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Effet Dunning-Kruger, quand l’incompétence «brille de mille feux» !

Effet Dunning-Kruger ? Vous vous demandez sûrement ce que cela signifie, d’autant que cette expression est peu utilisée. Pourtant, elle renvoie à un phénomène très fréquent, notamment en milieu professionnel. Nous parlons là de la surestime de soi. En effet, une personne présentant l’effet Dunning-Kruger croit toujours détenir des compétences supérieures à celles des autres. Elle a du mal à se remettre en question et n’hésite pas à s’approprier les efforts collectifs. Bref, elle se prend pour le nombril du monde. Il n’est pas nécessaire d’être plus explicite !

Effet Dunning-Kruger, quand l’incompétence «brille de mille feux» !

«L’ignorance engendre plus fréquemment la confiance en soi que ne le fait la connaissance», cette citation de Charles Darwin résume ce que pensent tout bas beaucoup de gens sur la surestime de soi. On parle aussi de l’effet Dunning-Kruger, bien qu’il soit peu connu sous cette appellation. Il doit son origine aux psychologues américains David Dunning et Justin Kruger. Ce phénomène est encore beaucoup plus fréquent et surtout plus puissant en milieu professionnel. Plus concrètement, «il s’agit d’un jugement qui induit une surestimation de ses compétences, de ses capacités ou encore de ses connaissances dans un domaine précis», explique Sanae Hanine, PhD, experte en communication, coach et formatrice en développement personnel dans un entretien accordé à «Management & Carrière». Le profil saute aux yeux et on peut facilement le reconnaître en entreprise. Il trouve des difficultés à se remettre en question et n’hésite pas à s’approprier le mérite du travail collectif, ce qui nuit au bon fonctionnement du travail, comme en témoigne Imane, jeune cadre dans une banque : «Mon chef hiérarchique s’attribue le succès des projets et m’impute tous les échecs. Il se croit tout connaître et ne me donne pas l’occasion de m’exprimer et de montrer mes compétences professionnelles». Ce genre d’expérience est malheureusement très présent au niveau des entreprises marocaines. Certes, il n’existe pas d’études réalisées à propos de ce sujet, mais il suffit de faire un tour sur les réseaux sociaux pour constater à quel point certains collaborateurs en souffrent. Pour Sanae Hanine, ce phénomène tend à s’amplifier par la facilité qu’accordent aujourd’hui les réseaux sociaux et par ce qui est nommé l’intelligence des foules. «Actuellement, chaque personne peut se proclamer experte dans un domaine comme il a été constaté lors de la pandémie du coronavirus», regrette-t-elle. Et d’ajouter que malheureusement, les personnes les plus qualifiées auraient tendance à sous-estimer leur niveau de compétence, contrairement à celles moins compétentes qui auraient une tendance pernicieuse à se surestimer. Ces dernières sont aveuglées par rapport à leurs erreurs ou à leur contre-performance.

Le syndrome de l’imposteur chez les uns aggrave l’effet Dunning-Kruger chez d’autres !
Pour gérer les personnes présentant l’effet Dunning-Kruger, il faut d’abord comprendre le mécanisme de leur fonctionnement et la raison pour laquelle ils adoptent un tel comportement. Bien évidemment, la compréhension n’implique pas forcément l’excuse et la tolérance de ce type de comportements jugés nuisibles au bon fonctionnement du travail, mais permet au moins d’alléger la charge émotionnelle que l’on peut ressentir. «D’après les professeurs Dunning et Kruger, ces personnes font des cheminements réflexifs erronés et font des choix malheureux, mais leur incompétence les prive de la capacité métacognitive de le réaliser», avance Sanae Hanine. Effectivement, ajoute-t-elle, l’effet Dunning-Kruger est lié à une rationalité limitée de l’individu dans le traitement de l’information. «Il s’agit de la résultante d’un biais cognitif qui réfère à un schéma de pensée trompeur et faussement logique. Cette erreur de calibrage est donc liée à des déficits de compétences métacognitives ou à la capacité de distinguer la précision de l’erreur», clarifie-t-elle. Cela dit, ajoute l’experte, pour donner un sens à un événement ou juger d’un fait, le cerveau va puiser dans les méta-informations constituées des croyances subjectives inconscientes, des préjugés et des idées toutes faites que l’individu a engrangés le long de sa vie. Ce système de pensée paraît cohérent, mais il est biaisé. Le risque de jugement erroné devient alors important. Et ce n’est pas tout ! Il existe bel et bien d’autres facteurs qui pourraient nous éclairer encore plus sur ce phénomène. On peut citer à titre d’exemple l’entourage professionnel de la personne. On parle ici du syndrome de l’imposteur qui, en se sous-estimant et en reniant son apport dans la réussite collective, contribue fortement à l’amplification de l’effet Dunning-Kruger chez la personne qui s’estime de manière excessive. Le syndrome de l’imposteur suppose qu’une personne, bien qu’elle soit compétente, cherche souvent à attribuer ses réussites à d’autres facteurs tels que la chance. «Ce syndrome s’explique, entre autres, par une peur constante de l’échec et de ne pas être à la hauteur», clarifie Sanae Hanine.

