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La formation expérientielle, un gage de performance par la pratique

Avez-vous déjà eu recours à la formation expérientielle ? Il s’agit d’un modèle destiné à favoriser l’apprentissage des adultes en alternant formation et pratique. À l’encontre des approches traditionnelles, dont celle dite tayloriste, la formation expérientielle part du principe que les collaborateurs doivent faire appel à leur intelligence situationnelle, émotionnelle et relationnelle pour résoudre des problèmes complexes. Bien qu’il soit prometteur, ce mode de formation reste encore méconnu. Éclairages avec Jean-Yves Arrivé, psychologue, consultant RH et coach.

La formation expérientielle, un gage de performance par la pratique
La formation expérientielle s’appuie sur les fondamentaux de l’andragogie. Les apprenants doivent être co-acteurs du processus d’apprentissage.

Conseil : La formation expérientielle est un concept qui renvoie à une formation continue basée sur une véritable histoire d’entreprise. Pourriez-vous nous en dire plus ? 

Jean-Yves Arrivé : Pour définir ce concept, il faut revenir aux fondamentaux de l’andragogie. Cette terminologie, apparue il y a bientôt deux siècles en Allemagne, est plus connue grâce aux travaux de l’Américain Malcom Knowles dans les années 1970. Il s’agit concrètement d’un nouveau modèle destiné à favoriser l’apprentissage des adultes. En fait, la formation continue est trop souvent calquée sur le modèle classique du «Professeur qui sait» et qui délivre des connaissances à des apprenants qui boivent ses paroles, prennent des notes, et qui font ensuite des petits exercices qui ressemblent, à s’y méprendre, à l’exemple présenté par l’enseignant ! Ce modèle est complètement obsolète et devrait déjà avoir disparu. On voit ça et là des évolutions, mais pas encore de rupture complète avec l’enseignement de type scolaire ou universitaire.

Quelles sont les spécificités d’une telle formation ? 

Précisément, la formation expérientielle s’appuie sur les fondamentaux de l’andragogie. Les apprenants doivent être co-acteurs du processus d’apprentissage. Ce sont des salariés qui ont déjà une expérience du travail sur le terrain et des bases acquises en formation initiale. Au-delà des connaissances théoriques (que l’on trouve aussi dans d’excellents manuels), ils veulent réfléchir, échanger avec leurs pairs, tester pratiquement ce qu’ils apprennent dans un contexte proche du leur. Il est donc important qu’ils mettent en application ce qu’ils apprennent dans leur environnement réel et qu’ils puissent revenir dans l’espace formation avec des résultats, des questions liées à des expériences ratées, des erreurs, pour continuer à progresser et acquérir peu à peu une véritable expertise. 

Il s’agit donc d’un dispositif modulaire qui s’étale sur plusieurs mois, qui alterne formation et pratique et des groupes de co-développement pour faire le lien entre collègues avec l’emploi exercé. Ainsi, s’agissant d’une formation qui vise une population RH par exemple, le cycle d’apprentissage s’appuie sur le développement d’une entreprise fictive, créée par les formateurs, dont chaque stagiaire est le DRH. Le formé analyse les éléments à chaque étape-clé de l’entreprise, imagine des propositions à mettre en œuvre, bâtit un argumentaire pour convaincre les équipes, et prépare son plan d’action. Il découvre en début de cycle une TPE avec deux collaborateurs et termine la formation en gérant le rachat d’une grosse PME de 300 salariés par un groupe international. Cette méthode se décline aussi bien pour former au marketing, à la communication, au commerce, à la finance… L’équipe pédagogique est composée de spécialistes qui ont une connaissance fine du métier et des réalités de l’entreprise.

Par quels moyens peut-on assurer son succès en entreprise ? 

Il faut convaincre les équipes dirigeantes que leurs salariés sont un capital humain qu’ils doivent développer pour en tirer le meilleur parti au bénéfice de l’entreprise. Il ne viendrait pas à l’esprit d’un patron de renoncer à la maintenance des équipements parfois coûteux dont il fait l’acquisition. Pourquoi en serait-il différent avec les salariés qu’il emploie ? Nous ne sommes plus à l’ère de la taylorisation des tâches. Les collaborateurs doivent faire appel à leur intelligence situationnelle, émotionnelle et relationnelle pour résoudre des problèmes complexes. Les réponses concrètes qui doivent être apportées aux situations difficiles et aux difficultés quotidiennes doivent se traiter en équipes multidisciplinaires, en tenant compte à la fois du financier, du technique, du réglementaire, des contraintes de production, de la qualité, etc. Pour le dire simplement : l’être humain, c’est un bras, mais c’est aussi un cœur et un cerveau. Il faut donner les moyens à chacun de développer toute son énergie et sa compétence au service de la réussite de l’entreprise.

Cette formation est-elle viable dans un contexte de crise ?

Je répondrai très simplement à cette question : oui, et plus que jamais ! 

C’est précisément en période de crise que l’on doit en permanence s’adapter aux contraintes, faire face aux imprévus, agir en l’absence d’un responsable pour obtenir les meilleurs résultats possible dans une situation dégradée. Les connaissances théoriques acquises au cours de la formation initiale ne sont qu’un moyen. C’est l’intelligence globale de l’individu (les intelligences multiples, comme l’a dit Howard Gardner) qui va permettre de les utiliser en situation, de manière optimale, en sachant tenir le cap, respecter les règles, mais aussi mettre de la souplesse là où il le faut et même être créatif lorsque c’est possible pour atteindre ses objectifs.

Quel rôle doivent jouer le top management et le collaborateur dans ce type de formation ? 

La formation expérientielle est le choix d’une équipe de direction qui a compris toute l’importance de mettre la compétence au service des enjeux de l’entreprise dans un environnement mouvant, complexe, qui suppose une véritable agilité intellectuelle pour faire les bons choix au bon moment, que l’on soit un agent de maîtrise ou un directeur de département. C’est le choix de l’entreprise qui pratique un recrutement qualitatif où l’analyse des compétences est véritablement au cœur du processus de choix des meilleurs talents, aussi bien via des assessments que par l’utilisation des meilleurs outils d’évaluation proposés par les professionnels du marché. C’est le choix de l’entreprise qui a su réduire le nombre de niveaux hiérarchiques, mettre en place une vraie politique de délégation, qui prône la confiance plutôt que la méfiance (sans pour autant exclure le contrôle bien sûr). C’est enfin le choix de l’entreprise qui sait maintenant intégrer les jeunes collaborateurs des générations Y et Z, majoritairement en attente d’une telle démarche.

Pourriez-vous nous parler des freins qui entravent le déploiement de l’approche expérientielle ? 

Il en existe beaucoup, et je pourrais notamment citer le poids encore fort de l’enseignement universitaire, qui touche souvent ses limites en privilégiant les savoirs sans y associer les savoir-faire et les savoir-être. J’y ajouterai les difficultés des enseignants à se remettre en cause et à faire bouger leurs techniques d’enseignement, sachant qu’en plus leur formation initiale n’est pas adaptée et qu’ensuite ils n’ont pratiquement plus aucune formation continue. Au sein des entreprises, je pointerai les craintes de certains patrons et managers qui pensent encore que seul le chef sait et a raison. Mais je n’oublierai pas les comportements de certains salariés qui préfèrent se cacher derrière les ordres pour ne pas prendre d’initiatives, qui ne souhaitent pas évoluer, qui n’aiment pas prendre des risques. Mais je reste optimiste et je suis convaincu que nous allons progresser au cours de cette décennie. 

Propos recueillis par Nabila Bakkass

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