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Amorcer le changement grâce à la croissance post-traumatique

La crise sanitaire, dont les conséquences sont lourdes, a mis à l’épreuve nos compétences professionnelles, notamment celles de l’agilité et de la résilience. Du jour au lendemain, nous avons été amenés à composer avec l’incertitude et à gérer beaucoup de changements. Si certains collaborateurs se voient freinés dans leur carrière à cause de la crise, d’autres vont s’en sortir plus forts sur tous les plans. C’est là le principe de la croissance post-traumatique. Sur ce volet, les managers ont un rôle crucial à jouer qui consiste à accompagner leurs collaborateurs de manière à mener l’opération de changement dans les meilleures conditions possible. Le but étant de les aider à renforcer leur créativité et leur engagement en toutes circonstances. Une mission de taille dont il faut être suffisamment outillé pour la mener à bien.

«L’échec est seulement l’opportunité de recommencer d’une façon plus intelligente». Henry Fort avait raison et ses propos trouvent tout leur intérêt aujourd’hui. Si certains collaborateurs estiment que la crise sanitaire est une destruction de leurs efforts antérieurs, d’autres y trouvent l’occasion idoine pour se remettre en question et s’ouvrir sur de nouvelles possibilités. À la lecture de cette première présentation du sujet, on peut penser qu’une telle réflexion paraît une chimère. Effectivement, la réalité, telle qu’elle se présente, actuellement, ne prête pas au rêve. Or, force est de reconnaître que si on ne peut pas changer la réalité, nous pouvons tout de même l’adoucir et modifier au moins notre façon de voir les choses. C’est là où réside le premier pas à franchir pour espérer un avenir meilleur à l’ombre de ces circonstances inédites dictées par la pandémie. En effet, cette crise sanitaire a modifié la perception de tout un chacun et nous a poussés, qu’on le veuille ou non, à changer chacun à sa manière.

«C’est presque une tautologie que d’affirmer que le trauma engendré par la pandémie de la Covid-19 peut créer toute une série de réactions psychologiques, telles que des réactions émotionnelles intenses, des pensées intrusives ou encore une détresse chez tout un chacun», précise Sanae Hanine, PhD, experte en communication, coach et formatrice en développement personnel. Et d’ajouter que cette crise sanitaire peut être l’occasion de revoir ses priorités, d’où l’intérêt du concept de la croissance post-traumatique. Une démarche peu connue et encore moins exploitée dans le milieu professionnel malgré ses multiples avantages. Elle a été inventée par les psychologues Richard G. Tedeschi et Lawrence G. Calhoun, à l’Université de Caroline du Nord à Charlotte, au milieu des années 1990. «La croissance post-traumatique implique qu’il est possible de ressortir grandi et donc plus fort à la suite d’une épreuve de vie particulièrement négative», explique l’experte. En effet, ajoute-t-elle, dans un processus de développement post-traumatique, «l’individu met à l’épreuve sa capacité de résistance face à un événement traumatisant. Cet individu va ainsi remettre en question ses propres schémas fondateurs pour se rendre compte, à l’issu du processus, que l’expérience vécue a été d’un grand apport, voire un virage, notamment dans sa carrière. À propos des avantages de cette démarche, l’experte cite, entre autres : le renforcement de la confiance en soi, la capacité de donner une nouvelle direction à sa vie, l’acquisition de la résilience, une meilleure aptitude à accepter les paradoxes de la vie et surtout l’acquisition d’une certaine sagesse.

Du pain sur la planche pour les managers…
La croissance post-traumatique est un véritable processus de changement qui présente de multiples avantages pour les collaborateurs. Or, pour aboutir aux résultats escomptés, un accompagnement par les managers s’avère d’une importance cruciale. De par la nature de leur fonction et statut, les managers sont dotés de compétences et d’outils leur permettant d’aider les collaborateurs à réussir tout type de mutations, à l’image de la croissance post-traumatique. «Chacun a sa propre façon d’appréhender le changement selon ses capacités et ses propres convictions. Le rôle du manager serait ainsi d’écouter et de comprendre l’ensemble des attentes pour pouvoir y répondre et surtout mener un changement collectif impliquant toutes les parties prenantes», souligne Sanae Hanine. En effet, précise-t-elle, le rôle des managers se situe également dans une étape primordiale qui consiste à favoriser la prise de conscience de tous de la nécessité de changer en voyant la partie remplie du vert, c’est-à-dire de garder une attitude positive en toutes circonstances. Aussi étonnant que cela puisse paraître, mais sans l’implication des managers, les collaborateurs risquent de se noyer dans le doute et l’incertitude, ce qui se répercute sur leur rendement, leur motivation et surtout leur engagement. On a beau mettre en place de nouvelles stratégies, mais nos efforts risquent d’être vains si nous sommes entourés de bras cassés manquant de volonté.

