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Le reskilling ou comment reconvertir le capital humain à l’ère du digital

Les progrès technologiques avancent tellement vite qu’il est parfois difficile de suivre surtout pour les Petites et moyennes entreprises. Pour les PME et encore plus les TPE, le virage du digital n’est pas facile à gérer, car au-delà de la composante financière, ces entreprises n’arrivent pas toujours à se faire entourer par un capital humain qualifié en la matière. Et si l’on misait sur le reskilling ? La démarche a fait ses preuves dans plusieurs pays dans le monde et commence à être démocratisée au Maroc par certains cabinets spécialisés dans la gestion des ressources humaines.

Le reskilling ou comment reconvertir le capital humain  à l’ère du digital
Ph. Shutterstock

La transformation numérique est devenue un enjeu stratégique pour les entreprises marocaines, y compris les Petites et moyennes entreprises (PME) et les Très petites entreprises (TPE). Pour assurer son déploiement, personne ne peut nier que la clé de succès réside dans l’innovation qui passe nécessairement par l’alliance entre technologie et compétences humaines. Malheureusement, si certaines entreprises se sont déjà lancées dans la réflexion, voire dans la mise en place des actions en vue de résoudre cette équation, d’autres n’arrivent toujours pas à franchir le pas. Pourquoi ? Les raisons sont nombreuses et diversifiées. Outre la composante financière et la capacité à bien mener le changement et à assurer la réingénierie des procédés et des méthodes de travail, les PME et les TPE font face aujourd’hui à un grand défi qui est celui de se doter d’un capital humain qualifié, opérationnel et suffisamment engagé. Youssef Guerraoui Filali, directeur du Centre marocain pour la gouvernance et le management, rappelle dans ce sens qu’un «personnel qualifié et bien formé est une opportunité qui favorise la mutation digitale et technologique de l’entreprise vers les métiers de l’avenir». Partant de sa propre expérience en tant que consultante en stratégie et conduite du changement, Jihane Benlimane, témoigne pour sa part que «s’entourer des collaborateurs spécifiques formés pour répondre aux besoins numériques et à cette transformation digitale devient véritablement une chasse au trésor». Sur le marché de l’emploi, il faut reconnaitre que le recrutement de certains profils formés dans les métiers du numérique s’avère coûteux pour une PME ou une TPE qui galère déjà afin de trouver des fonds et assurer leur survie dans un environnement en perpétuelle mutation. À cela s’ajoutent que ces profils pointus appartiennent généralement aux générations Y et Z : Cherchant toujours la nouveauté et l’épanouissement, ces jeunes talents ont plutôt tendance à changer plus rapidement et plus facilement et ne font pas long feu en entreprises. Ceci dit, le manager n’arrive pas à les retenir et à les fidéliser. 

Et si l’on optait pour le reskilling ?
L’alliance entre technologie et capital humain dans une PME est une équation qui n’est pas toujours facile à résoudre. L’une des solutions qu’on commence à proposer aux managers des PME et des TPE consiste à opter pour le reskilling. «Cette méthode a apporté clairement de bons résultats en Europe et c’est pourquoi certains cabinets spécialisés dans le recrutement et la formation ont décidé de la démocratiser au Maroc», confirme Jihane Benslimane. Ce concept anglo-saxon implique tout simplement de prévoir une fusion du processus de recrutement avec celui de la formation. 

Concrètement, la démarche est destinée aux jeunes candidats en quête d’emploi. «Elle consiste à recruter un profil, même s’il n’a pas les compétences requises pour un poste, et de le faire bénéficier d’une formation lui permettant d’acquérir les compétences liées aux besoins immédiats de l’entreprise», explique Jihane Benslimane. L’experte ajoute dans ce sens que ce sont les soft skills qui seront en priorité évalués lors de l’entretien d’embauche. «Le recruteur évaluera l’esprit du candidat, son savoir-être, son savoir devenir, ses valeurs, son comportement, sa motivation et sa façon d’appréhender le poste», explique-t-elle. La méthode parait ambitieuse car elle permet d’une part, à l’employeur de s’assurer que la nouvelle recrue sera immédiatement opérationnelle, et d’autre part, au demandeur d’emploi d’accéder au poste qu’il souhaite et de se former aux nouvelles technologiques. Mieux encore, ajoute Meyme Benlimane, le reskilling est une véritable méthode permettant de développer le sentiment d’appartenance chez le collaborateur qui se voit évoluer dans sa carrière et développer de nouvelles compétences au sein de son entreprise. Comme dans toute démarche de transformation, la réussite du reskilling nécessite la réunion d’un certain nombre de conditions et à leur tête, l’engagement du manager qui doit être ouvert au changement et à l’adoption de nouvelles méthodes de recrutement, d’accompagnement et de fidélisation du capital humain. Il est clair que les PME et les TPE font face à des contraintes financières, mais il ne faut pas oublier que le capital humain joue un rôle fondamental, voire stratégique dans toute transformation, y compris celle liée à cette vague du digital. Un capital humain motivé et suffisamment engagé sera capable de développer les compétences métiers et contribuer activement dans le développement de son entreprise. 


