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Alerte ! La pandémie provoque des décès, la pénurie de sang aussi...

Alors que tous les regards sont tournés vers la lutte contre la Covid-19, des problèmes de santé publique persistent, et à leur tête la pénurie du sang. Effectivement, les centres de transfusion sanguine n’ont pas cessé d’alerter sur les risques liés à cette pénurie. Des initiatives ont été lancées, mais visiblement, la situation ne s’améliore pas. Pour y voir plus clair, «Le Matin» s’est rendu au Centre de transfusion sanguine de la région de Casablanca-Settat (CRTS) et la situation s’y avère encore plus inquiétante : de nombreuses personnes attendent avec impatience de recevoir une poche de sang, alors que la salle de transfusion est quasi vide. Si on cherche les principales raisons de cette situation, on relève qu’en cette période de crise sanitaire, la peur d’être contaminé à la Covid-19 reste la principale cause. Amal Darid Ibnelfarouk nous en dit plus.

Alerte ! La pandémie provoque des décès, la pénurie de sang aussi...

Le Matin : Comment évaluez-vous la situation du don de sang au Maroc, notamment après les multiples initiatives qui ont été lancées pour faire face à la pénurie ?
Amal Darid :
Pour répondre à votre question, je tiens tout d’abord à souligner que comme chaque année, la gestion des stocks de sang demeure très difficile en cette période estivale. Les centres de transfusion, aussi bien à l’échelle nationale qu’à l’international, souffrent d’une pénurie, vu que les citoyens sont en congé ou en voyage et, par conséquent, leur dernier souci serait de donner du sang. Effectivement, cette année est encore plus particulière à cause de la crise sanitaire liée à la Covid-19, mais pendant les mois de juillet et d’août, c’est toujours le même calvaire. Si en temps normal, on recevait entre 200 et 250 donneurs par jour, pendant la période estivale, on ne reçoit pas plus de 100 à 120 donneurs, sachant que quelle que soit la période, le centre doit faire sortir quotidiennement entre 500 et 600 poches. Autrement dit, la situation devient très critique et le stock ne dépasse jamais 24 h durant cette période. La satisfaction de toutes les demandes n’est donc pas chose évidente pour un grand centre comme celui du CRTS dans lequel une grande partie de la consommation nationale reste concentrée. Autant dire que malgré les initiatives qui ont été lancées, la pénurie persiste. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) insiste sur un seuil de 3%, alors qu’au Maroc, on n’a même pas atteint 1%, cela fait mal au cœur.

Dans quelle mesure la crise sanitaire a-t-elle impacté la situation du don de sang ?
Avec la crise sanitaire, les gens ont de plus en plus peur de la contagion et, par conséquent, ils deviennent réticents à l’idée de donner du sang. La peur de la Covid-19 s’ajoute à d’autres craintes liées à la contamination par d’autres maladies transmissibles par le sang. Aujourd’hui, le message qu’on essaye de transmettre aux citoyens c’est qu’aucune transmission de la Covid-19 n’a été enregistrée jusqu’à présent, ni entre employé et donneur, ni entre donneur et donneur. Toutes les mesures barrières sont prises à l’échelle du CRTS et même au sein des unités mobiles fixes relevant du centre. Les masques, les gels hydroalcooliques, la désinfection toutes les deux heures, les barrières entre le donneur et le professionnel de la santé… tout a été mis en place pour gérer au mieux l’opération de don de sang tout en minimisant les risques d’infection à la Covid-19. J’implore à ce titre la générosité des Marocains, car le don de sang peut bel et bien sauver des vies. La pandémie provoque certes des décès, mais il ne faut pas oublier que des gens risquent aussi de perdre leur vie à cause du manque de sang. Citons, entre autres, ces enfants qui souffrent de maladies chroniques et qui ont besoin de poches de sang toutes les deux à trois semaines, ou encore ces personnes qui font de l’hémodialyse et qui ont aussi besoin de sang de façon chronique. Sans parler des accouchements et des accidents de voie publique qui augmentent pendant la saison estivale. Autres mesures mises en place au niveau du centre, et non des moindres : la prise de température du donneur et une consultation gratuite. Cette dernière trouve tout son intérêt puisqu’on a un circuit de donneur sain. Le médecin est d’ailleurs apte pour donner l’éligibilité au donneur après avoir vérifié si ce dernier souffre déjà de quelques signes de Covid-19.

