjà lente, cela fait peser un fardeau particulier sur les pays en développement et pauvres», estime le président du Groupe de la Banque mondiale, David Malpass.


En un trimestre, le Covid-19 a coûté 320 milliards de dollars  au commerce mondial

Dans une nouvelle étude, Euler Hermes détaille l’impact en valeur de l’épidémie sur les échanges internationaux et liste les zones les plus touchées. Selon le spécialiste mondial de l’assurance-crédit, en un trimestre, l’épidémie du Coronavirus a coûté 320 milliards de dollars au commerce mondial de biens et services. «À ce niveau, on peut estimer que l’épidémie a le même effet sur les échanges internationaux qu’une hausse moyenne des taxes à l’importation de +0,7 point à l’échelle mondiale», soulignent les économistes d’Euler Hermes. Ces derniers estiment également que l’épidémie a coûté au commerce mondial en un trimestre ce que les tensions commerciales États-Unis/Chine lui ont coûté en un an. Du côté du commerce de biens, les mesures de confinement appliquées dans les principaux foyers connus à l’heure actuelle limitent de fait les échanges entre ces zones et les exportateurs. Du côté des services, l’impact provient surtout d’un manque à gagner pour les secteurs du tourisme et des transports. «In fine, Euler Hermes estime que sur les 320 milliards de pertes trimestrielles, 190 proviennent de pertes à l’export vers la Chine et 21 de pertes à l’export vers l’Italie».


Le marché automobile épargné pour le moment

Coronavirus, coronavirus, coronavirus… l’ambiance des affaires ne respire pas la grande sérénité au Maroc. Au fur et à mesure que le nombre des personnes touchées augmente, un regain de tension se fait jour. Si le citoyen lambda continue de mener normalement son train-train habituel, les professionnels sont, en revanche, dans l’expectative. Et ceux du secteur automobile ne sont pas en reste. 
En effet, même si le marché s’est bien comporté en février avec 13.333 unités livrées (voitures particulières + véhicules utilitaires légers), en progression de 15,45% en glissement annuel, le sort non encore scellé du Salon de l’automobile (Auto Expo 2020), prévu initialement en juin prochain, taraude les esprits. Rien n’est encore officiel à ce sujet, mais des discussions sont en cours en vue d’une prise de décision définitive.
En attendant une bonne nouvelle, le coronavirus ne semble pas impacter l’approvisionnement du marché. Selon plusieurs importateurs, tous leurs modèles sont disponibles et aucune rupture de stock n’est en vue pour le moment.  
«Rien n’a changé, et nous continuons de lancer et de recevoir normalement nos commandes», nous déclare Ford Maroc, dont les véhicules et les pièces de rechange proviennent essentiellement d’Europe et d’Afrique du Sud. Même son de cloche chez Hyundai Maroc, même si trois de ses modèles (sur quatorze) sont fabriqués en Chine, pays le plus touché par l’épidémie et dont un grand nombre de sites de production sont en quarantaine. «Seuls quelques équipementiers chinois qui fournissent certaines de nos usines ont été touchés, mais sans impact direct sur nos approvisionnements», soutient Hyundai Maroc.  De son côté, Marc Nassif, directeur général de Renault Maroc, affirme que, malgré la menace du coronavirus, les usines marocaines de Renault «arrivent à tourner». «Est-ce qu’on ne va pas être affecté dans l’avenir ? Je ne sais pas», avoue-t-il. n

Mohamed Akisra


Le tourisme espère une sortie de crise après le Ramadan

L’année 2020 commence mal, très mal pour le tourisme. «J’essuie les annulations de réservations et d’événements jour après jour. Je suis en stand-by. Mon activité est à l’arrêt et je n’ai pas de visibilité», nous déclare un voyagiste de Marrakech, une ville où l’on a, d’ailleurs, recensé le 3e cas de coronavirus, un touriste français. Le voyagiste s’alarme d’autant que cette période correspond à la haute saison pour nombre de marchés émetteurs, comme le marché chinois. Ceci sans parler de la période creuse, entre avril et mai, qui correspondra cette année au mois de Ramadan, où l’activité se calme.
L’un des segments les plus touchés est le MICE (Meetings Incentives Conventions & Events). Le gouvernement ayant appelé à l’annulation de tous les événements avec participation étrangère et rassemblant plus de 1.000 personnes. Depuis, les annulations et autres reports sont annoncés en cascade au grand malheur des professionnels de l’événementiel, restaurateurs, transporteurs,  hôteliers, agences de voyage et de communication et de tous les métiers connexes. «Face à un risque potentiel de propagation de ce virus à travers le Royaume, il est tout à fait normal, voire sage, qu’une telle décision soit prise. Le MICE à Marrakech est très touché. Tous les évènements programmés pour le mois de mars ont été, soit annulés, soit reportés avec tout ce que cela comporte comme désagrément pour les professionnels», nous déclare Fouzi Zemrani, vice-président de la Confédération nationale du tourisme (CNT). La corporation ne dispose pas, pour le moment, de données chiffrées évaluant l’impact sur le secteur, un impact qui sera, toutefois, «important», estime Zemrani. «Nous sommes aujourd’hui contraints à une inactivité forcée au moins jusqu’à fin mars. Il y aura un véritable manque à gagner pour le tourisme en particulier, et l’économie nationale en général», indique Zemrani, également PDG de l’agence de voyages Z’Tours à Marrakech, et qui a annulé plusieurs événements, dont un qui devait rassembler plus de 3.700 personnes.
Malgré cette crise, la CNT appelle les opérateurs touristiques à ne pas paniquer. «Je veux rester optimiste et penser qu’une sortie de crise est envisageable après Ramadan. En attendant, je propose d’optimiser et de profiter de ce temps pour préparer la sortie de crise. Nous devons, par exemple, préparer notre transition digitale en formant nos équipes et en créant du contenu original. Il faudra aussi innover dans nos produits et préparer des offres invitant à des expériences inédites et atypiques», recommande Zemrani. En parallèle, le gouvernement devrait songer à des mesures d’accompagnement. Zemrani propose ainsi un moratoire sur les crédits bancaires, puisque les outils de production sont à l’arrêt, ainsi qu’un allégement des charges sociales.
Il faut dire que le secteur est stratégique pour l’économie du pays. Le tourisme, c’est en effet 6,9% du PIB en 2018 selon le HCP, soit 76,9 milliards de DH, et une valeur ajoutée de 61,6 milliards. Le secteur compte 548.000 emplois directs. 

Mohamed Amine Hafidi

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