Jihane Benslimane, consultante en stratégie et conduite du changement et DG de Hera Consulting Group

«Le reskilling se définit comme l’acte ou le processus de formation pour acquérir des compétences nouvelles ou améliorées. Nous pratiquons cette démarche sans en prendre conscience depuis des années. Elle consiste à recruter un profil pour un métier qu’il ne connait pas et auquel il sera formé. Cette méthode a apporté clairement de bons résultats en Europe et c’est pourquoi certains cabinets spécialisés dans le recrutement et dans la formation ont décidé de la démocratiser. Partant du principe que la transformation digitale est devenue un enjeu stratégique pour les PME et les TPE marocaines. Cette solution permet de mettre en place un dispositif unique qui allie formation et recrutement en identifiant les candidats qualifiés, motivés et surtout charismatiques. Pour réussir cette démarche, encore faut-il faire face à certains freins, notamment le management dit directif ou vertical. 
En effet, ce style présuppose que ce sont les managers qui réfléchissent, qui portent la plupart des dossiers stratégiques et qui, par le fait même, se développent. La culture de la perfection constitue également un autre frein à l’émergence de la culture d’apprentissage dans laquelle on peut essayer de nouvelles choses. Nous pouvons être un peu moins efficaces. 
Puis, la peur de l’erreur, des procédures, des normes rigides, un cadre détaillé à respecter peuvent aussi représenter des freins. Je pense que le reskilling répond au concept de l’organisation apprenante, un concept qui date de plus de 30 ans où nous répétons plusieurs éléments simples afin de permettre au collaborateur d’évoluer dans l’organisation sur les moyen et long termes.»


Déclaration de Hicham Ait Oujmid, consultant senior ESB/EDI

«L’évolution économique mondiale a entamé une nouvelle ère entraînant un changement des modèles économiques. La révolution technologique au Maroc est amorcée à travers plusieurs chantiers et à leur tête celui qu’on prénomme le “Digital now”, embarquant malgré elles et dans un rythme euphorique les PME et TPE. Mal préparés, ces petits élèves de l’IT manquent de ressources qualifiées pour les nouveaux besoins technologiques d’actualité. Le reskilling et l’upskilling, se présentent comme les sauveurs de ces PME & TPE, leur permettant d’intégrer en très peu de temps, des ressources adaptées et capables de mener avec succès la transformation numérique. Le premier, est destiné aux jeunes candidats pouvant bénéficier d’une courte formation en pré-embauche (en moyenne 3 mois) afin d’acquérir l’essentiel des compétences liées aux besoins immédiats. Quant à l’upskilling, il offre l’opportunité aux salariés déjà en activité et désirant une reconversion dans le but d’un repositionnement au sein de leurs entreprises. Les bénéfices du reskilling sont nombreux et l’on dénote, entre autres, l’allégement des équipes RH avec les contraintes de recherche de profils sur le marché de l’emploi.»


Entretien avec Youssef Guerraoui Filali, directeur du Centre marocain pour la gouvernance et le management

«Le reskilling est un véritable moyen pour fidéliser les nouveaux collaborateurs»