Comment composer avec une personne qui se croit supérieure aux autres ?
Effet Dunning-Kruger, syndrome de l’imposteur… L’entreprise est le milieu socio-professionnel où cohabitent différents profils. C’est d’ailleurs cette différence qui contribue à l’enrichissement de l’entreprise. Qu’on le veuille ou non, nous sommes obligés de «cohabiter» avec les différents profils qui existent. En présence d’une personne Dunning-Kruger, il y a deux manières d’agir : Soit on l’accepte tel qu’il est, ce qui n’est pas toujours évident, soit on cherche à le recadrer. La méthode du questionnement reste la plus recommandée dans ce cas de figure. «Il s’agit là de lui poser des questions ouvertes pour le déstabiliser et faire tomber ses résistances», recommande Jihane Benslimane, experte en stratégie et management RH et directrice exécutive du cabinet Hera Consulting Group. Toutefois, force est de reconnaître que pour être en mesure de gérer tout type de profil, il faut d’abord être conscient de son propre mode de fonctionnement. C’est là où réside l’importance du travail sur soi en vue de développer les compétences relationnelles fortement requises pour une carrière réussie. Cela s’applique évidemment pour le profil Dunning-Kruger !  


Un manager qui «sait tout», un défi de plus en temps de crise !

Pour dépasser la crise sanitaire actuelle, dont les répercussions socio-économiques, voire psychologiques se font sentir, nous avons besoin d’équipes solides et solidaires. La créativité collective reste le mot d’ordre. Dans ce cas de figure, le profil présentant l’effet Dunning-Kruger serait-il le bienvenu ? Certes, ce type de profil tranche et prend des décisions sans pour autant hésiter dans ses choix, ce qui est recommandé en temps de crise. Or, rappelons-le, ce profil pense qu’il est plus compétent que les autres et, par conséquent, ne prend pas en compte leurs avis et suggestions, ce qui peut nuire profondément à la cohésion de l’équipe. Son leitmotiv est «je sais tout» et, encore pire, «je peux tout faire», c’est le superman incarné ! En parlant de la crise sanitaire, nous ne pouvons pas nous abstenir de rappeler que le télétravail a été fortement déployé au niveau des entreprises. Cela dit, si la gestion du profil présentant l’effet Dunning-Kruger est difficile en présentiel, elle l’est encore plus délicate en télétravail. Le succès du télétravail repose, entre autres, sur la cohésion de l’équipe qui n’a aucune place dans l’esprit du manager présentant l’effet Dunning-Kruger. Que des défis !


Déclaration de Jihane Benslimane, experte en stratégie et management RH et directrice exécutive du cabinet Hera Consulting Group

«La théorie de Dunning & Kruger peut concerner un grand nombre de personnes dans notre entourage comme les managers, les collaborateurs, les participants en formation, les prestataires… Nous les reconnaissons à leur «surconfiance» et à leur incapacité d’admettre leur ignorance dans tel ou tel sujet. Ils préfèrent bafouer ou prendre le risque de raconter des banalités tout en prenant l’air de maîtriser le sujet plutôt que de subir l’humiliation de l’ignorance par rapport au sujet. De manière générale, les personnes qualifiées ou perfectionnistes ont tendance à sous-estimer leur niveau. Cela signifie qu’ils imaginent qu’ils pourraient faire mieux une tâche ou l’accomplissement d’un projet. Les incompétents, eux ont la plus haute opinion de leurs capacités. Cette combinaison devient problématique en entreprise notamment lorsque le manager ou les collaborateurs manquent de métacognition (une réelle capacité à s’auto-évaluer). En effet, ils seront mauvais pour se juger et mauvais pour juger les autres. Force est de reconnaître qu’il n’est pas toujours facile de composer avec ce profil. Pour déstabiliser un incompétent qui se surestime, une fois le phénomène est détecté, il est recommandé de lui poser des questions, notamment en rapport avec le projet sur lequel il s’exprime. Sachant que ce type de profil utilise beaucoup plus la communication non verbale, on peut lui poser des questions ouvertes l’invitant à se focaliser davantage sur le contenu ou les aspects techniques dudit projet. Ce type de questions va le déstabiliser et il va le pousser à réagir en cherchant à déjouer l’attention. Si la personne tente de changer de sujet, il faut insister dessus et c’est à ce moment qu’il prendra un peu de recul et que l’échange deviendra beaucoup plus intéressant.»