Autre point important à souligner, et non des moindres : investir dans la croissance post-traumatique c’est aussi propager des ondes positives en interne, d’autant que cette période difficile donne lieu à des sentiments mitigés de frustration, de fatigue et de surmenage. Les émotions négatives que l’on peut tous ressentir, et qui sont d’ailleurs justifiés, peuvent freiner le développer individuel et partant collectif. In fine, on peut dire que la croissance post-traumatique est d’une importance capitale.

Loin des sentiers battus de la pensée philosophique, cette approche doit être intégrée dans le mode de fonctionnement des collaborateurs et des managers permettant d’assurer plus de performance et de pérennité. D’ailleurs, nous n’avons plus le choix que de creuser dans les nouvelles méthodes qui ont donné leur fruit et qui appellent à plus de positivisme. Mieux vaut faire des pas dans l’inconnu que de plonger dans le négativisme qui ne fait qu’aggraver la situation de crise. 


Déclaration de Hajar Elguor, formatrice, spécialiste en RH et coach

«Si la finalité des entreprises avant la pandémie était de produire des biens et des services dans le but de répondre aux attentes et aux besoins des consommateurs, aujourd’hui et plus que jamais, le management centre sa réflexion sur la croissance post-traumatique. La crise sanitaire a provoqué beaucoup de changements et il a bien fallu s’y adapter dès le départ en repensant son mode de fonctionnement. Côté management RH, les dirigeants ont constaté que cette pandémie a laissé et laisse encore des séquelles importantes au niveau de la santé mentale de leurs collaborateurs. De nombreux facteurs de stress post-traumatique sont relevés dans le monde professionnel : D’abord, pendant la période du confinement qui était associée à une affection importante de la santé mentale, particulièrement du stress post-traumatique, ce qui a engendré des comportements d’évitement et de colère entre les équipes de travail. Ainsi, les collaborateurs qui ont perdu des êtres chers brutalement (parents, enfants, proches…) à cause du virus, et qui n’arrivent toujours pas à sortir de chez eux, par peur de contamination, ne se présentent pas en milieu professionnel. La réduction du contact physique en entreprise en interne, par la rotation des collaborateurs et en externe due à la diminution des visites (des clients, fournisseurs, prestataires de service…), s’est avérée aussi être à l’origine d’un ennui, d’une frustration et d’un sentiment d’isolement au travail. Sans oublier, les collaborateurs ayant déjà des antécédents de maladies psychiatriques (nécessitant une attention particulière d’ailleurs) qui se sont développées davantage avec la pandémie par des comportements d’anxiété, ce qui a impacté leurs rendements au travail. Nous avons aussi constaté que les femmes étaient plus à risque de souffrir du stress post-traumatique, ce qui a poussé plusieurs entreprises à penser déjà à offrir à l’occasion de la journée de la femme des séances de coaching, dont l’objectif étant de les sensibiliser sur la santé mentale, les inciter à raconter leurs vécus, les aider à évacuer leurs stress, et soulager ainsi leurs souffrances. D’autres ont mis en place une cellule psychologique pour accompagner toutes les personnes qui vivent mal cette pandémie. Les dirigeants sont au-delà des pratiques managériales classiques et l’accompagnement du personnel devient un des défis puissants pour améliorer la qualité de vie au travail dans le contexte actuel».