Management & Carrière : Quelles sont les principales raisons pour lesquelles les PME et les TPE n’arrivent pas à emprunter le chemin de la digitalisation ?
Youssef Guerraoui Filali : La transformation digitale est devenue aujourd’hui un enjeu crucial pour les PME et TPE marocaines. D’un côté, elle permet d’optimiser la production et de réaliser des économies importantes et, d’un autre, elle remet en cause certaines tâches humaines récurrentes inefficientes. Il s’agit ainsi d’un paradoxe mettant en danger potentiel certains emplois classiques, du moment où des machines peuvent remplacer la main d’œuvre humaine dans le cadre de cette mutation numérique qui favorise la robotisation et l’intelligence artificielle. En revanche, le meilleur moyen de s’y prendre est de considérer cette transformation digitale comme une opportunité de croissance et de créativité. Pour répondre à votre question, je dirai que tout d’abord, le processus de transformation digitale reste coûteux pour les TPE/PME marocaines ne disposant pas d’un fonds de roulement important et par conséquent d’une faible trésorerie d’exploitation. À cela s’ajoute, la problématique de l’alphabétisation numérique. En effet, la fracture numérique desdites entreprises doit être traitée dans le cadre d’une approche globale intégrée permettant à ces structures de bénéficier d’orientations et de conseils en numérique, ce qui permettra de les conscientiser plus sur la nécessité de se transformer technologiquement parlant. In fine, c’est une question de volonté et de conviction, car le reste dépendra de ça. D’autres points aussi importants, c’est la programmation et l’opérationnalisation de la transformation digitale. En effet, ladite transition doit s’opérer en étapes coordonnées et dans le cadre d’un programme de mutation digitale, ne serait-ce qu’un petit calendrier des actions prioritaires à suivre pour une petite entreprise, afin de remplir les conditions de réussite à la transition tout en couvrant tous les aspects logistiques, commerciaux et humains et dans le cadre d’une logique d’implémentation prenant en considération les moyens disponibles de l’entreprise. Aussi, il est question de chercher du financement. Les banques demandent en effet une panoplie de garanties et c’est donc à l’État, à travers ses institutions financières et bancaires, de garantir l’octroi des prêts aux TPE/PME marocaines qui s’inscrivent dans la dynamique de digitalisation favorisant le développement de l’économie 
numérique. 

Par quels moyens ces entreprises peuvent-elles réussir leur transformation numérique ?
La diversification du portefeuille et la fructification des revenus constituent un premier moyen pour la sécurisation de la transformation digitale. Sans moyens financiers propres, la transition sera beaucoup plus difficile pour les TPE/PME, au moment où les banques ne financent qu’une partie des dépenses digitales. En effet, la transformation digitale n’est pas un gage de performance, mais un outil d’optimisation de la production et par conséquent un dispositif de compétitivité. Deuxième moyen, les ressources humaines de l’entreprise. Un personnel qualifié et bien formé est une opportunité qui favorise la mutation digitale et technologique de l’entreprise vers les métiers de l’avenir. Plus on maitrise les systèmes d’information et l’utilisation des TIC (Technologies de l’Information et de la Communication), plus la transition digitale sera plus facile. 

Vous avez souligné à plusieurs reprises que le reskilling est un atout qui permet aux PME et aux TPE d’assurer une meilleure transformation digitale. Pourriez-vous nous en dire plus ?
Bien évidemment. En effet, le reskilling est un concept qui permet d’acquérir des compétences améliorées dans le cadre d’un processus de formation par l’alternance école/entreprise. En d’autres termes, le reskilling permet aux PME et aux TPE de s’entourer d’un capital humain lui permettant d’avancer et d’assurer sa transformation digitale. C’est aussi un véritable moyen pour fidéliser les nouveaux collaborateurs. Par ailleurs, il y a lieu de souligner que le personnel d’une entreprise qui s’est engagée dans un processus de transformation digitale doit se perfectionner continuellement afin d’acquérir les nouvelles compétences informatiques et technologiques nécessaires. Je pense ainsi que le redéploiement du staff devrait s’effectuer à travers un reskilling qui s’inscrit dans le cadre de la nouvelle feuille de route digitale de l’entreprise. Ainsi, il ne s’agira plus de suppression de postes, mais de redistribution des ressources pour maximisation de la performance et réalisation des profits.

Peut-on parler de limites inhérentes à ce modèle économique ?
La transformation digitale à travers le reskilling est une véritable opportunité de développement et de croissance pour les PME et les TPE qui représentent plus de 95% du tissu économique marocain. Encore mieux, réussir la transition digitale permettra à ces entreprises de s’inscrire dans des chaines de valeur mondiale, et par conséquent, de devenir des fournisseurs de grands groupes mondiaux et donc de contribuer au Produit intérieur brut mondial en réalisant des chiffres d’affaires importants à l’export. 
Pour ce qui est des limites du reskilling, force est de constater que les compétences nécessaires ne sont pas requises immédiatement et par conséquent le perfectionnement se fera en étapes au moment alors qu’on vit dans une ère de performance accrue qui nécessite des actions efficaces immédiates avec des gains de temps considérables. Ceci dit, une contre-performance des ressources peut se justifier par un retard d’apprentissage en entreprise. L’employeur est donc responsable vis-à-vis de ses collaborateurs et a une obligation de moyens en contrepartie, bien évidemment, de résultats. 

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