Entretien avec Sanae Hanine, experte en communication, coach et formatrice en développement personnel

«Les mangers Dunning-Kruger pinaillent sur les détails afin de démonter leur supériorité sur des collaborateurs largement plus compétents»

Management & Carrière : L’effet Dunning-Kruger ou le phénomène des incompétents qui se surestiment est un principe extrêmement lié à la vie en entreprise. Qu’est-ce que vous pouvez nous dire à ce sujet ?
Sanae Hanine
: L’effet Dunning-Kruger est le phénomène d’un excès de confiance en soi ou en son expertise. Il s’agit d’un cognitif ou d’un jugement induisant une surestimation de ses compétences, de ses capacités ou encore de ses connaissances dans un domaine précis. Les psychologues américains David Dunning et Justin Kruger sont les instigateurs de ce biais qui relate le célèbre adage darwinien «l’ignorance engendre plus fréquemment la confiance en soi que ne le fait la connaissance». Selon leur approche, les personnes les plus qualifiées auraient tendance à sous-estimer leur niveau de compétence contrairement à celles moins compétentes qui auraient une tendance pernicieuse à se surestimer. Ces dernières sont aveuglées par rapport à leurs erreurs ou à leur contre-performance. Selon les professeurs Dunning et Kruger, ces personnes font des cheminements réflexifs erronés et font des choix malheureux, mais leur incompétence les prive de la capacité métacognitive de le réaliser. À mon avis, ce phénomène tend à s’amplifier par la facilité qu’accordent aujourd’hui les réseaux sociaux et par ce qui est nommé l’intelligence des foules. Actuellement, chaque personne peut se proclamer experte dans un domaine comme il a été constaté lors de la pandémie du coronavirus. L’entreprise en tant que milieu de socialisation et de compétitivité par excellence constitue un environnement propice pour la prolifération de ce profil. Ainsi, certains employés (managers ou collaborateurs) tendent à surestimer leur niveau de compétence tout en déniant celles des personnes qui la possèdent véritablement.

Comment identifier ce type de profil ?
Le portrait d’un profil Dunning-Kruger peut être esquissé à travers un certain nombre de traits de caractère et de croyances ancré sur sa propre supériorité par rapport aux autres. Très doué pour se mettre en valeur, il est par contre dans le déni quant à ses erreurs ou contre-performances. Le profil Dunning-Kruger est plein de certitudes. Il est très difficile pour lui de se remettre en question. Il peut sans scrupule, s’arroger les mérites d’un travail d’équipe et leur imputer ses échecs. Incapable de faire montre de modestie, il use de l’effet de halo pour impressionner et convaincre de sa fausse compétence. Le Dunning-Kruger est le premier à réclamer les promotions et augmentations de salaire. Les mangers Dunning-Kruger pinaillent sur les détails afin de démontrer leur supériorité sur des collaborateurs largement plus compétents. In fine, on se retrouve avec du bricolage, de la médiocrité, du ressentiment et ceux qui possèdent du savoir-faire quittent le navire.

Quelles sont les principales causes de ce phénomène et dans quelle mesure peut-il nuire au bon fonctionnement du travail ?
L’effet Dunning-Kruger est la résultante d’un biais cognitif. Il est recensé parmi les 71 biais cognitifs inhérents à la pensée humaine. Ce dernier réfère à un schéma de pensée trompeur et faussement logique. Cette erreur de calibrage est donc liée à des déficits de compétences métacognitives ou à la capacité de distinguer la précision de l’erreur. Pour donner un sens à un événement ou juger d’un fait, le cerveau va puiser dans les méta-informations constituées des croyances subjectives inconscientes, des préjugés et des idées toutes faites que l’individu a engrangé le long de sa vie. Ce système de pensée paraît cohérent, mais il est biaisé. Le risque de jugement erroné devient alors important. Il faut fournir un grand effort mental pour le rectifier. L’effet Dunning-Kruger est lié à une rationalité limitée de l’individu dans le traitement de l’information. En ce qui concerne ses conséquences dans la sphère managériale, le phénomène Dunning-Kruger est dévastateur en entreprise parce qu’il nuit à la productivité et au climat social. Il peut s’amorcer par le recrutement d’un profil inadéquat, c’est-à-dire trop faussement compétent, être à l’origine des contre-performances concernant les projets et la réalisation des objectifs imputés à une compétence douteuse de certains responsables. Il s’ensuit subséquemment la dégradation de l’ambiance au sein d’une équipe due à un sentiment d’injustice. L’illusion de supériorité des personnes qui en sont atteintes peut obstruer le déploiement de la créativité véritable. In fine, l’effet Dunning-Kruger a des retombées préjudiciables sur les relations, entre autres, avec les clients et les prestataires. À cet effet, apprendre à repérer ce biais et savoir comment y remédier est essentiel pour les managers.