Comment expliquer la réticence des Marocains par rapport au don de sang ?
Cela est dû, entre autres, aux idées reçues qui perturbent l’esprit des Marocains, notamment qu’on vend le sang. Une idée qui doit être bannie absolument puisque le don du sang est géré par la loi 03.94 qui stipule, entre autres, que cette opération est gratuite. Dans le détail, les plaquettes coûtent 298 DH et les globules rouges 360 DH. Des montants qui ne représentent que le 1/3 des analyses effectuées sur cette poche, sachant que les 2/3 sont supportés par l’État. Les ramedistes ne payent pas et les mutualistes sont remboursés à 100%. Il faut savoir aussi que la triple poche utilisée pour le sang et les analyses coûte de l’argent. D’ailleurs, si on s’amuse à prendre le sang du donneur et à le donner automatiquement sans le traiter en demandant au citoyen de faire lui-même ces analyses à l’extérieur, cela va lui coûter au minimum 1.500 DH. En tant que centre de transfusion relevant du ministère de la Santé, on s’occupe de tout le processus. Tout cela pour dire que le sang qui est à l’intérieur de la poche ne se vend pas.  Une 
autre idée pouvant expliquer la réticence des citoyens : la peur de choper des maladies transmissibles par le sang. Sur ce volet, il est important de rassurer les citoyens. Actuellement, au sein du CRTS, nous avons opté pour un pack de soin unitaire, c’est-à-dire à usage unique et stérile. Toute la gamme de soin utilisée est unique et le personnel de la santé ouvre le pack devant le donneur. Cette méthode permet ainsi d’éviter tout risque de transmission de maladies.

Quelles actions mettre en place pour remédier efficacement et durablement à ce manque ?
Vous avez bien choisi le mot «durablement». En tant que centre régional, on ne peut pas tout faire. Nous avons besoin d’une volonté gouvernementale avec un effort consenti main dans la main de la part de tous les ministères. Outre le ministère de la Santé, il s’agit aussi du ministère de l’Éducation qui doit intégrer la culture du don de sang dans le programme de l’éducation, et celui des Habous et des affaires islamiques pour une sensibilisation continue des citoyens via les préposés religieux dans les mosquées. En d’autres termes, il faut qu’il y ait une stratégie nationale en matière de don de sang avec une stratégie de communication réelle. Malheureusement, on ne voit pas aujourd’hui de publicités ou de capsules pour sensibiliser les citoyens. Le citoyen est généreux par nature, mais il doit être sensibilisé et surtout rassuré pour donner du sang. La stratégie de consommation doit aussi concerner les professionnels de la santé pour pouvoir rationnaliser la consommation. Un médecin qui a besoin d’une seule poche ne doit prescrire qu’une seule poche, car quand on est dans une crise comme celle que nous traversons actuellement, la consommation de sang reste standard, mais le don baisse. Pour y faire face, nous avons fait des réunions avec les patrons des cliniques pour les sensibiliser, entre autres, à la nécessité de nous livrer leurs demandes de sang pour les opérations programmées, deux à trois jours à l’avance afin de nous permettre de nous organiser, de gérer notre stock et de satisfaire ainsi toutes les demandes au quotidien. Faire sortir 500 à 600 poches par jour n’est pas une chose facile.
   
Parlez-nous de votre stratégie ?
Au niveau de la région de Casablanca-Settat, nous avons impliqué la société civile pour faire un programme hebdomadaire. La société civile, soulignons-le, reste l’intermédiaire entre nous et les citoyens. Nous avons aussi essayé de faire les pactes avec les polycliniques tout en intégrant le professionnel de la santé qui est le mieux placé pour comprendre l’importance du don de sang. Ce partenariat a donné de très bons résultats ces derniers mois, de telle sorte que tous les professionnels de la santé ont participé à ces collectes de sang. On a aussi essayé de toucher les jeunes étudiants des facultés qui ont répondu présent à nos actions de sensibilisation et de don de sang. Dans ce sens, nous avons fait un pacte avec le CHU et la Faculté de médecine. Un effort qui a donné ses fruits puisqu’on a constaté aujourd’hui que des étudiants viennent très souvent donner le sang. À notre niveau, nous avons aussi essayé de motiver les donneurs. Dans ce sens, nous avons créé une carte de donneur qui comporte ses informations, y compris son groupage. C’est une carte que le donneur reçoit au premier don même et qu’il peut porter avec lui de façon permanente. Autre action, et non des moindres : En matière de communication, nous avons essayé d’impliquer les influenceurs. Une action que nous souhaitons poursuivre encore cette année, compte tenu de son importance. En chiffres, en 2020, cinq influenceurs ont sauvé en trois mois 49.000 vies. Ceci montre l’impact des réseaux sociaux. D’autres influenceurs vont participer encore cette année. Le but étant de continuer à sensibiliser les citoyens au fait qu’un don ne prend au citoyen qu’un quart d’heure, mais peut sauver trois vies. Cette année, on a essayé de faire en sorte que ces influenceurs ne se rendent pas uniquement au centre régional, mais également à toutes les unités fixes qui sont actuellement au nombre de six, afin de se rapprocher des citoyens. Nous comptons ainsi lancer trois unités modulaires pour essayer de couvrir toute la région en matière de proximité. 

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  Un appel du cœur

Dans son entretien accordé au «Matin», Amal Darid  a adressé un appel de cœur aux citoyens : «J’implore la générosité et le bon cœur de tous les citoyens. Il y a des personnes qui ont besoin de vous, notamment des enfants malades, des mamans qui accouchent, des patients qui font de l’hémodialyse de façon chronique et il y a aussi des accidents de voie publique qui ne cessent d’augmenter. Pensez à toutes ces personnes dont leur vie dépend du don de sang. En tant que citoyens, vous avez des congés et des voyages, mais avant de prendre la route, pensez à donner du sang, car un quart d’heure de votre temps peut sauver des vies.»

Entretien réalisé par Nabila Bakkass

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