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Le e-recrutement a-t-il accentué les discriminations à l’embauche ?

Le e-recrutement a-t-il accentué les discriminations à l’embauche ?

Conseil : Le processus de recrutement permet d’aboutir à la validation et à l’intégration d’un nouveau collaborateur dans une entreprise. À quel moment peut-on parler de discrimination à l’embauche ?
Imane Hadouche : Un recrutement est considéré comme réussi lorsque le profil retenu colle parfaitement aux exigences du poste, en termes de compétences et/ou soft skills. Dans ce cas de figure, il s’agit d’une sélection et non d’une discrimination. Cela dit, le fil reste très fin entre la notion de «sélection» et la notion «d’exclusion». On pourrait parler de discrimination lorsqu’un profil est rejeté sur la base des points suivants :
• Le genre
• L’âge
• Le statut social (marié(e) ou pas)
• La grossesse/la maternité/la paternité
• La couleur de la peau
• La classe sociale
• La race
• Les croyances
• Le handicap (non impactant pour le rendement)
• L’apparence physique.

Comment expliquer ce genre de comportements au niveau des organisations ?
Selon plusieurs recherches au niveau du comportement organisationnel et au niveau de la psychologie sociale, on a pu observer la montée de cette tendance depuis l’explosion des réseaux sociaux. Les experts ont d’ailleurs tiré la sonnette d’alarme, il y a plusieurs années. Ceci a rapidement évolué, mais pas dans le bon sens malheureusement. Il y a d’abord le culte de «l’image» et le diktat de la perfection qui fait que les exigences sont devenues insensées et discriminatoires. Il y a une bonne dizaine d’années, on dénonçait déjà l’exclusion sur la base du genre, du statut social, ou de la classe sociale : quand on rejetait des candidatures, à cause du sexe du candidat (dans les deux sens, contrairement à ce qu’on peut penser), ou à cause de l’adresse affichée sur le CV qui peut indiquer un quartier populaire, ou quand on est marié (surtout pour les femmes). Aujourd’hui, c’est devenu plus féroce, puisqu’on peut rejeter un profil, parce que le candidat n’est pas physiquement attrayant ou légèrement en surpoids, à cause de sa dentition ou sa calvitie, ou la tenue portée qui n’est pas griffée ou parce que c’est une femme voilée… Bien évidemment, il existe des emplois où l’apparence est un motif de rejet, mais cette règle s’applique de plus en plus dans tous les domaines, ce qui relève vraiment d’un dysfonctionnement grave en société. Mise à part le culte de l’image, qui a été nourri par les réseaux sociaux, les gens ont commencé à transférer leur mode de fonctionnement dans le virtuel vers la vraie vie, et on commence à s’autoriser à «commenter» la vie personnelle des autres et à leur attribuer des «like» et des «dislike». Ça a l’air complètement fou, mais c’est la transformation comportementale qui s’est effectuée lors de ces dix dernières années. Depuis que tout est exposé sur le virtuel, les limites entre «privé» et «public» ce sont estompées et les limites entre ce qui est «acceptable» ou «non acceptable» sont encore plus floues.

Peut-on alors affirmer que les réseaux sociaux sont, entre autres, une cause directe de ces comportements ?
Dans une certaine mesure, le virtuel a largement contribué à une sorte de mutation comportementale et sociale, il y a un «avant» et un «après» les réseaux sociaux. Cela dit, on ne peut pas nier que la discrimination a toujours existé, sauf que c’était socialement non déclaré et on ne pouvait l’exprimer ouvertement sans en avoir honte, et sans prendre le risque d’être mal vu. Il n’y a qu’à observer les chaînes de télévision et les speakers et speakerines : très peu de séniors, pas de personnes de couleur, pas de femmes voilées… on y trouve beaucoup plus de femmes et généralement des femmes physiquement attrayantes ou du moins au-dessus de l’acceptable. Aujourd’hui, et à cause de cette mutation comportementale, c’est le cas un peu partout et dans tous les domaines. Ce biais cognitif a toujours existé, et on l’appelle «l’effet de Halo», et plusieurs expériences ont démontré que même un juge ou un juré au tribunal peuvent être victime de ce biais cognitif, et avoir plus de sympathie ou de compassion pour un criminel avec une apparence attrayante ou politiquement correcte, que pour un criminel ayant commis le même crime, mais qui serait moins beau, ou moins propre sur lui. La dernière affaire du jeune homme qui a renversé une femme et son bébé sur la route, et qui a suscité la compassion de plusieurs personnes, au point d’éclipser les deux victimes sur le virtuel, est la preuve de la folie et du dysfonctionnement que nous subissons.

Comment voyez-vous l’évolution de ce dysfonctionnement à l’avenir ?
Plusieurs experts ont constaté une autre mutation comportementale qui a suivi la crise pandémique que nous traversons encore, mais on n’en est pas encore au bout pour pouvoir poser un constat final. Une chose est sûre c’est que le télétravail a définitivement transformé les interactions professionnelles ainsi que les interactions avec les clients. D’un côté, les échanges sont de moins en moins formels et permettent de tisser des liens plus «humains», d’un autre côté, les drames liés à la crise sanitaire mondiale ont permis une énorme prise de conscience que l’on est tous égaux face à l’incertitude et à l’impuissance. Cela dit, les critères de sélections sont revus par les recruteurs qui, à l’ombre de la crise sanitaire, se voient obligés de s’entourer de bons profils. D’ailleurs, personne ne peut nier que les ressources humaines qualifiées sont indispensables pour dépasser la crise, qu’elles soient sanitaires ou autres. Autre point à souligner, et non des moindres, est que quelques simulations d’évolutions envisageables dans un futur proche prédisent la disparition totale et définitive du CV dans sa forme traditionnelle. Certains suggèrent même que le futur du recrutement et de tout le domaine professionnel ainsi que le système éducatif seraient liés au virtuel, au digital et à l’intelligence artificielle, notamment la VR (réalité virtuelle), la AR (réalité augmentée) grâce à des outils comme le Hololens ou Lenovo, ou la MR (réalité mixte).

Comment faire face à ces agissements ?
Malheureusement, ici comme à travers le monde, il est difficile de prouver l’exclusion lors d’un recrutement. Le droit de travail assure une protection après le recrutement et uniquement lorsque l’acte discriminatoire est prouvé. Par contre, il est recommandé à tout un chacun de rationaliser l’accès aux réseaux sociaux, de limiter les heures d’utilisation, de bien choisir le contenu consommé, mais surtout de se protéger de toute addiction au virtuel qui peut réellement impacter le comportement et même donner lieu à plusieurs troubles psychologiques. 


Propos recueillis par Nabila Bakkass

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