Et si le manager était lui-même motivé par ce principe, comment les collaborateurs peuvent-ils composer avec lui sans conflits ?
Je pense que si le manager lui-même est atteint de ce «syndrome», alors c’est l’enfer pour ses collaborateurs. Je vous laisse imaginer le sentiment de frustration et de désolation qui va les submerger et les démotiver. Ce genre de profil est le parangon de la contre-performance par excellence. Souvent, ses projets tombent à l’eau et ce n’est toujours pas de sa faute, sûrement c’est dû à l’incompétence de ses collaborateurs. Certains mangers de cette catégorie qui sont «bien pistonnés» portent beaucoup de préjudices quant à la réalisation de certains projets stratégiques. Face à cette situation, les collaborateurs se précipitent à la première occasion pour quitter le navire, évitant au maximum tout type de conflits.

À votre avis, quel état des lieux dans le contexte marocain ?
Le contexte marocain ne peut être retiré d’un contexte global. L’effet Dunning-Kruger est d’autant plus visible avec la disponibilité des réseaux sociaux. En fait, il est devenu très difficile de déceler le vrai de l’ivraie tant que beaucoup de monde se proclame en expert. Dans plusieurs domaines, il est difficile de faire la différence entre l’expert et le charlatan. À mon avis, le foisonnement des profils Dunning-Kruger dans la scène publique va nous mener à ce que le philosophe Alain Deneault a nommé la «médiocratie», c’est-à-dire l’instauration de la médiocrité en autorité.

Comment remédier à l’effet Dunning-Kruger ?
 Il existe un concept intéressant à ce sujet qui se nomme «la gestion de l’ignorance». Le défi central pour une entreprise n’est peut-être pas de gérer ce qu’elle sait, mais plutôt ce qu’elle ignore. La gestion de l’ignorance est essentielle pour maintenir une culture stratégique de performance. Ceci serait possible en s’instaurant en tant qu’organisation apprenante et en perpétuelle quête d’amélioration. Pour les mangers, il s’agit de faire des feed-back honnêtes à leurs collaborateurs et les aider à identifier leurs lacunes en s’appuyant sur des réalités concrètes, afin de les mettre face à leurs manquements et les amener à se corriger. Au niveau individuel, l’effet Dunning-Kruger peut être combattu par l’exercice de l’auto-réflexivité et la remise en question. Il est conseillé de faire un travail sur soi en se posant des questions sur ses propres lacunes. Ceci implique de s’atteler à lever le voile sur sa zone aveugle et déchirer ce voile de l’ignorance. Il est possible de se référer à la théorie de l’ignorance en traçant la grille de quatre niveaux.
Le premier est celui de ce que «je sais que je sais» (niveau élevé de connaissance et faible niveau d’ignorance), le deuxième est celui de «je ne sais pas que je sais» (niveau élevé de connaissances et ignorance), le troisième est celui «je sais que je ne sais pas» (faible niveau de connaissance et ignorance) et le dernier est celui de «je ne sais pas que je ne sais pas» (faible niveau de connaissance et haut niveau d’ignorance). Une écoute attentive des feed-back des autres est aussi importante à ce sujet. Le regard des autres sur notre travail nous permet de revenir à la réalité.

Quelles actions peut-on mettre en place en interne pour favoriser un esprit de compétitivité basé sur la créativité ?
L’entreprise peut favoriser un esprit de compétitivité basé sur la créativité en favorisant les interactions et les relations tout en misant sur le respect mutuel et la confiance. Il est recommandé ainsi d’encourager la volonté pour partager ses idées, exposer son ignorance, poser des questions difficiles et écouter attentivement. 

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