Entretien avec Sanae Hanine, PhD, experte en communication, coach et formatrice en développement personnel

«Les managers doivent tenir compte des répercussions psychologiques que la crise peut engendrer chez tout un chacun»

Management & Carrière : Nous traversons une crise sanitaire sans précédent et il est important de puiser dans ses ressources managériales pour s’en sortir avec le moins de dégâts possible. Quel est votre avis à ce sujet ?
Sanae Hanine
: Effectivement, les managers sont désormais appelés à adopter de nouveaux comportements et surtout de nouveaux modes de management en vue de motiver et de fédérer les collaborateurs autour d’un objectif commun. En effet, ce sont des collaborateurs suffisamment engagés qui permettront sans nul doute à l’entreprise de relever ses défis et de sortir de cette crise sanitaire avec le moins de dégâts possible. Cela dit, les managers doivent tenir compte des répercussions psychologiques que la crise peut engendrer chez tout un chacun. D’ailleurs, c’est presque une tautologie que d’affirmer que le trauma engendré par la pandémie de la Covid-19 peut créer toute une série de réactions psychologiques telles que des réactions émotionnelles intenses, des pensées intrusives ou encore une détresse chez tout un chacun. Par définition, le traumatique désigne l’ensemble des conséquences d’un événement vécu. Ces dernières peuvent entraîner un choc physique ou encore avoir des répercussions durables sur le psychisme d’un sujet. Notons dans ce sens que l’événement traumatisant est caractérisé par le fait qu’il surgit sans avertissement et auquel l’individu n’est pas préparé. Partons de cette définition, la crise sanitaire liée à la Covid-19 peut justement être considérée comme une source de traumatisme, aussi bien chez les individus que chez les entreprises. Pour y faire face, je suggère de s’ouvrir sur les recherches liées au développement post-traumatique. Ces recherches se sont penchées sur les situations traumatiques survenant principalement à la suite d’évènements dévastateurs de deuils, de catastrophes naturelles et accidentelles ou de la question de la santé et de la maladie.

Justement, plusieurs experts soulignent l’importance de la croissance post-traumatique. Pourriez-vous nous expliquer ce concept ?
La croissance post-traumatique est un concept issu de la psychologie positive. Il désigne les changements psychologiques positifs qui apparaissent à la suite d’une exposition à un traumatisme majeur. Cette croissance stipule qu’il est possible de ressortir grandi et donc plus fort à la suite d’une épreuve de vie particulièrement négative. En entreprise, chaque collaborateur peut mener un processus de croissance post-traumatique, encore faut-il qu’il soit suffisamment outillé et surtout accompagné dans cette démarche, d’où le rôle crucial des managers. Plus en détail, la croissance post-traumatique implique qu’un individu met à l’épreuve sa capacité de résistance face à un événement traumatisant. Cet individu va ainsi remettre en question ses propres schémas fondateurs pour se rendre compte, à l’issu du processus, que l’expérience vécue a été d’un grand apport, voire un virage, notamment dans sa carrière. Les indicateurs tangibles de cette croissance concernent plusieurs niveaux tels que l’appréciation de la vie, la spiritualité ou même le changement des valeurs. Ils se manifestent par une nouvelle appréciation de la vie, une force personnelle développée, des relations aux autres plus authentiques et plus empathiques, une modification du sens des priorités ainsi qu’un élargissement de la zone de confort. D’autres avantages peuvent être cités à ce niveau, notamment le renforcement de la confiance en soi, la capacité de donner une nouvelle direction à sa vie, l’acquisition de la résilience, une meilleure aptitude à accepter les paradoxes de la vie et surtout l’acquisition d’une certaine sagesse. Côté management, une telle approche permettra d’explorer de nouvelles idées, d’apprendre à manager dans l’incertitude, de s’ouvrir sur de nouveaux concepts et surtout de renforcer les liens sociaux. La refonte des buts se fera en fonction de la nouvelle normalité et l’entreprise deviendra plus armée face à l’adversité. Les managers et les collaborateurs seront ainsi plus armés face à l’adversité. Sur ce volet, force est de reconnaître que la confiance mutuelle entre les managers et leurs collaborateurs reste un point fondamental pour bien mener à bien tout processus de croissance post-traumatique.

Concrètement, comment peut-on exploiter cette théorie dans la gestion de la relance post-Covid-19 ?
Il faut savoir que le modèle de croissance post-traumatique est basé sur une remise en question des valeurs et des croyances fondamentales qui, entre autres, constituent la dimension traumatique associée à l’événement. Pour répondre à votre question, je dirai qu’il faut d’abord œuvrer à renforcer les relations en entreprise. Ensuite, les managers et les collaborateurs seront appelés à modifier leur vision d’eux-mêmes en développant, entre autres, le sens de la résilience, l’agilité et la sagesse. Enfin, il est recommandé de s’ouvrir sur certaines descriptions de changements au niveau de la philosophie de vie, comme le fait de découvrir et d’apprécier chaque jour ce qu’est la vie. De même, pour tirer profit de ce processus de changement, une part importante doit être accordée à la question du support social. Un volet dont l’impact sur le développement post-traumatique est primordial.

Quels sont les ingrédients d’une telle démarche au Maroc et qu’en est-il  de ses limites ?
La prise de conscience de l’importance de changer et de s’adapter à un nouveau contexte reste le principal ingrédient pour réussir cette démarche au sein de nos entreprises. Le sentiment d’être plus fort et plus résistant s’expliquera ainsi par le fait que l’individu, qu’il soit collaborateur ou manager, soit passé par une période lourde de conséquences. Plus concrètement, la personne ayant traversé une étape difficile se sentira mieux armée pour faire face aux épreuves du quotidien, voire à d’autres épreuves plus lourdes. Cela passe également par la prise de conscience de sa propre endurance. La personne réalise qu’elle a été suffisamment solide pour faire face à la situation et surtout la dépasser. Deux des items de cette dimension sont «Je suis davantage capable de gérer des situations difficiles» ou «J’ai découvert que je suis plus forte que ce que je pensais». Sur un autre registre, force est de reconnaître que les managers ont un rôle fondamental à jouer. Outre le fait de travailler sur soi, chaque responsable d’équipe devrait faire preuve d’écoute et d’accompagnement de ses collaborateurs pour assurer le succès de cette démarche qui est d’une grande valeur ajoutée.

Quel rôle les collaborateurs doivent-ils jouer pour assurer le succès de cette démarche ?
Les collaborateurs peuvent assurer le succès de la croissance post-traumatique en élargissant leur zone de confort et en s’ouvrant sur de nouvelles perspectives de vie. L’expérience de la maladie grave implique de remettre en question ses cadres de références, ses croyances, ses valeurs et ses objectifs de vie. La remise en question qui en découle peut déboucher sur la prise de conscience que de nouveaux horizons sont envisageables, qui entrent en résonance avec la réorganisation des croyances et des buts. La dimension est représentée par des items tels que «J’ai changé de priorités dans la vie». Les valeurs humanistes prennent le pas sur d’autres valeurs et la relation aux proches devient une dimension primordiale pour la personne. Cela passe principalement par le partage de ce qui est vécu. L’écoute, la présence aux autres et la capacité de contribuer à résoudre les problématiques d’autrui sont des caractéristiques essentielles au développement post-traumatique. Dans cette sous-échelle, on retrouve des items comme «j’ai plus de compassion pour les autres» ou encore «j’investis plus mes relations aux autres». L’approche centrée sur la personne est plutôt basée sur l’idée que les individus sont intrinsèquement motivés à croître et à se développer dans le sens d’un fonctionnement optimal, lorsque les bonnes conditions sociales et environnementales sont réunies. Le but du thérapeute centré sur le client est justement de contribuer à la création des conditions socio-environnementales favorables qui permettront au patient de prendre la mesure des expériences qu’il vient de vivre et ainsi trouver sa propre direction dans sa vie (Joseph, 2006). Sur un autre volet, je tiens à souligner l’importance du travail collectif pour obtenir les résultats escomptés dans un processus post-traumatique. Si les managers doivent faire preuve d’écoute et de proximité, les collaborateurs sont invités à être plus souples tout en étant capables de suivre le changement et d’être une force de propositions. À mon avis, le travail collectif reste indispensable pour réussir tout type de changement et cela ne peut être assuré que si le sentiment d’appartenance est suffisamment développé chez les uns et les autres. 

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